Béret noir, rouflaquettes, santiags… Trois hommes investissent la scène du festival Rock In The Barn au mois de septembre. Quiconque a pu voir la prestation galvanisante des Night Beats s’est retrouvé à danser comme un forcené. Saturations, réverbérations et distorsions teintent des morceaux d’une frénésie électrique qui les désignent héritiers directs des 13th Elevatoor Floors, les messieurs derrière le concept même de psychédélisme. On a rencontré Danny Lee Blackwell, leader charismatique et grand admirateur de l’activisme de Bob Dylan, pour parler de la période horrible qu’est l’adolescence, de politique américaine, de pop, de bavures policières et du Texas.
J’ai cru comprendre que tu n’étais pas du genre populaire au lycée. Comment était-ce ?
Franchement, le lycée est une période merdique pour beaucoup de gens même s’ils ne le réalisent pas forcément. Enfin, parfois c’est les meilleurs moments de ta vie et après, tout dégringole. Ne pas avoir été le mec cool et ne pas avoir eu beaucoup d’amis m’a permis de développer des capacités qui n’ont été utiles que bien plus tard. Je pense que ne pas être populaire, ça aide à faire de toi une personne décente et simple. Beaucoup d’endroits aux États-Unis correspondent aux clichés… Surtout parce qu’ils labellisent tout. Il y a même cette tradition de classer les jeunes dans l’annuaire scolaire. T’as le classement des plus drôles, des plus énergiques, des plus populaires, des reines et rois du bal de fin d’année, etcetera. Il y a une catégorisation systématique des gens selon leur capacité d’adaptation sociale. C’est à peu près ce qu’on peut voir dans les films. Enfin… Les États-Unis, c’est très grand et il y a toujours des exceptions à la règle.
La musique t’a-t-elle aidé à comprendre certaines choses ?
Je pense qu’aujourd’hui, on essaye tous de se débrouiller comme on peut, de protéger nos amis et notre famille. Mais on est malavisés par des gens qui nous font avaler leurs mensonges et nous dictent comment il faut nous sentir. Heureusement, la musique aide les gens à penser par eux-mêmes et pour eux-mêmes. J’ai vraiment réalisé certaines choses grâce à la musique.
Tu as dit avoir appris les valeurs de respect et d’amour grâce à la musique que tu écoutais plus jeune. Penses-tu que la musique peut être un bon moyen d’éducation ?
Je pense que la musique a un effet positif, qui passe autant par les paroles que les mélodies. Elle est efficace quand il s’agit de montrer que tout le monde peut être qui il l’entend. Elle permet d’apprendre que c’est normal de se sentir triste, énervé ou heureux car ça nous arrive à tous à un moment ou à un autre. C’est un bon moyen de s’identifier, de ne pas se sentir seul dans un monde qui est vraiment dur parfois.
On reparle beaucoup de psychédélisme aujourd’hui, quelle en est ta définition ?
On l’utilise tous de manière différente. Je pense que l’intérêt de ce mot, c’est qu’il n’a pas vraiment de définition. Mais les gens sont souvent à côté de la plaque : je suppose que de manière générale, on l’emploie pour parler d’une certaine musique des années soixante. J’aime à penser qu’on devrait tous avoir sa propre définition du psychédélisme.
Certains groupe se déguisent pour correspondre à l’étiquette rock. Penses-tu que l’originalité a encore sa place dans la musique ?
Je ne pense pas que l’originalité ait disparu. Comme à chaque époque et à chaque ère, il y a des modes. Honnêtement, je me fiche de ce que je porte. J’enfile ce qu’il me plaît et tant mieux si ça correspond à ma personnalité. Je ne consacre pas vraiment de temps à ce genre de choses. Beaucoup de gens se déguisent, c’est vrai. Parfois c’est cool… L’important c’est juste que leur succès ne se base pas sur ça. Le côté divertissement ne devrait pas prendre le dessus sur la musique. C’est un ensemble, ça doit rester équilibré.
Même si ça n’a pas vraiment l’air d’être ta came, quel est le critère d’une bonne chanson pop d’après toi ?
Le rythme. C’est le plus important je trouve. Le rythme éclipse tout le reste. Tu peux faire un rythme avec ta voix ou ta guitare en en jouant comme si c’était une basse… Bien sûr, avec une bonne mélodie c’est toujours mieux. À la radio tout ce que tu entends est plus ou moins électro et techno. Il y a de plus en plus d’éléments électroniques dans la pop. Ça n’en fait pas une bonne musique mais c’est ce sur quoi elle se base à présent.
