Pratiquée en indépendant, dans des associations, dans des maisons de retraite voire dans des hôpitaux psychiatriques, la musicothérapie s’installe depuis plusieurs dizaines d’années dans le paysage médical français. Son credo ? Travailler via l’écoute, autant que la pratique, pour permettre aux patients de retrouver le bon tempo. Des maladies neuro-dégénératives aux problèmes alimentaires, retour sur une pratique qui cherche à reconnecter les patients au réel, en passant au-delà des mots.
Son geste peut paraître anodin. Pourtant, pour elle, il représente déjà beaucoup. Avec une légère timidité, Delphine approche ses deux mains de nous. Doucement, cette jeune femme, souffrant de la maladie de Hungtinton, les tape l’une contre l’autre. « Avant, je n’arrivais pas à applaudir. Maintenant, de temps en temps, j’y parviens », sourit-elle.
Depuis sept mois, la trentenaire suit des séances de musicothérapie au sein de l’association Un palier, deux toits, à Pézenas, non loin de Montpellier. Victime d’une maladie neuro-évolutive grave qui rend, à terme, toute expression difficile, elle est dithyrambique sur le travail fait avec sa thérapeute. « Elle nous transforme et nous fait du bien, se réjouit-elle. Ça nous aide à prendre confiance en nous et ça nous stimule ! » À côté d’elle, son amie Tiffany acquiesce. Entre deux mouvements incontrôlés, elle lâche un mot sur les pas de « danse » effectués lors des séances. Une aide indispensable pour éviter de tomber dans l’apathie.
Maladie attaquant le système nerveux, la maladie de Hungtinton est souvent associée à celle de Parkinson. Perte de contrôle des gestes, perte de la parole… Cette pathologie se traduit par des niveaux de désarticulation gestuelle et verbale avancés chez les patients, des troubles cognitifs et psychiatriques. « Pour cette raison, nous travaillons beaucoup la rythmicité et la coordination », précise leur musicothérapeute, Élodie Graff. Sa méthode ? Alterner une musicothérapie « réceptive » et « active ». Parfois, les patients travaillent en écoutant des morceaux. Lors de ces séances, la praticienne peut voir les effets de la musique sur eux, sur leur ressenti, ou leur envie de bouger. A d’autres moments, elle privilégie des activités pratiques, suivant leurs possibilités du jour.
Son objectif ? Ralentir au maximum l’avancée de la maladie. Pour cela, elle passe par le jeu afin de garder ses patients motivés. Frapper sur des tambours, chanter… Accueillis en groupe, ils réagissent tous de façon différente. En fonction de l’évolution de leur pathologie, elle adapte son programme pour les faire avancer. « La musicothérapie veut s’occuper des maux au-delà des mots, marque-t-elle. Les patients peuvent passer par la verbalisation, mais ce n’est pas toujours le cas. » Intéressé pour témoigner, un de ses patients, David, a préféré passer par l’écrit, du fait de ses difficultés à s’exprimer. « La thérapie m’a aidé à avoir moins de symptômes de la maladie, moins de mouvements parasites », livre-t-il. Une première victoire contre une pathologie grave et rare qui ne connaît pas de traitement.
« Le cerveau humain est fait pour comprendre la musique »
Comme Élodie Graff, de plus en plus de thérapeutes s’intéressent à la musique pour soigner des patients victimes de maladie neuro-dégénératives. Depuis 2018, une nouvelle formation pour être « neuro-musicothérapeute » est même arrivée en France à l’université de Montpellier. Elle se rajoute aux formations classiques dispensées, notamment, à Dijon et Nantes.
Souvent, la méthode commence de la même manière pour tous. Les praticiens réalisent d’abord un bilan psychomusical avec le patient. Lors de cet entretien, ils cherchent à connaître les goûts, les potentielles expériences musicales mais aussi les aversions des personnes suivies. « Je réalise d’abord un bilan dit « réceptif », pour voir comment ils réagissent. Sur le plan émotionnel, il est intéressant alors de voir ce qui peut sortir d’une écoute », indique Julie Stoutz, neuro-musicothérapeute installée à Lyon. Cette dernière propose ensuite un temps de pratique où le patient joue d’un instrument. « On ne peut pas mentir avec ça dans les mains », ajoute-t-elle. Le thérapeute peut alors observer les réactions et comportements de la personne en face d’elle. Une bonne indication sur son état.
