Le troisième album de Nach, « Piano-voix », arrive à nos oreilles à la faveur d’un automne particulier. Elle l’a enregistré en 2 jours, en février dernier. Seule. Comme si elle les sentait venir, nos semaines cloîtrées, comme si elle savait qu’on allait avoir besoin d’un pansement pour notre mélancolie. Au moment de la rencontrer, rien n’est réglé, tout est fragile, mais c’est bon de la voir, de se voir, d’oublier les cas contact pour n’avoir, simplement, qu’un contact. Et si on a surtout parlé, titre oblige, de piano et de voix, il a aussi été question de créer du lien et de la solidarité et ça, ça nous a fait beaucoup de bien.
« Je suis moi, rien que moi », chantait Nach sur son premier album en 2015. De ces quelques mots elle a fait sa devise. Le numéro d’équilibriste qui l’attendait était pourtant ambitieux : trouver sa place dans une famille pas franchement passe-partout, puis s’en extraire pour suivre un autre chemin, le sien, sans jamais renier ni rien, ni personne.
Aujourd’hui, la jeune femme qui nous fait face n’a pas besoin qu’on la compare, qu’on la situe, qu’on l’affilie. Son parcours parle pour elle.
L’étape du moment, c’est donc Piano-Voix, recueil de versions dénudées de chansons figurant sur ses deux premiers albums et d’une reprise de « La nuit je mens » de Bashung. Cette formation acoustique a été la sienne sur scène ces deux dernières années, et le disque est né d’une frustration. « Il y avait énormément de demandes de ces versions piano-voix. Je me suis dit : il faut absolument les capter. » A la différence d’une captation classique, aucun public n’était présent lors de l’enregistrement. « Je voulais garder l’intimité, faire en sorte que les gens entendent ce disque comme si j’étais au creux de leur oreille. »
L’intimité, c’est toujours à double tranchant. L’acoustique fait office de miroir grossissant. Au plus près, au plus dépouillé, au moins maquillé, on verra plus les défauts, on entendra mieux les qualités. Anna sentait que c’était le bon moment, forte de cette tournée qui s’achève à la fin de l’année et qui aura compté plus de 150 dates et l’aura rassurée sur ses capacités d’autrice, de compositrice, d’interprète. « Ça m’a donné confiance en moi et en mon instinct, je l’ai vécu comme une épreuve du feu qui me permettra de ne pas avoir peur de la suite. Et puis ça permet de mettre en lumière des textes qui avaient peut-être été un peu étouffés par les arrangements, comme par exemple « Le bon moment ». »
Le piano-voix, finalement, n’est qu’un retour à la source de tous ces titres. Anna les a écrits et composés comme ça, alors s’ils sonnent si bien aujourd’hui, si le résultat est d’un naturel et d’une évidence déconcertants, ce n’est pas un hasard. Il est de ces choses qui parfois, sont simples. « J’ai fait 2 prises par morceau, y a aucun artifice, collage, montage, recoupage, c’est brut brut brut avec tout ce que ça comporte d’imperfections. J’ai voulu essayer de recréer ce moment de fragilité et de force qu’est la création d’une chanson. »
Nach et son piano, c’est une grande histoire. Ces deux-là s’aiment d’amour. Avant même d’inviter Jeanne Cherhal sur le titre « Imagine », Piano-Voix était un album en duo, un dialogue entre elle et lui. Pourtant multi-instrumentiste, Anna n’a jamais caché sa préférence. D’instinct, c’est vers lui qu’elle est allée. « C’est un truc de sensibilité, ça s’explique pas, c’est comme si je regarde un tableau et je vais me mettre à pleurer et quelqu’un d’autre ça va rien lui faire. Quand j’étais petite j’entendais de la guitare, je trouvais ça bien, mais bon… et le jour où j’ai entendu vraiment du piano (ma mère écoutait beaucoup de classique, du Debussy, de l’Opéra), ça a parlé au plus profond de mon cœur, de mon être. C’est un instrument qui me bouleverse et qui a été ma porte d’entrée vers la libération, vers la musique, vers l’harmonie, vers moi-même presque. Même si c’est un instrument, pour moi c’est quelque chose de très vivant, très organique. »
En la voyant sur scène comme en l’entendant parler de ce binôme de bois, on pense, oui, à Jeanne la grande sœur, mais aussi à Tori Amos, à Nina Simone, à toutes celles qui ont fait corps avec leur piano chéri, qui en ont dansé assises comme d’autres en jouaient debout. Ultime preuve d’amour, l’instrument se voit même offrir son moment à lui, un interlude, mais oui, à une époque où tout va si vite, dans un monde où la musique se consomme, Nach se permet le luxe de nous faire faire une pause. Qu’on respire un peu, qu’on se taise un instant.
