Breaking, locking, house et popping… Ces mots vous semblent tout droit sortis d’une conférence issue de la start-up nation ? Vous avez tout faux, c’est même l’inverse : ces formes de danse sont des souffles de vie dont la puissance fait taire le ronron des mac books en salle de réu. Du jeudi 20 février au dimanche 1er mars se tiendra un grand moment de danse hip hop à Nantes, dans le cadre du Festival Hip Opsession Danse. On vous retransmettra l’événement en direct. D’ici là, un peu d’histoire, avec le témoignage de son programmateur, Pierrick Vially.
Dans les années 80 du libéralisme à la Reagan, du laissez-faire et du néo-conservatisme, les États-Unis connaissent moult bouleversements culturels, que l’élite gouvernementale aidée pourtant par un acteur à succès n’avait pas vraiment prévu. Le CD ramène alors ses plus belles pelles pour enterrer méticuleusement le vinyle alors que Michael Jackson et E.T. écrasent la pop mondiale.
C’est aussi le moment des confirmations dans la musique. Celle du reggae, dont les têtes de proue Jimmy Cliff, Peter Tosh ou Burning Spear, prêchent la bonne parole par-delà les continents, ou la soul et le disco qui font leur mue et s’appellent désormais funk et house. Celle du hip hop surtout, qui a déjà une décennie derrière lui : on parle de new school – quand certains pensent toujours à des délires psychotiques de jeunes désœuvrés criant leur rage comme on a une poussée de dent. Mieux, il existe de nombreux sous-styles au hip hop, lui-même inclus dans une culture, plus large.
À cette époque, si les fameux graffitis remontant à la Grèce antique font principalement parler les spécialistes de l’art, écœurés qu’on salisse les murs de leurs musées poussiéreux, on parle moins – dans les réseaux académiques – d’une nouvelle forme de danse qui éclate tous les codes de bienséance. Apparues dans les années 70, le breaking, le locking, la house et le popping attendent les années 80 pour connaître leur renommée populaire, leurs compétitions internationales et leurs danseurs·ses confirmé·e·s.
De ces flamboyants rassemblements mondiaux sont issus leurs pendants français, dont les participants n’ont pas pas vraiment prévu de raccrocher les sneakers. Seconde terre du hip hop dans le monde, la France peut se targuer de gargantuesques événements comme Juste Debout ou Battle Pro. À ce propos, l’association culturelle nantaise Pick Up Production célèbre à sa façon lui aussi les danses hip hop depuis plus de 15 ans, notamment à travers son festival annuel Hip Opsession. D’abord centré sur un temps fort en début d’année, réunissant musique et danse, l’équipe organisatrice a tenu à bien séparer les deux. Tout cela nous amène à l’édition du Battle Opsession 2020, dans le cadre du Festival Hip Opsession Danse nouvelle mouture, qui se tient du jeudi 20 février au dimanche 1er mars 2020, et que notre équipe a prévu de vous diffuser en direct. Comme l’année dernière ? Presque : cette fois-ci sur les pages Facebook de France 3 Pays de la Loire et Sourdoreille.
Afin de bien préparer ce grand événement, nous avons échangé avec Pierrick Vially, son programmateur, pour parler de danse hip hop, en toute décontraction.
Interview : Pierrick Vially
Quel est votre premier souvenir lié à un battle de danse hip hop ? Qu’est-ce qui vous a marqué à ce moment-là ?
D’abord les cassettes vidéos. Des amis m’ont mis dans les mains à l’adolescence des cassettes de Bboy Summit ou du Battle of the Year. Fin des années 90, début 2000. Il y avait aussi la cassette de la tournée NTM 1998 avec les danseurs de Aktuel Force, et puis la scène de danse du film La Haine avec le son de Roger Troutman. Comme je venais de la campagne et sans internet à l’époque, tout s’est fait par la cassette.
Quand datez-vous les premières compétitions telles que celle que vous proposez ? Où avaient-elles eu lieu ?
Difficile de dire quand cela a réellement commencé aux Etats-Unis, je ne suis pas historien de ce mouvement et les avis divergent sur la question. Je sais que le BOTY (Battle of the Year) a débuté début 90’s en tant que compétition internationale. Le premier événement assez énorme proche de chez moi c’était Total Session, à Grenoble, qui a débuté fin 90’s. En 1984, avec l’émission H.I.P.H.O.P. en 1984 on mettait déjà en scène des battles, donc l’underground français était déjà actif début 80’s.
https://www.youtube.com/watch?v=zOxkcuYXEY8
J’imagine que le milieu de la danse en général n’a pas accueilli avec grande joie les prémices du break, de la danse acrobatique, popping, locking, house. Entre le milieu de la danse classique ou contemporaine et le hip hop, a-t-on pu constater un mépris de classe par le passé ? Comment les mœurs ont-elles évolué à ce sujet ?
