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Pascal Comelade, peintre sonore

Qui va piano va sano. Cette devise, qui mieux que Pascal Comelade pour l’incarner? Lui qui, durant trente années de carrière, a creusé inlassablement son sillon sans se soucier des modes ni des clichés, obligeant ses amis artistes, son public et ses formations à le suivre dans un joyeux chaos sonore.

Un esprit curieux cherchant à savoir qui est Pascal Comelade, trouverait seulement la mention sobre de pianiste, éventuellement suivi des visuels de ces nombreux albums, dont certains sont de sa propre création. Pianiste, il l’est sans nul doute mais on peut aussi ajouter l’épithète d’artiste total.

Car Comelade expose de temps à autre ses œuvres plastiques et il associe systématiquement à ses pochettes d’albums des artistes de renom ou pas, comme lorsqu’il confie la tâche d’illustrer son premier album, intitulé Fluence sorti en autoproduction en 1975, à des étudiants des Beaux-Arts de Montpellier. À cet aspect de sa création, s’ajoute celle d’un état d’esprit, issu de la scène alternative montpelliéraine et de ce bout de Catalogne qu’il porte en lui : il s’agit de pratiquer le do it yourself qui vous porte vers la débrouille, hors des sentiers battus.

Cela passe par une formation autodidacte, une pratique en solitaire du piano mais également pour certains enregistrements et un parcours des plus éclectiques. Pourtant, en trente ans de carrière et nombre de collaborations prestigieuses – parmi lesquelles un titre avec PJ Harvey figurant dans l’album L’Argot du bruit, sorti en 1998 – l’homme a poursuivi une ligne exigeante, celle d’élever la musique expérimentale au rang de la pop. En laissant de côté la pratique électronique pour aller vers l’instrumentale voire l’acoustique, le pianiste céretan est connu pour son sens du détournement d’instruments, que ce soit en intégrant des jouets ou un simple verre d’eau dans ces compositions.

Au-delà de ces objets sonores, c’est sur scène que ses propositions forcent l’intérêt. Il conçoit la scène comme autant de performances possibles et y intègre des éléments de la pop culture, non plus dans une acception anglo-saxone mais plutôt provinciale, qui évoque le bal populaire. En réhabilitant ce terme, il rappelle l’enjeu social et culturel de cette pratique désuète, où la musique n’est plus faite pour la tête mais également pour les pieds. Peu importe l’endroit où l’on se produit, que ce soit dans des salles prestigieuses ou dans des concerts de rue, le public reconnaît ainsi la scène, comme un espace de diffusion, mais également comme un espace de création qui réunit tout un mode de possibles.

Pascal Comelade est un vrai solitaire. Il répète d’ailleurs souvent qu’il enregistre ses compositions dans un effort minimaliste, à partir d’une base de piano sur un simple magnétophone Revox deux pistes. Mais force est de constater qu’il aime à s’entourer de musiciens qu’ils soient professionnels ou non, ainsi que d’artistes plasticiens. Parmi la multitude de collaborations, on retiendra deux noms : celui de Pep Pascual, et sa passion pour le détournement d’objets en vue de renouveler, dans une créativité joyeuse, son stock d’instruments ; et celui de Samy Surfer, batteur des Vierges, groupe issu de la scène alternative montpelliéraine des années 80. Mais c’est déjà se montrer réducteur et l’on pense à une autre source d’inspiration, celle de Richard Pinhas, connu pour être le fondateur du groupe électronique Heldon dans les années 70, et dont la dernière collaboration en date vient tout juste de voir la forme d’un six titres intitulé sobrement « Le Plan de Paris ».

C’est ce qui explique qu’en concert le pianiste s’improvise chef d’orchestre. On a pu le croiser avec le Bel Canto Orchestra, qui œuvra, toujours avec un personnel différent, de 1983 à 2015 ; ou plus récemment avec le Rififi, réunion plus modeste de six guitaristes, d’un bassiste, d’un clavier et d’un batteur. Bien évidemment, rien de classique dans ces performances, Comelade ne répète jamais, ne sait ni lire ni écrire la musique, et les indications qu’il donne restent instinctives. Tout cela doit garder l’énergie de cette musique populaire qu’on improvise en fin de repas. Il s’agit bien d’un indépendant qui a le goût de la collaboration, d’un amateur qui prend soin de transmettre sa passion pour la musique qui réunit. Ainsi, ses musiques explorent la mémoire collective, avec le retour de ritournelles, pour dévier vers des compositions plus expérimentales. Il n’y a pas de véritable théorie là-dessous, simplement une recherche de son propre vocabulaire. On a parfois l’impression d’avoir déjà entendu ça quelque part tout en reconnaissant tout de suite que c’est du Comelade. Les Cramps ont bien enregistré le même album toute leur vie et personne pour le leur reprocher !

