Troquer les strapontins molletonnés des amphithéâtres et les clubs intellos qui respirent en haute résolution contre la moiteur des salles de concerts habitées par sa jeunesse insouciante, c’est possible. Marre de ces journalistes aux questions technico-techniques qui ne parlent qu’à leurs collègues, fini de lister mamie tous les dimanches midis, sus aux gens qui s’empêchent de tousser pendant le concert, vive la vie qui crie et qui sue. Mort aux vieux ?
En signant l’arrêt de mort des théâtres et des termes « expérimentations soniques » ou « jazz spatial », certains artistes ont accueilli à bras ouverts les beats, les turluttes qui restent dans la tête, les influences évocatrices, les gimmicks de musique world. Tout ça quitte à en perdre l’entière base de leur public ? Ça se peut. La scission, qui s’opère parfois par le départ d’un membre-clé du groupe, n’est pas toujours facile à avaler. Retour sur quelques exemples récents de popisation de l’oeuvre, là où certains diront d’eux « qu’ils ont pactisé avec le diable » et d’autres « que vive le changement, surtout maintenant. » Sur fond de pied de nez, de jeunisation ou de lissage artistique, bien sûr.
Aufgang
On se rappelle du trio Aufgang quitté par sa tête de gondole Francesco Tristano. Ses combats de piano avec Rami Khalifé (le frère de Bachar Mar-) rythmés par la batterie d’Aymeric Westrich ont fait de leur musique un chantier chaque fois excitant. Et qui donnait du grain à moudre en teuf dînatoire. « Est-ce une fusion ? De la techno-classique ? Une musique minimaliste ? Rien de tout ça ? Tout ça à la fois ? » Toute cette branlette intellectuelle aurait-elle fatigué la formation ? Quand Tristano claque la porte, Aufgang décide de continuer sous le même nom et propose, comme premier effort, « Summer » et « Shaman », deux hits de disco pop édulcorée (joueurs et agréables au demeurant) qui jouent des coudes pour entrer dans les playlists estivales. Déception chez les fans hardcore (pas jusqu’à la mort), mais salut distingué des nouveaux entrants. Loin de dire que le groupe tenait essentiellement sur les épaules du pianiste starisé, les buts poursuivis par Aymeric et Khalifé étonnent et divisent. Notre effarement est alors total. Ci-dessous l’un desdits tubes. Et sinon, vous pouvez toujours réécouter un classique.
Portico
Ils ne sont pas les seuls à avoir fait ce doigt de déshonneur aux puristes. Autre fait d’armes du côté du quatuor Portico Quartet, qui était connu pour sa maîtrise du hang (idiophone au son céleste et divin) et son jazz progressif et, il faut le dire, carrément novateur. Nominé pour un Mercury Music Prize pour son premier disque Knee-deep In The North Sea en 2008, il est à l’origine de trois albums plus transcendants qu’une bamboula en compagnie d’un chamane péruvien après avoir vidé la marmite d’ayahuesca (et demandé du rab). On se dit alors que la trompette et le hang se sont mariés pour plaire aux Dieux. En 2014, le joueur de hang en titre Nick Mulvey se casse du groupe. Terminé bonsoir. Un an plus tard, Portico Quartet devient Portico, ersatz de James Blake couplé à du Alt-J. Pour Alt-J, c’était pas dur, ils sont potes et le chanteur Joe Newman chante sur même sur l’une des chansons de leur album. Certes, il y a pire comme association, mais c’en est trop : pour la première fois du côté des fans, ça bippe au portiquo, le groupe est pris en flagrant délit pour « Suivi de la mode ». Une sorte de Black Mirrorisation du produit-musique qui, à tout moment, rentre dans les rangs. Après en avoir écouté la preuve ci-dessous, vous pouvez retrouver une des plus belles choses qui aient existé dans ce foutu monde.
Jeanne Added
Une autre histoire a scindé les fans de la première heure, celle de Jeanne Added, la Rémoise qui a dit au revoir à ses premiers amours jazzeux. Rappelons-nous, c’était au sein du trio Yes Is A Pleasant Country et en solo qu’une partie du public la découvre. Mise en musique de poèmes, elle chante en allemand, en anglais et en français, attire les amoureux de la folk et des coussins bien confortables. Sa voix est authentique et travaillée, déjà belle, et s’envole avec les instruments qui la magnifient. En 2014, elle sort un EP éponyme puis, en 2015, le single « Look At Them » et c’en est fini des petits zoisillons qui volètent au gré du son du saxo. Non, désormais, le piano a été remplacé par le clavier et les machines de Narumi Hérisson et le cuivre par la batterie rock D’Anne Pacéo. Jeanne, quant à elle, ajoute une guitare et un clavier. L’ère de l’électro rock est lancée. S’ensuivra un succès populaire à grande vitesse, l’artiste devient l’une des plus programmées en festival en 2015 et est nominée pour l’album révélation des Victoires de la Musique en 2016 (qu’elle a gentiment laissé à Louane) pour son premier album solo Be Sensational. Pari grandement réussi pour nos petits coeurs qui continuent de fondre devant la puissance de chant. Suite au carton ci-dessous, n’hésitez pas à cliquer sur cet extrait de concert de trio Yes Is A Pleasant Country auquel elle revient parfois.
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