Tout ce qui est nouveau dérange. Mais comme à chaque fois, pour le rap, le graffiti ou la danse, le Hip Hop a imposé ses codes à l’ensemble des sociétés pour ensuite devenir incontournable. Ce ne sont pas des danses académiques, vues comme savantes, ça peut donc poser problème dans un état qui a son propre Ministère pour traiter de la Culture. On a toujours parlé du hip hop comme d’une mode, mais après 40 ans d’activité en France, on ne peut plus faire sans et on retrouve des chorégraphes hip hop à la tête de Centre Chorégraphiques Nationaux. S’il faut encore beaucoup de pédagogie et de patience pour défendre notre art auprès de certains décideurs culturels en France, les moeurs ont évolué positivement.
Depuis, suivez-vous ce qui passe sur cette scène de danse, au niveau mondial ? Que pouvez-vous nous en dire, pour la dernière décennie tout du moins ?
Oui je suis toujours avec attention le mouvement. Mais il est parfois difficile d’être à la page tellement les évolutions sont rapides. Sur les dix dernières années, on constate que les places fortes restent les USA, la France, la Russie, le Japon, la Corée du Sud. Mais on a également vu des scènes exploser comme l’Ukraine, le Kazakhstan, les pays d’Amérique du Sud… Il y a 3 mois j’étais à Taiwan et rien que dans la capitale Taipei il y a plus de 4000 bboys et bgirls. Ce mouvement est global et aucun pays n’y échappe. Avant on croyait que tout avait été inventé, mais avec internet on se rend compte que les nouvelles générations sont encore plus incroyables que les précédentes et qu’un nouveau mouvement apparait sur YouTube toutes les semaines.
Comment se positionne la France dans les différentes disciplines que vous proposez ?
La France est une grande terre de danse. On a toujours parlé de la France comme la deuxième terre du hip hop, pour la danse c’est pareil. Les Français ont su développer une identité et une mentalité différentes d’ailleurs. Même en France il y a des styles de danses et des attitudes différentes qui caractérisent les danseurs selon leurs villes d’appartenance. Ce qui est frappant, c’est que les Français sont forts dans tous les styles, du breaking aux funkstyles (popping, locking) en passant par les danses comme la house dance ou le hip hop. En terme d’événements, Juste Debout est peut-être le plus grand événement mondial (tous les ans à Bercy) et d’autres comme le Battle Pro ou Hip Opsession sont connus dans le monde entier.
Pour la première fois, le Battle Opsession est organisé d’un bloc, séparé de la programmation musicale ayant lieu plus tard dans l’année. Comment a été accueilli ce changement important par votre équipe, les danseurs, le public ?
Le changement est très bien accueilli, la démarche est comprise. Mais nous ferons le bilan à la fin de l’année pour voir si ce choix est le bon côté public. En séparant les disciplines, on a voulu mieux les traiter intrinsèquement et proposer une immersion plus importantes en faveur différentes communautés (les danseurs, les amateurs de rap…). Le danseur étranger ou du coin qui vient habituellement sur deux jours de battles peut rester dix jours à Nantes pour participer à des stages, aller voir des spectacles, danser librement dans les nombreuses soirées proposées… L’expérience est enrichie.
Si la prog musicale est certes ultra importante dans votre activité, on nous parle souvent du Battle Opsession comme du pilier de vos événements. Le plus impressionnant, populaire, originale… Confirmez-vous cette idée ?
C’est un événement qui est devenu international avec le temps, qui bénéficie d’un rayonnement exceptionnel et qui rassemble plus de 200 danseurs chaque année. C’est aussi celui qui nous demande le plus gros travail de préparation et qui reste le plus attendu par les petits nouveaux de notre association comme par les dinosaures dont je fais parti. La danse a cette particularité d’apporter de la joie, du lâcher prise mais aussi du défi et de la provocation. On en ressent pas ce genre de sensations lors de concerts.
Quels crews, danseuses ou danseurs nous conseilleriez-vous de regarder attentivement ?
Difficile de citer des noms. Les invités font tous parti des noms à suivre en 2020. Cheerito, qui est déjà venu plusieurs fois, est un phénomène russe qui surprend par son originalité sans limite. San Andrea est la meilleure bgirl française depuis plusieurs années et l’une des meilleures au monde aujourd’hui. Kanon est double vainqueur de notre catégorie Hip Hop et revient après 7 ans d’absence, Denko est un visage moins connu mais qui nous a traumatisé cet été sur un événement en Allemagne, la danse de Sonya rend tout le monde fou au bureau… C’est forcément subjectif et chacun ramène son identité dans le cercle.
La danse hip hop a pas mal squatté le cinéma, avec la concernant des choses à boire et à manger. Nous conseilleriez-vous 3 films de fiction à se mater pour patienter ?
Je ne suis pas un grand fan des films sur la danse hip hop, surtout si ce sont des fictions. Je vous conseille plutôt d’aller voir les vidéos « Street Off » de Lilou, bboy de Lyon qui parcourt le monde pour transmettre sa passion. On se rend compte à quel point ce mouvement est mondial et les valeurs qu’il défend. Allez aussi regarder le DVD de IBE 2004, l’un des événements les plus dingues que j’ai pu voir. En 3, promenez-vous sur l’Instagram et le site de I Love This Dance, développé par Vicelow et qui est une plateforme parfaite pour découvrir les danses « debout ».
Crédits photo en une : Battle Opsession 2019 – J2 © David Gallard
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