Pour une partie des usagers du métro parisien, en particulier de la ligne 2, Mohamed Lamouri fait partie intégrante du quotidien. Sa peine et ses poètes trouvent un écho étrange dans les trémolos de sa voix et les défauts de son orgue électronique. Derrière son regard assombri, l’un des plus populaires chanteurs de la capitale a sorti une « tape » numérique de huit titres à écouter d’une traite où l’on croise les Eagles, Michael Jackson et un chanteur de raï romantique mort pour la liberté.
Forcément, comme le SDF en bas de chez soi, l’agent d’entretien au bureau ou à l’école, on a souvent plus de chances de croiser certains musiciens de métro que ses potes de longue date, des membres de sa famille, son patron ou tout l’attirail d’administrés (banques, assurances, proprios, etc) sensés s’occuper de notre bonne intégration dans la société (…). Un constat naïf mais frappant sur notre rapport à l’humain, n’est-ce pas ?
Ce rêve blues
Né en 1984 à Tlemcen, en Algérie, Mohamed commence à chanter à 5 ans et apprend le synthé à 11 ans. Précoce. Arrivé à Paris en 2003, l’artiste malvoyant des suites d’une opération qui a foiré joue de son orgue électronique usé et réparé avec des bouts de ficelles dans le métro parisien et dans la rue à l’approche des beaux jours. En 2012 au bar Le Zorba à Belleville où il a ses habitudes et où il se produit de temps en temps, il donnait une rare interview au Bondy Blog de Libé (chose qu’il ne fait quasiment plus aujourd’hui, par timidité). Il confie : « ça fait 8 ans que je vis en France. Je suis hébergé chez un oncle qui habite en Seine-Saint-Denis. Ici, je suis heureux car je me sens libre (…) Mais si je suis venu à Paris, c’est surtout pour réaliser mon rêve : percer dans la musique… »
Son répertoire est partagé de compos et de covers (très) personnelles chantées en arabe. Ce qui frappe principalement, c’est une voix sur le fil. Un cafard à faire pleurer parmi les plus insensibles. Simplement, on se regarde interloqués de cet étrange moment. Certains se sentiront mal à l’aise : on est rarement prêt à tant de peine. Parmi ses covers, le tube « Hotel California » des Eagles ou « Billie Jean » de Michael Jackson. Une session vidéo a notamment été réalisée et mis en avant-première sur Noisey l’année dernière.
Cheb Hasni
Mais sa principale inspiration vient de Cheb Hasni. Chanteur algérien surnommé le « rossignol du raï » ou le « Julio Iglesias du raï », il donne à cette musique ses lettres de noblesse en mettant en avant un amour libéré, les plaisirs du sexe et la consommation d’alcool. En 1994, Cheb est assassiné à Oran devant le domicile de ses parents, à l’âge de 26 ans. Si les conditions de son assassinat restent inconnues, beaucoup pointent du doigt les islamistes radicaux qui n’ont pas apprécié son morceau « Beraka » – si ce n’était que cela.
En effet, en janvier 2016, à l’occasion du concert anniversaire des 30 ans du raï au Zénith de Paris, l’historien et parrain de l’événement Benjamin Stora déclarera pour l’humanite.fr :
« Son assassinat est advenu durant la décennie sanglante qui allait faire cent mille morts. Les années 1980 ont été celles de l’effervescence sociale, politique et culturelle en Algérie. Il y a eu les luttes féministes, les bases posées pour une première ligue des droits de l’homme en 1984, les grandes manifestations, etc. La répression féroce n’a pu contenir la soif de liberté. La montée en puissance du raï s’est opérée en même temps que la conquête du multipartisme, la liberté de la presse… » Un an plus tard, le producteur de raï Rachid Baba Ahmed mourra dans les mêmes louches conditions. Mohamed Lamouri porte aujourd’hui ses pères dans ses chansons remplies de chagrin, d’amour et de fébrilité.
La tape
Beaucoup l’attendaient : la musique de Lamouri s’écoute maintenant en ligne suite à un enregistrement de huit morceaux en une prise le 21 mars 2014 par Audrey Ginestet (bassiste du groupe Aquaserge) au Parc des Buttes Chaumont à Paris. En avril 2016, l’artiste présente MOMOstLAMOURI, un enchaînement de morceaux qui se présente comme une « tape » – une cassette – comme pour rappeler que le raï, à l’instar des autres courants musicaux africains, a été distribué à ses débuts sur des cassettes. Même si cette fois, cette tape est uniquement numérique, on ne peut pas ignorer le clin d’œil. Quatre notes suffiront à ses textes et sa voix de résonner dans les têtes, entre deux pliages de strapontins, entre deux embrouilles matinales. On doit la mise en ligne de cet « album » à La Souterraine, qui met en avant la chanson expérimentale, française et francophone.
Sur écran et sur les planches
Ses prestations sur la ligne 2 du métro en ont fait une star locale mais surtout Populaire avec un grand P. Sa démarche a ainsi attiré des curieux de sa fragilité. L’ovni Lamouri et ses simples mélodies d’un autre monde. Le Zorba, évoqué plus haut, temple des afters bellevillois mais aussi bar estimé des soirées sera le théâtre de ses concerts. Le réalisateur marocain Ayoub Layoussifi le filmera dans Dis-moi Mohamed… Le documentaire de 28 minutes est d’ailleurs en ligne, visible intégralement sur YouTube.
Il apparaît également dans le long métrage Rives d’Armel Hostiou, qui se présente comme un drame, un rêve éveillé avec très peu de dialogues et beaucoup de musique. Il jouera enfin sur un plateau de danse et théâtre avec Des filles des choux, Des gars des roses de la Cie La Halte-Garderie – Johan Amselem.
Photo : DR
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