Lorsqu’Armand rencontre Ulysse, c’est une évidence. Ils se complètent, ils s’assemblent et comme Bonnie & Clyde ou Cher & Sony : ils font un duo iconique. L’un regarde par la fenêtre l’air pensif quand l’autre balance des blagues à tout va. On surnomme l’un « petit soleil » à cause de ses cheveux dorés tandis que l’autre, brun ténébreux, incarne le diable en vidéo. Ils voulaient monter un journal littéraire et artistique, mais le destin en a voulu autrement. Un groupe musical lancé plus tard, ils modernisent la pop française, lui offrent groove et légèreté. À l’unisson ou en décalé, leurs voix se mêlent sur des compositions un temps épurées, désormais ouvragées, toujours aigres douces, évoquant aussi bien la mélancolie que l’été chaud. Amoureux de musique, leurs influences brassent large du jazz aux musiques brésiliennes, elles gorgent leur son solaire d’une originalité hors pair. Bienvenue dans le monde merveilleux de Papooz. Quelque chose nous dit que vous ne vous en remettrez pas.
Dans le clip de « You & I » vous incarnez respectivement un démon et un ange. Ça vous correspond dans la vie ?
Armand : Non !
Ulysse : C’est qu’Armand représente bien l’ange avec ses longs cheveux dorés.
Armand : On aime bien faire du cinéma muet dans nos clips.
Ulysse : C’était deux caractères facilement identifiables, on voulait jouer sur ça. J’ai l’air plus méchant que gentil mais on est tous les deux aussi démoniaques. On est tous les deux taureaux ascendants scorpion…
Armand : Faut pas nous faire chier.
Ulysse : Nos deux pères s’appellent Jean, quoi d’autre ?.. On a trop de choses en commun.
Armand : Ma copine a fait le clip (Victoria Lafaurie, ndlr). Elle a eu cette idée de prendre le code du dessin animé, avec une bataille de la conscience, entre le bon et le méchant, le diablotin et le petit ange.
Est-ce que vous avez eu une révélation concernant la musique ? En enfance ou durant votre adolescence ?
Ulysse : Comme un rayon de lumière tu veux dire ? Non, aucune…
Armand : À quatorze ans j’ai découvert Bob Dylan, j’ai adoré. Je connaissais mal la musique parce que mes parents n’écoutaient pas de pop. Et après y a eu les Doors puis Pete Doherty et les Strokes. C’était le renouveau rock. Je me suis dit que faire de la musique c’était plus sexy qu’être dentiste. J’ai commencé à écrire des chansons 2, 3 ans après en ayant entre temps appris la guitare pour jouer les morceaux que j’adorais.
Ulysse : Je n’ai aucun souvenir de révélation, précise, frappante qui m’ait fait me dire que c’était ça ce qu’il fallait que je fasse. J’ai eu du mal avec l’école. J’ai arrêté en 1ère. J’ai essayé d’étudier le théâtre après mais ça n’a pas marché. Quand j’ai été accepté dans une école de musique ça a été saisissant, j’ai su que ça me passionnait et que je ne ferais que ça. J’ai alors passé énormément de temps à ne faire que ça. C’est là où je prenais le plus de plaisir. Je devais avoir 18 ans.
Qui écrit quoi ?
Ulysse : Moi j’écris les virgules et lui les points.
Armand : On écrit les chansons séparément et on se les montre après. On les modifie, les peaufine et les arrange à deux. Il n’y a qu’une chanson qu’on a écrit à deux, c’est « Downtown Babylone ».
« Quand t’es petit t’es toujours avec le même bermuda, puis tu grandis ça te fait chier, tu achètes un pantalon en cuir » Ulysse, Papooz
Vous pouvez décrire l’écriture de l’autre ?
Armand : Ulysse est très introspectif dans les thèmes qu’il évoque. Il a quelque chose de très linéaire.
Ulysse : Moi je parle de moi et lui parle des autres.
Armand : Pas forcément, je parle aussi de ce qui me touche dans la vie. Il y a un article anglais qui disait que le groove n’avait jamais été aussi introspectif en parlant d’un morceau qu’Ulysse a écrit qui s’appelle « Theatratical State Of Mind ». J’ai trouvé ça très juste.
Ulysse : Armand aime aussi écrire des chansons sur lui, sur ses sentiments mais il aime bien passer par des personnages pour faire passer des émotions.
Armand : Quand t’es auteur, vu que c’est toujours toi qui réfléchit et qui pense, même si tu te mets dans la peau de quelqu’un d’autre ce n’est jamais vraiment que de la fiction. J’aime bien Lou Reed quand il évoque les travestis, c’était son monde aussi. Il a écrit beaucoup de ses chansons en se mettant dans la peau de gens qu’il connaissait. C’est très juste mais ça reste son regard à lui du monde.