Ton nouvel album Who Sold My Generation a des allures pessimistes. Tu confirmes ?
Pas forcément. C’est plutôt un commentaire sur l’état des choses. Mais ça ne veut pas dire que le tableau est noir. Il y a des aspects très positifs dans cet album. Le titre peut sonner abrupt mais ce n’est pas le but. On veut juste amener les gens à penser par eux-mêmes et à ouvrir leur esprit. J’ai l’impression que notre génération se retrouve dans un monde où il se passe des choses de plus en plus folles. C’est facile de se sentir impuissant face à ça et d’oublier qu’en réalité on a le pouvoir de faire bouger les choses si on le veut.
La chanson « Last Train to Jordan » parle de dernière chance. De quelle chance s’agit-il ?
La Jordanie apparaît plusieurs fois dans la Bible. D’ailleurs, tout dans la Bible est à propos du retour en Jordanie. C’est aussi un sujet prédominant dans le gospel et même le reggae. La Jordanie, c’est l’idée de vouloir prendre le ticket et d’attraper ce dernier train, celui de la dernière chance, d’aller vers un endroit meilleur. Je pense que la musique, l’énergie, l’utilisation des percussions et surtout les paroles parlent d’elles-mêmes sur ce morceau qui est très métaphorique.
Une autre des chansons de l’album s’intitule « No Cops » et critique les bavures policières. Pourquoi penses-tu qu’on ait encore ce genre de problèmes ?
Il y a de nombreux problèmes dans notre système politique. Il y a un racisme systématique établi. Si on ne prend que les faits, il est difficile de ne pas se rendre l’évidence : ceux qui sont socialement défavorisés ont plus de chances de se faire arrêter pour des choses que les plus privilégiés font pourtant aussi sans jamais se faire prendre. Ça concerne surtout les cas mineurs comme la possession de cannabis… Tout ça a beaucoup à voir avec le langage utilisé par les politiques. Je sens la question sur Trump arriver donc je vais y répondre avant même qu’elle ne soit posée : la rhétorique de Trump amène les gens à agir de manière irrationnelle plutôt que de manière pragmatique. Je ne parle que pour ma génération. Je suis né quand Jimmy Carter était dans les parages. Je n’en sais pas beaucoup sur la politique d’avant mais la rhétorique utilisée par les hommes politiques est dégueulasse et affecte les gens. Plus on la lit et on l’entend, plus on s’y adapte. Certains voient que ces personnalités sont puissantes. Pourquoi ne voudraient-ils pas être aussi puissants ? Pour y arriver, c’est évident que certains se disent qu’il faut les imiter, qu’il faut parler comme elles pour être aussi riche, connu et populaire qu’elles.
C’était difficile de décider pour qui voter ?
Franchement, non. Bernie était un choix plutôt évident. J’ai trouvé que c’était la bonne décision.
En président, tu saurais quoi faire ?
Rendre le cannabis légal ? Je ne veux pas m’impliquer à ce niveau de la politique. Je pense qu’il faut être complétement bousillé pour vouloir faire partie de prises de positions de ce degré. Ma sœur ferait une bonne politicienne mais c’est différent : elle a vraiment de bonnes intentions et participe à tout ce qu’il y a de social et d’environnemental. Elle serait légitime. Mais si j’étais dans cette position, je ne sais pas trop ce que je ferais… Je suis un hippie donc j’essaierais de sauver le monde en appelant Capitaine Planète et lui demanderait de le nettoyer.
Tu es d’origine indienne. Comment était-ce de grandir à Dallas dont on entend parfois parler pour des faits divers de racisme ?
Franchement, être ethniquement ambigu n’a pas eu beaucoup d’effet parce qu’à Dallas, il y a une grande communauté hispanique et indienne. J’étais le plus noir dans certaines des écoles que j’ai fréquentées mais je ne suis pas si bronzé que ça. Ça se voit que je suis métisse. C’est devenu plus problématique une fois sorti de l’école. C’est cette sensation que tu développes quand tu es une personne métisse… Tu dois regarder derrière toi, histoire que personne ne te la fasse à l’envers. Mais Dallas est une ville superbe. Après, si tu es un musicien pauvre qui essaye de réussir tu seras mieux à Austin qu’à Dallas, c’est sûr. J’adore le Texas, en réalité c’est l’un des endroits les plus avant-gardistes du monde. Les gens acceptent tout là-bas. Et puis comme je le disais déjà, l’Amérique c’est grand…
Pour les grands amateurs Danny Lee Blackwell et Christian Bland des Black Angels se sont accoquinés et ça s’appelle UFO Club.
Crédits photo : © Carolina Faruolo
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