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Oiseaux-Tempête, dans la cour d’écran

Pour un groupe qui cite Tarkovski en interview, c’était quand même con de ne jamais avoir bossé pour le cinéma. C’est désormais chose (bien) faite : quelques mois après son dernier album, Oiseaux-Tempête vient de sortir sa première bande originale. Rencontre.

Un homme traverse un cimetière à flanc de montagne. Il est nu. Il court dans la pénombre. Ou plutôt, il boite. Il a une plaie béante dans le bas du dos, juste au-dessus de la fesse. Il tente de la recouvrir de sa main mais le sang jaillit entre ses doigts et coule le long de sa cuisse. L’homme est en fuite. Il s’arrête contre un arbre, jette un œil par-dessus son épaule. Personne.

La scène est tirée de Sortilège (Tlamess) le dernier film du réalisateur tunisien Ala Eddine Slim. Elle a longtemps posé problème aux membre du groupe Oiseaux-Tempête, chargé d’en composer la bande originale : « on ne savait pas du tout ce qu’on allait faire dessus, raconte Frederic D. Oberland, l’un des fondateurs du groupe. Quand Ala est arrivé en studio, on lui a fait écouter ce qu’on venait d’enregistrer. Il a fait « oups », il a ouvert son ordinateur et il a mis cette séquence. » Et c’est là que la magie opère : « Nous, on ne serait jamais partis dans cette direction-là, on trouvait ça too much, avoue Frederic. Et lui, en appliquant ce morceau-là, qui était fort, sur cette séquence là, qui était forte… Les deux produisent un effet, se confrontent. Et le fait qu’on comprenne que ça soit ça qu’il cherchait, je pense que ça nous a complètement libérés. »

Le groupe peut se lâcher. Il projette les images du film sur le mur du studio et il improvise pendant des heures. Librement, comme il l’a toujours fait. En se laissant dériver sur le torrent de boue de ses émotions. « On avait juste besoin de dérouler, de faire confiance à nos intuitions. On savait qu’à la fin, il saurait quoi faire, il ne serait pas perdu. »

La rencontre

En quelques jours, l’affaire est pliée. Et c’est comme ça qu’Oiseaux-Tempête enregistre sa toute première bande originale. Avec simplicité. Facilité, presque. En étant fidèle à lui même et en s’autorisant, en même temps, des choses rarement entendues chez lui. « Il y a quelque chose de relaxant [dans le fait de faire de la musique de film], commente Paul Régimbeau, plus connu sous le nom de Mondkopf. Le spectateur ne s’attend pas forcément à ce qu’il y ait des événements dans la musique, des climax, des changements brutaux. Ça peut être juste… Comme ça » (il trace une ligne imaginaire avec ses doigts).

Cette réussite, le groupe la doit en grande partie à Ala Eddine Slim. Avec le réalisateur tunisien, dont Sortilège est le deuxième long métrage, la confiance est réciproque. Et l’admiration, mutuelle. « Quand tu fais de la musique de film, tu dois accepter que tu n’es pas le seul maître à bord, explique Frederic. Tu peux avoir des demi-frustrations, des choses que tu aurais vu différemment, mais c’est toujours le réalisateur qui a raison. Toujours. C’est lui qui porte le film. Et là, on avait une confiance maximale en lui, en ses intuitions. Et lui était aussi très à l’écoute de ce qu’on pensait ».

Comme souvent, au début d’une belle histoire, il y a un peu de hasard. Pour Oiseaux-Tempête, il s’est manifesté un jour de l’été 2019, alors que Paul et Frédéric étaient en résidence quelque part en Corse. Il a pris un visage familier. Celui de Nils Bouaziz, un ami. Nils travaille pour le distributeur de films Potemkine. Il leur parle longuement d’un jeune réalisateur dont le premier film a remporté un prix à la Mostra de Venise en 2016. Son nom (spoiler alert) : Ala Eddine Slim.

De retour à Paris, quatre jours plus tard, Frederic reçoit un mail (tiens, tiens) du même Ala Eddine Slim. Le réalisateur ne sait rien de la rencontre avec Nils Bouaziz. Il s’apprête à tourner son second film et souhaite rencontrer les membres d’Oiseaux Tempête. Pour leur proposer de composer la bande originale. Heureuse coïncidence. « Il n’est pas venu nous chercher pour nous demander de faire une musique en particulier mais parce qu’il aimait bien le groupe et que c’est de lui que pourrait naître la musique dont il avait envie, raconte Frederic. Et ça, pour nous, c’était super excitant. »

Le groupe pose quand même ses conditions : il ne fera pas de maquette. « Parfois, quand tu envoies une démo à quelqu’un, elle va avoir ce petit truc, ce sentiment hyper bien, explique le musicien. Sauf que, quand tu te retrouves en studio pour réenregistrer, t’y arrives pas. Parce que t’as pas le même son, parce que t’es pas inspiré de la même manière… Et ça, y a rien de pire. »

OISEAUX-TEMPÊTE & Ala Eddine Slim TLAMESS © Benoit Bel et Frederic D Oberland 03(1)

Oiseaux-Tempête & Ala Eddine Slim © Benoit Bel et Frederic D. Oberland

Pas question, non plus, de reproduire les erreurs des Ogres. Pour sa première tentative au cinéma, en 2016, Oiseaux-Tempête — réduit à la paire qui forme son noyau dur (Frederic et Stéphane Pigneul) — était arrivé tard. Trop tard. Le film de Léa Fehner était déjà bien avancé ; le montage, quasiment terminé. Résultat : sur l’heure et demi de musique que le groupe a composée pour le film, seules quelques minutes sont utilisées. Disséminées ça et là, au hasard des séquences.

