Après trois années d’absence liée au contexte Covid, l’un des sanctuaires majeurs des musiques électroniques deep fêtait (enfin) son cinquième anniversaire le premier week-end de septembre. Une édition de retrouvailles qui arrivait avec son lot de changements – et non des moindres au regard de la devise du festival « musique, nature, intimité ». Embarquement pour les Pyrénées.
Dame nature, d’abord, car c’est là que se logeait le mystère principal de cette édition. Le festival prenait place dans un tout nouveau spot – toujours dans les pré-Pyrénées espagnoles, et à seulement quelques kilomètres à vol d’oiseau de la précédente, certes – mais cette nouveauté tenait en haleine les habitués tellement les paysages de l’ancienne localisation étaient époustouflants. Il est important de préciser qu’hormis l’unique scène en forme de dôme géodésique, les tipis blancs du « glamping » et les grandes lettres « PARALLEL » en 3D disposées en bordure de site, l’essentiel des dimensions visuelles du rassemblement repose fondamentalement sur les paysages des montagnes pyrénéennes.
La question sous-jacente à cette édition était donc : la nature, qui occupe une place centrale dans l’identité du festival, revêtira-t-elle un caractère aussi sublime dans un décor de station de ski ? Car en effet, perchée à 1745 mètres d’altitude, la nouvelle maison du Parallel est une petite station catalane comptant une quarantaine de kilomètres de pistes. Heureusement le spectacle se déroulait à leurs pieds et le plaisir de la contemplation n’était pas gâché par les remontées mécaniques – les danseurs leur tournant le dos. Cette année encore les panoramas étaient grandioses et l’on a pu se perdre tantôt dans des ciels nuageux dignes de tableaux de la Renaissance, tantôt dans une succession d’éclairs d’orages environnants, tantôt dans l’immensité du ciel étoilé découpé au gré des sombres sommets. Un bonheur pour astronomes avec zéro (ou presque) pollution lumineuse. Un tout petit peu de lumière vers le dancefloor n’aurait d’ailleurs pas été de trop pendant la nuit – surtout le premier soir – où l’obscurité était telle que quitter son groupe de potes pour aller aux toilettes revenait à prendre le risque de ne peut-être pas retrouver les siens.
Côté carbone, l’orga avait mis en place une douzaine de navettes en provenance de Barcelone qui ont acheminé environ la moitié de l’audience jusqu’à Port-del-Comte. Pour encourager cette initiative, et dans une démarche environnementale, les véhicules personnels devaient s’acquitter d’une green tax de 5€ à l’entrée du festival. Une démarche teintée de greenwashing si l’on tient compte du fait qu’une large partie des festivaliers venus en navettes se rendaient d’abord à Barcelone en avion.
L’intimité, ensuite. Lors de ses trois premières éditions, Parallel mettait l’accent sur sa capacité limitée de 1000 festivaliers dans le but d’offrir une expérience des plus confortables possibles. « Nous n’avons jamais caché notre volonté d’augmenter graduellement le nombre de participants », m’explique cependant Felix, l’un des cofondateurs. La jauge était ainsi passée à mille deux cent personnes en 2019. Par son audience relativement restreinte et son offre musicale pointue, l’événement s’est construit en rassemblant un public partageant le même amour pour des formes de techno et de musiques électroniques marquées par un certain niveau d’abstraction et de psychédélisme.
Un filtre d’affinités qui se traduit en catalyseur de rencontres ; phénomène dont je peux témoigner avec une petite anecdote perso car c’est au mariage de mes deux voisins de camping de l’édition précédente – devenu·e·s des ami·e·s entre temps – que j’ai rencontré ma copine. Je vous devine sourciller à la lecture de cette parenthèse sentimentale alors revenons à nos moutons : cette année le cheptel s’étendait à 1500 personnes. Cet accroissement n’entravera pas l’émulsion des retrouvailles du vendredi où semble se retrouver joyeusement une grande bande de jeunes et moins jeunes adultes envoyés chaque année dans les mêmes colos type Parallel, Terraforma, la scène 3 du Positive Education Festival, les événements Melifera… Je n’ai pas les stats officiels mais, en tendant l’oreille, on pouvait entendre qu’au moins la moitié du public était francophone (il y a même eu un putsch breton sur le logo du festival).
