Parfois les choses sont longues. Compliquées. Et parfois, non. « Bonjour c’est Sourdoreille, ce serait possible une interview avec Pauline Croze ? » « Oui. Demain c’est bon ? » « D’accord ». Et nous voilà, faisant fi des -5 annoncés et des -8.000 ressentis, devant un petit café, à dérouler avec l’une de nos chanteuses les plus élégantes les dernières années de sa vie, sa vision de l’écriture, du chant, d’elle-même, ses projets.
Le dernier album de chansons originales de Pauline Croze, Le prix de l’Eden, était sorti en 2012. Depuis, à l’exception d’un album de reprises de standards bossa nova, elle n’avait rien dit, rien montré. Jusqu’à ce court mais intense mois de février 2018 et la sortie de Ne rien faire, arrangé et réalisé avec Charles Souchon (alias Ours), Romain Preuss et Marlon B. Alors, forcément, on a envie de savoir. Quand on lui demande les raisons d’une si longue absence, elle explique que : « Ça fait un petit bout de temps que c’était compliqué avec l’inspiration, je n’avais pas trop confiance en ce que j’écrivais et ce que je composais. Ensuite, les choses fortes que j’ai vécues, comme la séparation, le deuil, m’ont redonné de la matière à travailler et à exprimer. Mais je voulais que le sentiment soit juste, et la manière de l’exprimer aussi, qu’il y ait la bonne distance entre raconter quelque chose de profond et personnel, et en même temps ne pas être vulgaire en en montrant trop. Je voulais aussi faire attention au fait que mon texte ne prenne pas plusieurs directions. Il y a des moments où je me suis un petit peu embrouillée dans les précédents écrits, et là je voulais vraiment tenir mon idée jusqu’à la fin. Et puis il a fallu réunir Charles, Romain et Marlon dans le planning et c’était très compliqué, Charles composait son album, Romain aussi, Marlon était très pris en tant que réalisateur. »
Du personnel, de l’intime, du frontal, Pauline Croze en use et en abuse dans ce dernier disque. Elle y va franchement, elle parle, elle livre, elle offre. Elle se dévoile et elle nous dévoile. Nos peurs, nos attentes, nos révélations après une rupture, après la perte, avec le manque, elle met des mots dessus, ses mots qui deviennent les nôtres parce que nous, on sait pas faire. Le sait-elle au-moins, que comme d’autres, elle est parfois un porte-voix ? « Quand j’écris, je n’en prends pas conscience. Mais quand quelqu’un me dit « c’est exactement ce que je ressens », « cette chanson c’est moi, ça parle de moi », c’est hyper touchant. Même moi, parfois, j’entends les chansons de quelqu’un d’autre et je me dis « j’aurais voulu le dire comme ça, c’est exactement ce que je vis ». C’est soulageant que quelqu’un nous fasse sentir moins seul dans un sentiment qu’on n’arrive pas à attraper, à maîtriser, dont on est le jouet, dont on ne sait pas quel visage il a. »
Pour autant, les mots ne sont pas sa passion. « Ce que j’aime le plus, ce n’est pas écrire, c’est la musique, c’est ça qui me fait vibrer. Ce qui me vient de la manière la plus fluide, c’est la mélodie, c’est le chant, c’est de m’envoler. Si je pouvais ne faire que de l’instru, je ne ferais que ça. J’ai un peu une contrainte d’écrire. Mais je vois quand même qu’une chanson sans les paroles n’est qu’une moitié de chanson. Donc j’écris parce que je veux que ma chanson existe, mais c’est difficile pour moi, c’est laborieux. »
Ok. Pauline Croze n’aime pas trop écrire. On tombe un peu de notre chaise, et on se demande jusqu’où elle irait si elle aimait ça. Parce que pour une laborieuse, elle assure bien plus que le service minimum. Elle ferait plutôt dans la dentelle, dans la précision. Trop à son goût ? « Je suis toujours un peu trop en contrôle, j’ai besoin que ce soit cohérent. Je pense qu’avec cet album je me suis libérée de certaines choses. J’ai travaillé aussi sur moi. Ce truc de contrôle, de volonté de maîtrise, j’ai envie de m’en libérer. Je pense que j’y arrive de plus en plus, et que c’est le résultat de l’expérience. Dans ce que j’écris actuellement, je suis vachement plus là-dedans. Je me dis « ne commence pas à vouloir rationnaliser.» Et du coup j’écris de manière hyper fluide. Je laisse le robinet ouvert, je jette les mots, je n’essaie pas de les coiffer, de leur faire une petite coupe au carré, je les laisse tranquilles.»