Cette fois, le groupe arrive bien en amont. Le tournage commence à peine. Le réalisateur envoie ses rushs au fur et à mesure. « On se les passait en boucle chez moi et on jammait par-dessus avec nos synthés, se souvient Frederic. On lui a envoyé, je sais pas, peut-être deux heures ? Ouais, deux heures de musique, très légèrement éditées. Comme ça, il pouvait monter avec la musique directement. Il y a eu cet échange entre lui et nous, où on est inspirés par ses images et lui, en retour, s’est inspiré de notre musique pour continuer la narration du film. »

Blade Runner au mini-panthéon

Chez lui, le groupe pose les bases d’un son synthétique, électronique, inspiré de l’ambiance des bandes originales de Blade Runner ou d’Under The Skin. « Sans vouloir jamais les singer, ni même les réécouter ensemble, précise Frederic. C’est juste une sorte de mini-panthéon, plus ou moins récent. De choses qui nous plaisaient et vers lesquelles on avait envie d’aller. Ça nous a aussi permis de voir jusqu’où on pouvait aller. »

Le cinéma a toujours exercé une influence sur la musique d’Oiseaux Tempête. Souvent assumée, d’ailleurs. Comme sur « Requiem for Tony », une reprise improvisée du thème de Scarface, qui figure sur son deuxième album. Surtout, et au-delà de ces références évidentes — on pourrait aussi citer « Black As Midgnight On A Moonless Night », hommage revendiqué à Twin Peaks —, il y a la force cinématographique du groupe. Cette capacité qu’il a à susciter des images, à suggérer des ambiances et à dessiner des paysages imaginaires est, en revanche, largement involontaire. Comme l’explique Frederic : « Ce n’est pas quelque chose qu’on cherche à tout prix. C’est juste présent dans nos cultures personnelles à chacun, dans nos bagages. » « Quand on joue en studio, on se met pas des images en tête, ajoute Paul, qui a rejoint le groupe en 2017 pour son troisième album. Pour faire la BO de ces images, quoi. C’est plutôt on joue, et puis voilà. ».

Pour Sortilège, le groupe improvise face à l’écran. Les images deviennent « quelqu’un avec qui tu joues » (Frederic). Et la musique se transforme en personnage : « Je crois qu’il avait envie de ça, poursuit-il. Que la musique agisse au sein du film, qu’elle soit mutante, qu’elle se métamorphose. Tout le film est autour de ça, d’ailleurs ».

 

OISEAUX-TEMPÊTE & Ala Eddine Slim TLAMESS © Benoit Bel et Frederic D Oberland 02(1)

Oiseaux-Tempête & Ala Eddine Slim © Benoit Bel et Frederic D. Oberland

Sortilège, une BO

Le film raconte le destin croisé d’un déserteur de l’armée tunisienne et d’une femme enceinte. Pour faire simple. Car rien ne l’est dans ce film qui « prend volontiers la tangente de toute convention narrative, pour s’enfoncer dans un courant de sensations et d’illuminations, et remonter ainsi aux sources d’une pure poésie cinématographique » (Le Monde). Pas mieux.

Il a été présenté à la Quinzaine des Réalisateurs, à Cannes, en juin dernier. Et est sorti au cinéma le 19 février. Cinq jours après sa bande originale. « Au début on n’était pas forcément sûr d’en faire un disque, raconte Frederic. Mais quand on a vu qu’Ala avait mis quasiment 40 minutes de notre musique dans le film, on a commencé à y réfléchir. On pensait même peut-être, comme d’habitude, faire un double album. » Ce disque, le groupe le conçoit comme une image. Une photo de là où il était il y a un an, de ce dont il était capable : « Depuis ça a encore évolué, insiste Frederic. Et Oiseaux-Tempête c’est ça aussi, un groupe qui arrête pas d’évoluer… »

« Parce qu’on a tous plein d’idées… Mais pas trop d’idées préconçues sur ce que ça peut être, Oiseaux-Tempête. » La suite dans le prochain épisode, donc.

La BO en intégralité :

Photo en une : Oiseaux Tempête & Ala Eddine Slim © Benoit Bel et Frederic D. Oberland

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2 commentaires

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Delagrand 28.03.2020

Qu’est ce qu’ils sont bâteau, c’est si vieux ce post rock … Pardon mais je ne veux plus péter suite à mon visionnage des Ogres et de l’incareceratetaré premier « oups » de la dzouingue !
Je ne pourrais, moi, écrire ou me poser devant mon écran pour mettre en espace un niveau tel !
Voilà qui est fait !!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!
AUREVOIR;

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Tony. 18.03.2020

Dommage que le propos du film soit si pauvre… La fin, c’est quand même « et là, la femme succombe à la tentation (ya un gros serpent au cas où t’aurai pas compris) et au cause d’elle : byebye le paradis ».
Je dis bien : dommage. Y’a quelques belles images et la musique est vraiment cool !

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