Contacté par téléphone, Pascal Comelade nous sort à ce propos cette phrase qui en dit beaucoup sur sa façon de procéder :

« On a pratiqué la musique de façon chaotique, ce n’est pas une volonté. Il n’y a eu à aucun moment de théorie là-dedans », Pascal Comelade

On retrouve ce langage facilement identifiable dans son dernier album Le Cut-up populaire toujours chez Because Music : ce quelque chose d’enfantin, de bricolé, cette impression de piano mal accordé, un peu poussiéreux, sur lequel on pianote doucement un air que l’on connaît bien. Car le pianiste qui porte le nom d’une rivière du Canigou n’a pas le goût du sublime : il est d’ailleurs lui-même étonné que cet album lui ait demandé tant de temps, et qu’on y trouve deux solos de piano, c’est dire ! « J’aurai passé ma vieillesse à batailler des erreurs de jeunesse », confie-t-il dans le documentaire Constellation Comelade de Luis Ortas Pau et Anne-Laure de Fransu. À savoir la mélodie, qui pour lui est bien « l’origine du mal ».

Son avant-dernier album date de 2013 El Pianista del Antifaz lui aura pris trois ans, et pour ce dernier venu, il en aura fallu sept. Ce qui est inhabituel pour ce fervent adepte du credo post-punk, qui exige que la première prise soit bien la bonne. A travers ses enregistrements, Pascal Comelade recherche pourtant la spontanéité, le fragile et se voit davantage comme un vieux bluesman spontané que comme un auteur-compositeur réfléchi. Sans doute, cela tient-il de son obsession pour le répétitif et le sommaire, ayant pour objet de vulgariser une musique instrumentale qui lui est chère, sans sombrer dans le easy-listening ou la musique de relaxation.

Est bien présent également ce goût pour le désuet, l’éphémère, une pratique artistique qui se refuse à l’éloquence. En témoigne l’époque des années sétoises où le Montpelliérain composait un hymne au Musée International des Arts Modestes (M.I.A.M), imaginé par son acolyte Hervé Di Rosa. Au propre du terme : une musique d’ascenseur, cette fameuse Muzak, dont l’objet sera de faire entrer l’imagerie contemporaine (on retrouve encore le populaire) dans le champ de l’art . Dans cet univers comeladien, les jouets ont la stature de vrais instruments, la BD n’est plus un art mineur, les vieux cabarets barcelonais des années 70 deviennent des lieux tout à fait fréquentables, le rock est aussi respectable que la musique classique et tout ce qu’on intègre dans la catégorie contre-culture se pare de l’attrait du luxe.

Car l’idée d’avant-garde est bien loin de ce que promeut Comelade, pour lui la culture implique une pratique populaire. Pour rappel, les titres de ses morceaux sont davantage de l’ordre de la blague, du détournement et du jeu de mots. Là aussi, l’approche reste ludique tout comme ses références littéraires éclectiques et surannées. La culture de Comelade est populaire, c’est celle qui, dans cette période de la fin des années 60, passera par les ondes des radios et les groupes de bal qui n’avaient de cesse de jouer les succès du moment.

C’est d’ailleurs dans cet esprit que l’idée de l’orchestre se monte : faire de l’animation… Mais brute, le plaisir simple du bal qui offre la possibilité d’une musique sans limite. En concert, d’ailleurs, Comelade avoue avoir du mal à finir ses morceaux. Son obsession pour les structures répétitives, les riffs et les distorsions, que l’on découvre même jusque dans sa pratique du piano, l’emmenant vers une sorte d’acmé chaotique, qui se prolonge sans parvenir à s’arrêter, à l’orientale. Et lorsqu’il parle de musique, il est amusant de voir comment cet artiste à l’élégance des taiseux possède l’art de la distorsion ouvrant des parenthèses pour ne jamais les refermer et laissant la place aux absences et aux silences.

Car, c’est sans nul doute là que se trouve le génie. Il ne sature pas, il laisse encore et toujours la place à l’autre, que ce soit aux compagnons de jeu ou au public fidèle. Ainsi, même ce Cut-up populaire qu’il prétend avoir surchargé d’informations, allant jusqu’à passer trois ou quatre ans sur certains titres, maîtrise un certain dépouillement. Cette part d’éphémère est sans doute centrale dans son approche de la musique. Pour illustrer cela, on peut rappeler le choix de l’artiste magistralement illustré par l’artiste Miquel Barceló qui, dans des performances proches de l’art rupestre, accompagnait les morceaux de Comelade d’une œuvre amenée à disparaître… par un jeu d’évaporation, à la fin du concert.

Le peintre rejoignait alors parfaitement le pianiste, rendant visible l’invisible pour finir par faire totalement disparaître l’œuvre. Ainsi, la musique ne cherche plus l’illustratif, mais au contraire est en quête de dépouillement, risquant à se dénuder pour ne plus former que geste… Se répétant à l’envi pour finir par échapper au maître.

Photo en une Pascale Comelade © Thierry Gracia

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