Ça grimace un peu plus au niveau du bar : celui-ci semble être sous-staffé et de longues files d’attente se forment sans vraiment désemplir du week-end. Le prix des boissons y devient matière à discussion : 4€ le demi (sans proposer de format de pinte, ce qui invite à repartir sur le dancefloor avec un verre dans chaque main pour amortir le temps d’attente) et 9€ le mix alcool fort + soft. « Après la pandémie, et dans un contexte global de crise, on a réalisé que la plupart des fournisseurs avaient augmenté leurs tarifs comparés en 2019. Cela nous a mis dans une situation compliquée et on a dû augmenter nos tarifs pour équilibrer les comptes », défend Felix de l’organisation. « La vente de boissons est la principale source de revenus du festival. On demande aux festivaliers de garder ça en tête mais certains continuent d’apporter leur propre alcool sans consommer au bar ». Malgré la communication sur l’interdiction d’apporter des boissons de l’extérieur, une fouille à l’entrée, et une jauge augmentée de trois cents festivaliers supplémentaires, le bar aurait enregistré cette année une plus faible consommation qu’en 2019. « On ne trouve pas ça juste au regard de tous les efforts fournis pour que les gens puissent profiter », confie Felix.
La musique, enfin. Parallel présentait encore une fois l’un des plateaux les plus excitants de l’été pour amateurs·trices de structures minimalistes, de textures sophistiquées et de rythmiques syncopées . Pour preuve, l’événement affichait complet cinq semaines après l’ouverture de la billetterie. Habilement concocté par Refracted et Guillam, deux artistes qui jouent eux-mêmes durant le festival, le line-up reposait comme à son habitude sur un savant mélange de pointures et d’artistes émergents, équilibrant valeurs sûres et découvertes, même pour un public averti. Parmi les performances qui m’ont le plus marqué personnellement : le live tribal et percussif déployé d’une manière ultra-ludique par Shackleton (qui a divisé l’opinion mais apporté selon moi couleurs et luminosité à la première nuit), la vibe groovy et envoûtante de l’outsider Sybil (que je connaissais pour ses excursions ambient hyper aériennes mais pas pour ses talents d’ambianceuse de dancefloor), et le set « halfstep » de Konduku plaçant parfaitement le curseur entre délicatesse et sauvagerie sous le soleil du dimanche après-midi.
Qui dit festival de puristes ne dit pas festival de snobs pour autant : le foodtruck des pizzaïolos qui diffusaient de la tribe s’est par moment transformé en deuxième scène informelle pour le plus grand bonheur de ses clients, au point que les tenanciers se sentent obligés de se justifier lorsqu’ils quittaient le stand pour aller voir la vraie scène avec une pancarte « volvemos pronto estamos de fiesta » (« on revient bientôt, on est parti faire la fête »). Comparativement aux précédentes éditions, il m’a semblé entendre plus de gimmicks « four to the floor » et la vibe musicale m’a paru globalement moins mentale et « sérieuse » – une forme d’ouverture qui, j’ai l’impression, gagne la scène deeptechno depuis quelques année en s’acoquinant par exemple avec la drum’n’bass, la tribe ou la scène house/dnb/trance australienne.
Il est amusant de noter que l’on cherche souvent à classer les DJs dans des sous-catégories de musiques électroniques et qu’au final ces artistes peuvent tout à fait sortir de ces cases en jouant des sets inattendus et piocher dans l’immensité de leurs collections de morceaux – comme l’a fait Jane Fitz avec plus ou moins (mais surtout moins) de succès le samedi soir. On apprécie toujours autant la coupure de son de 3h à 11h du matin qui permet de se reposer dignement et qui invite à venir profiter de la musique dès le début de journée en chillant dans la prairie, et de profiter de la narrativité musicale qui gagne en intensité au fil des heures.
En conclusion, Parallel a une fois de plus réussi à offrir une expérience musicale et humaine des plus savoureuses en réunissant une communauté d’âmes bienveillantes, curieuses et avides de nouvelles formes de connexion et de transcendance à travers les musiques électroniques. Dans un cadre de diffusion qui les connectent à la majestuosité d’éléments et de paysages naturels, ces musiques s’en retrouvent magnifiées et prennent des dimensions toutes particulières.
En voulant grandir au fil des années, cet événement d’initiés tente de surpasser les paradoxes du challenge qu’il s’est fixé. En faisant le choix de sélectionner son public financièrement en augmentant le prix des consommations au bar tout en interdisant l’apport de boissons de l’extérieur, le festival – déjà marqué par une ligne artistique assez pointue – ne prend-il pas le risque de tomber dans une forme d’entre-soi ? Il y a sûrement un équilibre et des compromis à trouver – en jouant peut-être plus la carte des outsiders pour éviter les gros cachets par exemple. Il faudra aussi veiller à la gestion des flux et réduire les temps d’attente au bar, peu compatible avec la notion d’intimité défendu il me semble. Nul doute que l’équipe organisatrice – douée pour apprendre de ses erreurs et corriger le tir d’une année à l’autre – saura rectifier les quelques couacs qui restent compréhensibles pour une première dans un nouvel endroit.
Photos © Juliette & Antoine
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