Puis, en fonction des capacités de chacun, de leur aptitude sur le moment, des exercices sont réalisés pour stimuler les connexions neuronales. « Le cerveau humain est fait pour comprendre la musique. Dès que celle-ci commence, il s’embrase », sourit la Lyonnaise.
Praticienne depuis plus dix ans, elle revient sur le travail qu’elle effectue avec une patiente parkinsonienne. Cette dernière ne parvient pas à monter sa cuillère à sa bouche, sans mettre de la nourriture à côté du fait de tremblements. Pour travailler la précision du geste, elle l’exerce à bouger sa cuillère, sans mettre en mouvement des grelots. Souvent, dans le même temps, la soignante musicienne peut marquer une rythmique via des percussions. Objectif : que cela serve de repère ou, en terme thérapeutique, « d’ancrage ».
Parkinson, une « maladie du rythme »
De cette façon, certains praticiens travaillent avec le rythme pour pousser des malades à passer par la parole. Parmi les exercices possibles : le fait de faire parler ou de faire chanter des patients ayant des difficultés à s’exprimer sur le tempo d’un métronome. « Et là, automatiquement, leur voix est plus forte », constate la thérapeute. Le patient peut ainsi se reposer sur le rythme. « La mémoire du corps est importante, on joue là-dessus, reprend la thérapeute. L’idée est que cette petite musique revienne automatiquement dans ces mouvements quotidiens. » Chez certains patients, les mélodies réveillent ainsi des capacités que beaucoup croient perdues. Avec, parfois, des résultats impressionnants. Suivant leur réceptivité, certains, incapables d’articuler correctement avant la thérapie, redeviennent audibles (voir à ce sujet cette vidéo).
« La pathologie de Parkinson est une maladie du rythme », analyse Émilie Tromeur-Nararesi, praticienne dans le Jura. Ses patients travaillent aussi souvent avec un métronome. Après les avoir fait marcher sur dix mètres, elle établit avec eux un « tempo pulsatif » correspondant à leurs capacités. Puis, ces derniers doivent avancer en le suivant. Concentrés, ils lèvent alors plus haut leur pieds, et retrouvent de la vitesse et de l’autonomie. « Il peut y avoir un côté baguette magique », sourit la praticienne.
La musique pour quitter ses angoisses
« Quand on les regarde faire, on a parfois le sentiment qu’il suffit de tourner le bouton de radio dans un sens pour aider le patient, commente Bertrand Devos, médecin coordinateur de l’hôpital de jour à la clinique Jouvence Nutrition, à Dijon. Sauf que ce n’est pas si simple. » Dans cette institution spécialisée dans l’accueil de patients victimes de troubles alimentaires (anorexie mentale, boulimie, etc.), il constate les bienfaits de cette thérapie « complémentaire » encore peu documentée, selon le docteur, mais aux résultats certains.
Ainsi, une de ses patientes, Fanny, 35 ans, a été particulièrement réceptive aux airs de la « musico ». Grâce à cette thérapie, elle a réussi à réintégrer son appartement. Jusqu’à récemment, ses crises d’angoisse étaient trop violentes pour lui permettre de revivre seule. La diction lente, du fait de ses difficultés, elle nous explique avoir découvert une manière de se reposer. « La musique me détend et me vide la tête, lâche-t-elle. Quand je fais ça, le cerveau ne réfléchit pas à autre chose. »
Depuis le début de son suivi, elle réutilise ses exercices musicaux pour s’apaiser. Quand son anxiété est trop forte, elle met de la musique et avance en fixant un point dans la salle. Une aide qu’elle a mise en place avec sa musicothérapeute.
Puis, après des séances collectives, Fanny s’est mise à travailler la voix en tête à tête avec sa musicothérapeute, Lise Henry. « C’est une technique qui permet de mobiliser sur le plan physique et psychique, reprend cette dernière. Il y a un aspect décharge émotionnelle. » Habituée à être dans le contrôle, Fanny est amenée à se lâcher et à se laisser aller à l’improvisation. Un sacré défi pour elle. « C’est un atelier que je redoutais et qui me faisait peur. Et, en même temps, j’en ressens les bénéfices », admet-elle. Par le chant, sa thérapeute la libère de sa volonté permanente de maîtrise. Fanny, elle, redécouvre ses capacités à se dépasser.