Ulysse : Il faut quand même un peu connaître et percevoir la vie de l’autre pour qu’il y ait une émotion qui se libère de cette prise de parole.
Armand : J’aime bien ce jeu d’acteur.
Ulysse : Même s’il est très mauvais acteur.
Le mot frère revient souvent dans vos morceaux, pourquoi ?
Ulysse : Armand a un frère jumeau, j’ai deux petits frères donc la thématique du frère nous encercle par la force des choses. J’ai un demi frère que je n’ai jamais rencontré, c’est pour cette raison que j’ai écrit « Unknown Brother ». « Brother » était sur n’importe quel frère, un mec lambda : on lui disait « critique moi si tu peux, ça va peut-être me faire grandir. » Dans « Good Times On Earth », « me and my brothers » s’adresse plus à nos bro, en anglais ça veut dire « potes ».
Armand : « Unknown Brother » aurait du s’appeler « Maverick », ça aurait été un meilleur titre.
Ulysse : Elle est ravie de le savoir je pense.
C’est marrant d’ailleurs vous avez des titres rincés comme celui-ci, « You And I »…
Armand : C’est vrai. Pour « You And I » j’ai pas trouvé de meilleur titre même en ayant conscience que One Direction et Lady Gaga étaient déjà passés par là. J’ai essayé mais celui-ci reste dans la tête et puis c’est la première phrase du morceau…
Il y a beaucoup l’utilisation du you et une impression de compagnonnage dans vos chansons…
Armand : Ce you est inclusif.
Ulysse : Il représente tous les gens qui nous entourent finalement.
J’ai lu que cet album était le passage à l’âge adulte pour vous. Vous confirmez ?
Armand : On a juste vieilli. Ce sont des thématiques différentes de celles des chansons du premier album qui ont été écrites à la sortie de l’adolescence. On a écrit l’album quand j’avais 26, 27 ans…
Ulysse : Les textes sont un peu plus sérieux, on y a passé plus de temps. L’album entier et sa production sont plus réfléchis. On a pensé à ce qu’on voulait faire, où on voulait aller avec. C’est moins naïf.
Armand : Il y a des thématiques plus tristes.
Ulysse : Un texte sur la mort, sur les déboires de la nuit… Mais on est encore un peu jeunes quand même.
Armand : C’est très infantilisant d’être musicien. Ça reste jouer : ton métier c’est de jouer, quoi. Tu es assez pris en charge tout le temps avec les managers, etcetera. Tu deviens un peu débile.
Avec cette production plus réfléchie, vous n’avez pas eu peur de perdre quelque chose ?
Armand : On nous a fait la remarque quand on a choisi notre producteur, Adrien Durand (de Bon Voyage Organisation, ndlr).
Ulysse : Si, je me suis posé la question. Je me suis dis qu’on avait fait un truc génial de manière insouciante, sans aucune réflexion et j’ai eu peur qu’on gâche quelque chose en étant dans la sur-production, la sur-réflexion. Mais à vrai dire, ça reste nous qui composons. Je trouve notre nouvel album dans la continuité. On n’a jamais été attaché à un seul style.
Armand : On a eu envie de changer de mode opératoire.
Ulysse : Quand t’es petit t’es toujours avec le même bermuda, puis tu grandis ça te fait chier, tu achètes un pantalon en cuir.
Qu’est-ce qu’Adrien Durand vous a apporté ?
Armand : Il y a beaucoup de diplomatie dans la production. C’est comme avec un metteur en scène ou un réalisateur, l’idée reste de tirer le meilleur de la performance de quelqu’un. Il nous a aidé a nous améliorer au niveau des voix. C’était assez cool parce qu’il était au-dessus de nous et nous disait lorsqu’on était bon ou mauvais. On peut argumenter sur le fait d’être bon ou mauvais mais ça aide énormément d’avoir ce retour franc.
Ulysse : On a passé beaucoup plus de temps sur les voix. Auparavant on était plus rapidement satisfaits des voix. Il nous a aidé au niveau des synthétiseurs aussi. On ne les connaissais pas très bien alors que lui est très expert.
Armand : Il a un art d’arrangement hérité de la french touch, dans le sens musique de film. Il considère l’arrangement comme un tableau qui va du noir au blanc. Nous on faisait jusque là de l’art abstrait alors que lui il est dans le très propre, minimaliste et efficace.
À l’écoute, Night Sketches évoque la musique de film.
Ulysse : On voit et on s’imagine plus de choses. Il y a des plages entières qui amènent l’esprit à voguer.
Armand : On a voulu uniformiser tout l’album grâce au titre. On pensait à une sorte de trajet d’un mec qui passe une nuit dans une ville.
Écrire sur la musique ça devient compliqué surtout quand il y a autant de morceaux à la fois tristes et joyeux, à la fois upbeat et mélancoliques ?