Et ça donne quoi, si on peut se permettre ? « Je suis assez en verve, et je suis vachement prise sur des sujets extérieurs à moi. Il y a des personnages dans la vie qui m’interpellent. Les vigiles par exemple c’est un thème que je trouve hyper fort, mais je n’arrive pas à savoir ce que je veux défendre à travers ce personnage. J’ai encore du travail là-dessus. Parler de sentiments, j’y arrive, mais tout ce qui est « peinture sociale », il faut quand même une certaine plume, que je n’ai pas forcément travaillée. Je n’ai pas eu d’urgence par rapport à ça non plus. Mais là, je suis vraiment en train de le faire, et je suis hyper contente de ce qui sort. »
« On est tous éduqués à se civiliser, mais parfois c’est à outrance. Parfois, j’ai envie de balancer tout ça, d’ouvrir les vannes, mais je n’y arrive pas, je ne me sens pas crédible. Le chant m’a un peu permis de faire exploser tout ça mais pas autant que je le voudrais. Sur scène oui, par contre. »
Travailler sur soi, sortir de sa zone de confort, des thèmes qui nous amènent tout naturellement à « Olé ». Dans cette chanson, Pauline Croze s’avoue moins innocente, moins fragile, moins inoffensive qu’elle n’en a l’air. C’est vrai que la fille « olé olé », ça ne lui correspond pas, ou plutôt, ça ne correspond pas à son image. Une image lisse, sage, et qui peut, de son propre aveu, la gêner aux entournures. « Parfois, on est tellement enfermé dans ce truc qu’on n’arrive plus à en sortir. On est tous éduqués à se civiliser, mais parfois c’est à outrance. Parfois, j’ai envie de balancer tout ça, d’ouvrir les vannes, mais je n’y arrive pas, je ne me sens pas crédible. Le chant m’a un peu permis de faire exploser tout ça mais pas autant que je le voudrais. Sur scène oui par contre, là il se passe des trucs plus explosifs, je suis vachement plus rock, plus expansive. Je pense qu’on est tous dans cet équilibre. Il y a ce qu’on voudrait être, ce qu’on se sent être mais qu’on n’arrive pas à être, comment les autres nous voient et qu’on perçoit parfois comme une injustice. »
Au-delà de l’alliance toute crozienne entre textes forts, mélodies aux petits oignons et chant aérien, on a été frappés par l’omni-présence des chœurs sur cet album. Sa voix, sans être puissante, n’a jamais eu besoin d’un quelconque soutien, pourtant ils sont là, pas tant en arrière-plan que ça, bien présents, ils martèlent, ils appuient. Quand on la lance sur le sujet, on pense que ça va durer 2 secondes, et non. Pauline a très envie d’en parler, de les mettre en valeur, de nous donner les clés. « J’adore les chœurs. Quand je chante quelque chose, je les entends vite. Parfois, leur rôle est de rendre un peu plus épiques certains passages. Ce sont aussi des petits personnages mis en scène, comme un chœur grec. Ils ont un vrai rôle, ce n’est pas de la simple décoration de joliesse, d’esthétique. Pour « Tu es partout » (chanson adressée à sa mère disparue), par exemple, si on isole les chœurs, quand je dis « je prends cette leçon de la vie et je la prends en beauté », les chœurs disent juste « prendre, vie, beauté ». Quand je dis « cette peine fait tant de désordre, je ne sais où la ranger », les chœurs insistent sur « peine, désordre, où la ranger ». Ils ont un discours indépendamment du chant, ils ont leur phrasé, leur grammaire. Parfois, on peut être tellement mal… il faut de l’énergie pour faire une phrase, mettre le sujet, le verbe, le complément. Les chœurs sont comme des taches de peinture, ils jettent les mots : « peine », « désordre », « beauté ». Il y a plus d’impact. »
Ce disque, évidemment, Pauline va le présenter sur scène. Avec maintenant quatre albums au compteur, des arrangeurs bétons et une capacité à assurer seule avec sa guitare, elle a l’embarras du choix pour cette tournée, et elle a bien l’intention d’en profiter. « Certains morceaux seront acoustiques, d’autres beaucoup plus fidèles aux versions de l’album. Je veux aussi revisiter certains morceaux des 1er et 2ème albums. Il faut qu’on se donne la liberté de la scène, de faire confiance à notre humeur et notre ressenti du soir. Selon le lieu, la configuration, le public, on pourra être dans un truc vachement plus intimiste sur tel titre, plus cocon, ou alors, on sort le grand jeu. Là, on est encore en ré-adaptation, mais plus les concerts vont aller et plus on va prendre de libertés. J’ai vraiment envie qu’on joue comme un groupe, j’ai hâte qu’il y ait la complicité, ne plus réfléchir, se regarder pour se donner des signaux. »
Elle sait à peu près devant qui elle va jouer, ou plutôt elle n’en sait rien, et ça la réjouit. « Mon public est vaste, je le constate pendant les concerts, je vois qu’il y a des enfants, des ados, des gens de mon âge, des gens de 60 ans. Je ne peux pas catégoriser. Ce sont beaucoup de gens qui aiment la littérature, les textes, et en même temps des gens qui aiment la black music, le hip hop, le reggae, la soul, le groove. Je trouve ça bien que ce soit très large, parce que ça a pu m’arriver de parler avec des gens du métier qui me disaient « il faut que tu saches qui tu cibles », et pour moi c’est incongru. C’est comme quand on me dit « t’as un public féminin.» Pour moi, savoir qui on cible c’est un non-sens. » On est complètement d’accord avec elle. Ni Pauline Croze, ni son public, ne méritent de finir dans une case. Ils sont libres de faire ce qu’ils veulent, voire de ne rien faire.
Ses dates de tournée sont ici, avec notamment un passage parisien à la Cigale le 9 avril.
Crédit photo : Fifou
Super ITW <3