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Nos plus belles nuits restent secrètes

Bien souvent, le chemin le plus court pour tromper la mort, c’est de tromper la vie. De tromper l’ennui. A ce jeu là, les surprises et les secrets font partie des ingrédients les plus savoureux pour concocter l’élixir de jouvence. Les Nuits Secrètes ont bien compris cet adage et offrent depuis leurs débuts une expérience de festival inédite et ô combien rafraichissante dans le paysage musical français.

Le festival des Nuits Secrètes, c’est un peu l’enfant turbulent et créatif de la famille. Le neveu que l’on voit l’été et qui nous surprend à chaque fois par son univers atypique. Il ne fait rien comme les autres. C’est parfois déroutant (même un peu énervant), mais c’est ce qui le rend si attachant.

Comme tous les gamins, il change et grandit à une vitesse folle. Trop rapidement diront certains parents. De notre côté, nous avions laissé les NS en 2016, il y a deux ans. Une éternité dans la vie de ce festival. En revenant sur les lieux, nous découvrons que le centre ville n’est plus le cœur des concerts de nuit. Comme les autres « grands », les Nuits Secrètes ont délimité un espace fermé (et payant) avec plusieurs scènes. L’essence même d’un festival vous me direz ? Sauf que jusqu’en 2016, les concerts se déroulaient en pleine ville, avec une grande partie de la programmation accessible gratuitement. Cela donnait une ambiance assez unique durant les trois jours du festival, et pas uniquement devant les scènes. On pense avec nostalgie à la scène du Jardin, cachée au milieu d’un petit bosquet qui nous donnait l’impression d’un lieu intime qui ne se révélait qu’aux yeux des initiés.

Les raisons de ce changement sont multiples. Mais c’est le désir de croissance et, surtout, les contraintes de sécurité imposées par la préfecture et les autorités qui ont poussé la direction des Nuits Secrètes a opté pour cette formule moins originale mais plus facile à gérer et rassurante pour les politiques et autres décideurs. A côté de la grande scène (tout ce qu’il y a de plus classique), se dresse donc désormais sur le site du festival une deuxième scène, l’Eden, montée en dessous des structures d’une ancienne usine à bombes. Celle-ci remplace donc le Jardin et, avec sa structure métallique et son ambiance indus, elle peut abriter 5000 personnes. Une troisième toute petite scène (la Station Secrète), volontairement montée de bric et de broc, vient compléter l’offre musicale de ces trois soirs, avec des noms – pour le moment – plus confidentiels.

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Crédit : Cécile Gervaix


La programmation peut paraître assez convenue, le festival étant même assez haut dans notre classement des squatteurs 2018 (Jain, Orelsan, Vitalic, Shaka Ponk, Petit Biscuit…). Sauf que le public des Nuits Secrètes pourrait faire un joli bras d’honneur à notre classement des squatteurs en arguant, légitimement, qu’ils se foutent royalement que ces artistes jouent dans d’autres festivals cet été. Ils les apprécient et sont heureux de les voir, de danser et crier sur leur musique. Et l’énergie folle de Shaka Ponk ou le nouveau live de Jain ne peuvent que leur donner raison. Surtout lorsque l’on garde à l’esprit que le festival, malgré sa croissance (45 000 spectateurs cette année, record battu), s’efforce à garder des tarifs les plus abordables possibles : 70 euros les trois jours. Au vu de la programmation, cela paraît assez improbable. Et cela explique en partie l’absence de tête d’affiche étrangère (en dehors d’Alt-J).

L’édition 2018 des Nuits Secrètes ressemblerait ainsi à un adolescent en train de devenir adulte. Un ancien enfant turbulent qui, petit à petit, et sous la pression de la société, commencerait à enfiler le costard et les attributs des adultes. Des gens bien. Des gens sages. Sauf que le naturel ne s’efface pas aussi vite. Et les Nuits Secrètes, malgré l’apparence du site principal, garde son ADN taquin et amoureux de la vie et de ses surprises : elles organisent ainsi un concert totalement surprise de FRANCE, en plein milieu du site à son ouverture le samedi ; elles invitent les plus couches-tard à prolonger la fête dans le club de la Bonaventure, avec une prog aux petits oignons (Kiddy Smile, AZF, Panteros666, Madben…).