Armand : Pour moi c’est la base d’une pop song : avoir une instrumentale très entraînante avec des paroles très tristes.
Ulysse : Cette alliance de joyeux et de triste tout le monde peut l’écouter… Un dépressif comme un homme heureux.
Armand : Je réécoutais « You’ve got a friend » de Carole King hier en me couchant et il y a quelque chose d’à la fois très groggy et triste qui se dégage de ce morceau. Ça me donne des frissons. J’ai jamais trop été ému par l’unique joie d’un morceau je dois avouer.
Ulysse : Non ça c’est faux, tu peux être ému par la joie. J’écoutais un titre très joyeux et groovy l’autre jour où tout le monde crie de joie, ça m’a fait me lever et danser, crier.
Armand : Oui mais parce que tu ne comprenais rien aux paroles…
Je me suis toujours demandé si on pouvait être capable, inconsciemment, de comprendre des paroles même lorsqu’on ne connaît pas le langage. Qu’en pensez-vous ?
Ulysse : Tu n’as pas besoin de comprendre les paroles, les mélodies te transmettent déjà assez.
Armand : Après je trouve ça con de passer à côté des paroles d’une chanson. Quand tu saisis en plus le sens du texte c’est mieux. Par exemple dans « Strange Fruit », Nina Simone parle de la pendaison pendant la ségrégation, c’est dommage de passer à côté.
Ulysse : Ça a été écrit par Billie Holliday à la base.
Armand : C’est un standard…
Ulysse : Mais c’est fou comme on adorait des titres anglais quand on était plus jeunes, on n’y comprenait pourtant rien.
Armand : Notre violoncelliste a une oreille absolue. Il ne peut pas écouter les paroles d’une chanson, il n’entend que les notes… Tu t’imagines, enlever les paroles d’un titre de Bob Dylan… Ça devient chiant au bout d’un moment.
D’ailleurs, si j’ai bien compris, vous passez toujours par les paroles pour construire vos morceaux ?
Armand : Je n’ai jamais écrit un texte en entier que j’ai mis en musique. On fait à peu près tout ensemble.
Ulysse : Moi ça m’est déjà arrivé mais le plus naturel reste de jouer de la guitare et de chantonner pour après construire à partir de cette base.
Armand : Par contre j’ai souvent des titres qui me restent des mois entiers dans la tête. Pour « Ann wants to dance » j’ai eu le titre souvent en tête, en me disant qu’il fallait écrire quelque chose autour de ça.
Ulysse : Oui moi aussi. Il y a des thèmes qui habitent ma vie de manière quotidienne, certains sont récurrents. Souvent ça part d’une vision.
Et c’est quoi en ce moment les thèmes qui sont dans vos têtes ?
Ulysse : Pendant l’écriture de l’album je sortais énormément, je n’avais pas d’amoureuse. Je n’avais pas de relation à l’amour, je pense que ça faisait de moi quelqu’un de triste. Depuis que je suis amoureux, que j’ai une fille à qui je consacre tout mon temps, je suis plus épanoui. Donc ce thème d’avoir quelqu’un qui t’accompagne, de se sacrifier à quelqu’un, de rendre heureux quelqu’un, ça rend meilleur. J’étais moins bon avant ça. Voilà de la matière pour le prochain album…
Armand : Et moi c’est le contraire. C’est la séparation.
Ulysse : Lui ça fait cinq ans qu’il est en couple, il a envie de se barrer… Il regarde au loin l’horizon et pense aux sirènes.
Armand : Non ce n’est pas vrai.
Ulysse : Il déménage, il pense à ses cartons, au positionnement de l’évier…
Armand : Non mais en fait on peut faire une chanson avec à peu près tout. J’aime bien le thème du couple parce que je suis en couple depuis longtemps. J’ai écrit une chanson pour la mère d’Ulysse à laquelle j’ai donné un titre assez drôle « Figs and gorgonzola » parce que ça va bien ensemble. Je l’ai écrite sur ce que c’est que d’être un couple qui emménage ensemble, qui vit longtemps ensemble. Parce que tout se délite, c’est obligé. Quand tes parents se séparent alors que tu es petit tu ne peux pas le comprendre mais en fait vers 25 ans ça devient plus clair. Tu te rends compte qu’on t’a menti toute ta vie et qu’il y a une sorte de honte générale à parler de ça… Même dans les films, on n’en parle jamais, c’est extrêmement chiant un film sur le quotidien d’un couple qui vit ensemble depuis 6 ans. Il y a cet aspect sacré du couple auquel on déroge. Bref, les figues et le gorgonzola ça va très bien ensemble, comme les frites et le ketchup, enfin, ça sonne moins bien, comme deux personnes peuvent très bien aller ensemble même si le temps est meurtrier.
Ulysse : Putain…
C’était très beau. Merci.
Crédits photo en une © Mica Elig
0 commentaire