Oxmo revient avec un huitième album empli de plaisir qui a, surtout, la faculté de viser juste. La Voie Lactée résume la sagesse qui anime ce Parisien aimant arpenter la France. Interviewer Oxmo, c’est l’assurance d’avoir un artiste qui pèse ses mots et apprécie parler de la société autant que de sa musique. Rencontre avec un rappeur qui comprend le désespoir de la nouvelle génération mais se refuse à tomber dans un rap game de bas étage.
As-tu un rapport particulier avec chacun de tes albums, comme tu pourrais l’avoir avec tes enfants ?
C’est ma vie ! Je ne compte pas ma vie en nombre d’années mais en nombre d’albums. Ma vie est rythmée par eux. Je n’en préfère pas un plus que l’autre même si certains sont plus difficiles que d’autres. J’y ai tout mis à chaque fois.
Le choix du single, du clip, etc. : décides-tu de tout ?
Pour tout ce qui touche à la traduction de mes textes, je collabore avec des gens. C’est un coup de dés sur lequel on arrive plus ou moins à satisfaction, mais je ne peux pas avoir autant de précision et d’exigence à l’extension de mon travail qu’à mon travail lui-même. Il faut trouver l’arrangement…
Tu chantes « La vie est une chance, le reste est du mérite ». La chance ne joue parfois pas son rôle. Pour preuve, certains artistes ont beau être hyper talentueux, ils ne percent pas…
… Ou n’ont pas agi comme il fallait avec la bonne personne au bon moment. Ça peut arriver une fois mais il ne faut pas que ça se répète. Je rencontre beaucoup d’artistes talentueux qui ne se donnent pas les moyens de faire la bonne chose avec la bonne personne au bon moment. Saisir sa chance n’arrive pas du jour au lendemain. Ça arrive aux gens qui foirent, qui essaient, qui vont à la rencontre, mais ce sont toujours des gens qui se sont plantés avant. Quand on voit quelqu’un au sommet, on ne voit pas la montagne qu’il a gravie.
Tu parles justement de la célébrité dans cet album, comme pour dire aux jeunes de se calmer avec ça.
C’est un peu pour dire que la célébrité est un accident. La célébrité est une perception erronée de la réussite. Il y a une perception de dimension, du fait de toucher un grand nombre qu’on ne maîtrise pas.
A la fin d’une compo, comme « 365 Jours » qui a dépassé le million de vues sur YouTube, tu le sentais et te répétais intérieurement « Ce son, c’est certain, ça va cartonner » ?
Ah non, pas du tout ! Je me suis assez trompé pour savoir que ça ne marche absolument pas ainsi. Il faut avoir une radio pour dire ça (rires).
Quand tu entends Nekfeu faire un tube avec un refrain répétant « Rien à foutre de rien », tu te dis que ça lui passera ou qu’il est le marqueur d’une génération ?
C’est ça qui est grave, c’est que c’est le marqueur d’une génération à laquelle on ne fait plus attention. Tout cela parce qu’on a fait le lien entre le rap et la jeunesse depuis 20 ans. On a tout à disposition mais on ne sait pas quoi faire. Je comprends ce qu’il dit.
A écouter ton album, tu prends le contre-pied de ce discours ?
Aujourd’hui je suis ancien, je suis un daron de 41 ans et j’assume. Dans « ce game », si on veut parler comme ça, j’ai ma place. L’expérience que j’ai accumulée ne pourra que prouver ce fait. J’aurai pu le prendre comme un constat vieillissant car je me sens beaucoup plus malin que beaucoup de jeunes. Je sais et je suis encore frais, donc je n’ai aucun problème.
Je te cite sans musique et en prenant beaucoup de recul. Mais quand tu lances « Qui s’écoute parler ne laisse pas de place, bâtit un mur autour de sa carapace », réalises-tu que pareille citation peut ressembler à un sourate ou à un psaume ?
Ce ne sont que des mots. C’est la vision qu’on en a qui donne de la valeur, aussi. Je voulais dire quelque chose d’important. Moi je ne suis pas dans le religieux mais j’adore la poésie. Quand je vois des passages religieux qui ont touché des gens, je vois avant tout de la poésie. Plus que de la religion, il y a une certaine forme religieuse car j’écris en croyant à ce que j’écris.
Dans « 1998 », tu nous vends une image idyllique de la France. C’est marrant que ça vienne de la bouche d’un rappeur noir, car c’était plus le discours des éditorialistes blancs…
« 1998, c’est la fois où la joie nous a rendu visite, deeepuis ». Le plus important dans ce refrain, c’est le « depuis ». Tout le monde a sa vision de 1998. C’est avant tout pour dire que c’est possible. On a tous été surpris de l’amour qui était en nous. Où est-il passé ? La France ne s’arrête pas à la vision qu’on en a. Les Français ont une idée de la France qui s’arrêtent à leur porte, à la télévision. Je parle car je la traverse la France, des grandes villes aux villages, tous ses pays… Car oui, le Pays Basque ou la Bretagne sont des pays qui composent la France. Je connais aussi l’Auvergne, Lille, Roubaix, Strasbourg, etc. La France black-blanc-beur ne m’intéresse pas en tant que telle. Ça fait partie de la composition française le black-blanc-beur. Tout le reste n’est que du bla-bla et de l’affirmation de l’ego.
As-tu déjà rêvé d’avoir une autre carrière artistique, comme être un grand sculpteur ou danseur ?
J’ai une grande passion pour le dessin. J’ai eu de la chance d’être assez mûr quand j’ai commencé la musique pour dire merde à tout le monde. Les directions que l’on prend dépendent beaucoup de l’environnement où l’on vit. J’ai pas pensé à autre chose que la musique. Si le bonheur et l’accomplissement de soi ne sont pas une évidence dans ton milieu, c’est complexe.
Il t’arrive de t’autocensurer ? Tu écris et, 48 heures plus tard, tu reviens sur tes mots estimant que tu as été trop loin ?
Non, il m’arrive de corriger des propos trop virulents. Ce n’est pas de l’autocensure, c’est plus de l’arrangement. Je suis plus là pour échanger des sujets qui nous concernent tous que d’aller à la confrontation.
Écrire une chanson d’amour, c’est casse-gueule ?
Pourquoi ? Il faut savoir parler d’amour. Ce n’est pas donné à tout le monde mais ce n’est pas casse-gueule. Pourtant, un artiste parle toujours d’amour même s’il injurie tout un pan de la société. Tout n’est qu’amour, y compris quand ça paraît violent.
Ça semble plus facile d’écrire « Petite Marie » lorsqu’on évolue dans le registre de Cabrel que dans le tien.
C’est une manière de parler de l’amour. La manière peut déranger parfois. Moi, je ne fais que parler d’amour. L’un de mes albums s’appelait « L’amour est mort » (rires).
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