« Nous ne sommes pas là pour faire du beau, mais du soin »
Se détendre, travailler la concentration, retrouver de la confiance en soi, créer du lien social entre des malades isolés… Si, de l’avis d’une professionnelle, il y a « autant de musicothérapies que de musicothérapeutes », leurs objectifs se ressemblent. « Avec une jeune fille, nous avons travaillé le contrôle émotionnel », explique Audrey Gardenat, neuro-musicothérapeute officiant à l’hôpital psychiatrique du Vinatier, à Lyon. Souffrant de dyslexie, de troubles du déficit de l’attention et de graves retards de développement, cette dernière avait une proportion à perdre le contrôle, via des crises, ou en étant très tactile avec certaines personnes, sans avoir demandé leur consentement. Pour travailler cette question, elle devait poser une note pour chaque émotion sur un instrument. Une manière de les accueillir, de les accepter et de les fixer, sans passer par un langage, difficile à maîtriser pour elle. La musique prend alors pleinement son rôle de « médiation » pour permettre à la personne de se contrôler et de communiquer.
« Comment je peux agir sur une émotion au lieu de la subir ? C’est aussi là-dessus que l’on travaille, souligne sa consœur lyonnaise, Julie Stoutz. Notre but est non-musical. Nous ne sommes pas là pour faire du beau, mais du soin. »
Des victimes de burn-out aux enfants ayant des troubles de l’attention, le spectre des maladies pouvant être accompagnées via cette méthode est gigantesque. Reste à la faire accepter. Existant depuis le début des années 50 en France, la musicothérapie n’est pas accueillie de la même façon par tout le corps médical. « Disons qu’il y a des médecins avec qui je sais que je peux travailler, et d’autres non », constate Audrey Gardenat, une des rares praticiennes interrogées à travailler dans une institution publique.
Se structurer pour être mieux reconnu
Pour gagner en légitimité, la profession s’organise. Via la Société Française de musicothérapie (SFM) et la Fédération Française de Musicothérapie (FFM), elle essaye de faire entendre sa petite voix aux oreilles des dirigeants. « La musique est au centre de nombreuses recherches. Son effet dopant pour le cerveau n’est plus à prouver », marque Émilie Tromeur-Nararesi, également présidente de la FFM. La fédération a rédigé un code de déontologie, un référentiel métier et travaille sur un « référentiel formation » pour être davantage visible.
Aujourd’hui, sa présidente demande au gouvernement la protection du titre de musicothérapeute. Une façon d’éviter des « dérives sectaires » mais, surtout, de renforcer la confiance du grand public dans cette thérapie. Pour cela, elle peut compter sur un nombre croissant d’adhérents. De 30, en 2005, la fédération est passée à 183 membres, en 2017, puis à 312 en 2021. Un signe de l’engouement pour la discipline comme de la volonté de se structurer. « Quoi qu’il arrive, un travail avec la musicothérapie ne peut-être que meilleur, commente le docteur Bernard Devos. Au pire, nos patients trouvent de l’apaisement. Au mieux, on va vers de potentielles rémissions. »
Une réalité facilement visible en Ehpad. Avec son balafon, un instrument en bois proche de la famille du xylophone, Julie Stoutz rend régulièrement visite à des personnes, parfois, en fin de vie. En groupe, elle fait jouer d’abord les personnes âgées, en les poussant à l’imiter, puis elle les fait chanter. Du tango, du sirktaki, mais aussi de l’électro avec le DJ et producteur Petit Biscuit par exemple… Les anciens s’animent alors. « Souvent, c’est d’abord chouette pour les équipes médicales, indique-t-elle. Ces personnes âgées ne parlent presque plus. Pourtant, elles se mettent à chanter et à bouger grâce au son. » Pas de doute : « Quand on écoute ou on fait de la musique, ça créé de la dopamine. »
Sur ce point, les patients semblent convaincus. « Elle a changé nos vies », se réjouit Delphine, touchée par la maladie d’Huntington, en parlant de sa thérapeute avec le sourire. Touchée par une maladie où le risque de dépression est important et peut être mortel, la musique lui apporte en tout cas régulièrement un élément crucial pour s’en sortir : la joie.
Photo en une : Lors d’une séance avec une personne âgée © World federation of musicotherapy
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