Mais pas trop longtemps. Car Anna, c’est une chanteuse. Une pure chanteuse et une chanteuse pure. C’est le chant lyrique qui, contre toute attente, a été sa porte d’entrée dans la musique. Elle en gardera sans doute toujours cette interprétation claire, sûre, articulée. Ses influences pop sont venues se mélanger à cette base ultra classique et lui ont permis de ne pas s’y laisser enfermer. « Quand j’ai fait du lyrique, c’était vraiment pour rencontrer ma voix, pour faire un état des lieux : c’est quoi mon range de voix, où je peux aller, essayer de connaître, comprendre ma voix. J’en ai fait 1 an et demi, et en parallèle je faisais déjà des chansons. Ma prof me disait : « mais tu es folle, tu vas rater ta vie, tu vas faire un art mineur alors que tu as la possibilité de faire un art majeur. » Je me suis questionnée, et j’ai senti qu’il fallait que j’écrive. Donc j’ai arrêté le chant lyrique. Avoir ce bagage vocal m’a donné les armes pour pouvoir faire mes chansons et trouver mon truc, mais après j’en ai fait ce que j’ai voulu. »
Crédit photo : Maud Chalard
Il se trouve qu’elle a voulu en faire de la chanson. Et offrir ainsi à d’autres ce qu’elle avait reçu. Des mots pour traduire l’intraduisible, une gorgée d’air quand les émotions bloquent les carotides. « Moi ça m’a sauvée. J’ai entendu Maria Callas, Nina Simone, Gainsbourg, Barbara, Bashung, ces gens qui assument tellement leur fragilité, leur sensibilité, ne savent pas quoi faire de leur mal-être, de leurs problèmes et vont essayer de transformer le plomb en or. » En marge des modes et des tendances, Nach a fait « les choix du cœur ». Elle ne se lève pas le matin pour faire de l’argent ou du buzz. « Le but pour moi c’est d’être la plus sincère possible avec les gens pour qu’ils se sentent compris, pour créer une solidarité, ces chansons pour moi sont des ponts pour que les gens s’y reconnaissent, peut-être, et se sentent moins seuls. »
Bâtir des ponts. Nach, dont le nom de scène est lui-même un pont entre son prénom et son nom de famille, entre qui elle est et d’où elle vient, ne fait finalement que ça. Dans ses textes, le lien est tout. La transmission. Le souvenir. Les fondations, et les projets. Un éternel passage de témoin, entre hommes et femmes, parents et enfants, frères et sœurs, jeunes et moins jeunes. Alors forcément, quand la crise s’incruste, on peut compter avec Anna, confinée mais pas isolée, et sûrement pas abattue. Pendant qu’on essayait tant bien que mal de faire du pain, elle a partagé, chaque jour, une reprise sur sa page Facebook en duo avec un ou une artiste. « Je l’ai fait dès le lendemain du confinement, en réaction directe, j’ai invité Yaron Herman pour faire la première avec moi et j’ai enchaîné, j’en ai fait 40. Je me suis dit : « il faut trouver une astuce pour garder le lien avec les gens. » Pour eux c’était difficile, certains se retrouvaient seuls, certains bossaient encore dans des conditions très dures, certains n’avaient plus de travail… c’est aussi le rôle de l’artiste, s’il le peut, s’il en a envie. Chacun fait sa part. »
Dans le monde d’après aussi, pour elle, ce sera plus que jamais un travail d’équipe. « Je pense qu’il va falloir être très soudés, très solidaires. Ce n’est pas une période facile, avec aussi le réchauffement climatique, tout ce qui se passe politiquement, il va falloir être généreux, à l’écoute. Pour moi c’est la seule clé. On est dans des sociétés très individualistes qui créent tout ce qu’on vit aujourd’hui. Il faut retrouver notre humanité profonde. » Même si les circonstances ne sont pas d’une folle gaieté, Nach est plutôt heureuse d’en parler, et impatiente d’agir. Pourtant, quand on essaie de discuter politique, de savoir ce qu’elle pense de la nouvelle Ministre de la Culture, elle n’écarte pas vraiment le sujet mais trouve ses réponses ailleurs. « Je me suis rendue compte du pouvoir du peuple. Il faut être indépendant, croire en notre pouvoir en tant qu’être humain. Si on choisit nos valeurs, ce qu’on veut défendre et qu’on se soude, les artistes, les techniciens, on trouvera des solutions pour rétablir l’écosystème. Si on sait que notre voisin est en grande difficulté, on lui ouvre la porte. C’est aussi en faisant ça qu’on éduque la jeune génération à des valeurs solidaires. »
Ses mots de la fin nous tentent bien, en fait : « Si les choses se remettent à l’endroit, dans la biologique, c’est-à-dire la logique de la vie, petit à petit, doucement, il y a moyen d’avoir une belle lumière au bout du tunnel. »
Crédit photo : Maud Chalard
Crédits photo en une : Maud Chalard
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