Et c’est évidemment avec ses parcours secrets que le festival se démarque et nous rend si accroc à lui. Le principe a peu changé depuis de nombreuses années : le festivalier achète une place (8 euros) sans connaître ni l’artiste ni le lieu du concert. Il connaît simplement l’horaire (en après midi) et le lieu de rendez-vous (la gare). Il prend alors un bus, rideaux fermés, et se rend sur le lieu de la surprise. Des lieux insolites qui sortent les festivaliers mais aussi les artistes de leur zone de confort. Malik Djoudi dans un corps de ferme, Sandra Nkaké dans les jardins de la sous-préfecture, Vanessa Wagner dans une église, Feu! Chatterton dans un théâtre de verdure… Une quinzaine d’événements ont ainsi rythmé les trois jours du festival. Sandra Nkaké parlait à juste titre de moment suspendu. Il se crée en effet pendant cette petite heure une complicité et un échange assez unique entre l’artiste et le public, une fois la barrière de la scène « habituelle » effacée. La sensation de vivre un moment volé, presque interdit.

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Ce n’est pas un hasard si nos plus beaux souvenirs, les moments où notre cœur aura vibré plus que de raison, furent des instants vécus pendant ces fameux parcours secrets. Si le concert de Malik Djoudi sur le site du festival nous aura plus emballé que celui de son parcours du vendredi, tous les autres artistes nous auront fait vibrer tellement plus fort lors de leurs prestations secrètes. A l’image de Sandra Nkaké. Seulement accompagnée de son complice musicien, Jî Drû, de quelques machines et d’une flûte traversière, le duo nous a totalement envoûtés avec des titres aussi puissants qu’à fleur de peau. Si son concert quelques minutes après sur la grande scène du festival était très beau, il semblait presque banal pour la centaine de chanceux ayant pu vivre le moment suspendu de l’après-midi.

Feu! Chatterton a surement hérité du parcours le plus atypique et somptueux de cette édition 2018. Un joli théâtre de verdure, entouré d’eau dans le parc de la ville Le Quesnoy. Un écrin idéal pour Arthur et sa bande qui s’en sont alors donné à cœur joie pour décliner leur lyrisme poétique et pleine d’envolées verbales et musicales.

On aura également eu la chance d’entendre le duo formé par Vanessa Wagner et Emilie Levienaise-Farrouch. L’une au piano, l’autre aux machines, le temps s’est arrêté quelques précieuses minutes dans cette petite église du nord. On a retenu notre souffle et fermé les yeux lors de ses morceaux sublimés par ce travail à quatre mains uniques. La pianiste a très bien résumé le tout en rebaptisant le festival « Les Nuits Magiques ».

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Crédit : Sarah Bastin


Et puis il y a eu le moment de grâce absolu. Le moment Tamino. Nous avions déjà entendu parler de ce Belge que l’on compare trop facilement à Jeff Buckley ou Tom Waits. Nous connaissions un titre, que l’on trouvait forcément très beau. Mais nous n’imaginions pas la beauté que pouvait être un concert de Tamino, qui plus est lors d’un parcours secret dans un superbe Théâtre des Trois Chênes du Quesnoy. Seul sur scène, entouré de ses quatre guitares et de ses multiples pédales, Tamino a livré le plus beau concert du week-end, avec une classe et une discrétion rares. Sa voix, ses mélodies, son attitude. Tout chez Tamino nous a fait tomber en amour. En dehors de ses vocalises orientalisantes, seul clin d’œil à ses origines égyptiennes et à sa famille d’artistes, Tamino joue une folk on ne peut plus classique. Mais, dès qu’il commence à chanter, il rend évident une chose : même en 2018, il reste de la place dans le panthéon des songwriters. Au moins une.

Rien que pour ces moments de beauté absolue (sonore et visuelle), le festival des Nuits Secrètes trouve grâce à nos yeux, et à notre cœur. Et ce, d’autant plus que ces moments furent partagés avec un public très mixte, aussi bien en terme d’âge que d’origines sociales, notamment sur les parcours secrets : des familles avec enfants, des couples cinquantenaires, ou des groupes d’amis de 60 ou 70 ans… Toutes ces personnes se mélangeaient et échangeaient avec les festivaliers plus « habituels ». Les habitants d’Aulnoye et des environs se sont emparés, à raison, de ce festival et notamment de ses parcours secrets. Cela rend les concerts encore plus beaux et utiles. Et cela donne envie que ce jeune adulte qu’est devenu les Nuits Secrètes ne se range pas trop vite du côté des grands festivals.

 

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