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Minimalisme, jazz électro, impros : comment Odei risque sa peau en concert

Amoureux du minimalisme et des musiques improvisées, venez par ici. Trois Basques ont sorti un disque absolument fameux qui donne envie de fermer les yeux en pensant fort à Pluton. Il y a de la batterie, du piano, des machines et un logiciel infernal nommé José qui a décidé de les contrôler tous les trois. A moins que ce ne soit l’inverse. Signé sur le label du festival Baleapop, le trio Odei a bien voulu passer nous voir au bureau pour discuter de musique.

L’heure est grave. A l’heure où l’image de l’individu, son image-reine, calibrée, carrée, toujours positive, est devenue la base d’une idéologie selon laquelle rien ne doit dépasser, il est temps de rendre grâce aux Gaston Lagaffe de la vie, ceux qui, contraints ou volontaires, se prennent les murs de la destinée en souriant, malgré la raréfaction progressive de leurs dents de devant.

Vous les reconnaîtrez : ils vous regardent la plupart du temps de traviole, car l’imagination est à 3 centimètres à gauche des yeux humains, c’est bien connu. Ils ont l’air très concernés par des choses qui ont l’air parfaitement futiles pour qui ne sait observer, s’excitent d’un coup d’un seul sur le mouvement d’un cil. Cette espèce d’explorateurs cherche l’imprévu comme d’autres se ruent sur l’or, dans le creux d’une vague, dans l’exposition d’un rocher au soleil, dans la forme de la pelure d’une orange. Fun fact : ils sont capables de vous tenir la jambe pendant des heures sur le son du vent, l’odeur du matin, l’ondulation de la foule. Ceux-là détestent les généralités, ou en tout cas, qu’on les considère comme générales. Parce que tout est détail.

En musique, il est de ces aventuriers qui décident de travailler sur un matériel mouvant. Dans le jazz ou les musiques électroniques, dans la musique contemporaine ou classique, ils n’ont pas plus grand plaisir que de s’oublier. S’oublier pour mieux tripper, certes, mais s’oublier soi, en tant qu’individu, pour mieux communiquer avec les autres. Le langage de l’improvisation musicale est un sur-langage céleste dépassant de loin la connexion que peuvent établir deux êtres humains en discutant. Il est celui qui défie la modernité. Il est un bras d’honneur à la limitation kilométrique des mots.

Dans cette veine, Odei est pas mal dans son genre. Inspiré par les répétitifs américains et l’écurie Border Community, il sort son deuxième disque Andde, qui fait suite à BAT, dont la sortie s’est déroulée le 25 avril dernier sur le label Moï Moï Records, géré par le collectif organisateur du festival Baleapop. Fans de la première heure du trio (suite à une tarte sans commune mesure prise à Bidart en 2013), on a tenu à le rencontrer. Dans cette interview, on rend hommage (oui, encore) à James Holden, le maître des musiques improvisées, on évoque les minimalistes Steve Reich et Terry Riley, et surtout on vous apprend comment ces grands malades ont mis au point un concert qui se joue à la grande loterie de l’impro.

On laisse donc la parole à Arnaud Biscay (batterie) et Maxime Hoarau (piano) ; Manu Matthys (machines) n’ayant pas participé à l’entretien.

@LaurenceRevol_ODEI2018_27HD

Odei, par Laurence Revol

INTERVIEW

Pouvez-vous me dire quelques mots sur votre Pays Basque natal ?

Arnaud Biscay : On a grandi ensemble avec Max, on était à la même école maternelle, primaire, dès l’âge de 3 ans. On a grandi au Pays Basque, à Hendaye sur les plages, à côté des montagnes. Jeunesse dorée. On a commencé la musique ensemble, Max à 6 ans, moi plus tard.

Maxime Hoarau : On jouait beaucoup tous les deux, ensemble.

Comment avez-vous appris la musique ?

Maxime : On était au conservatoire. Du classique et jazz jusqu’à 18 ans. Puis on a décidé de monter à Paris pour faire plutôt du jazz.

Arnaud : Parce qu’il y avait une proposition ici qui était bien plus forte. Des professeurs, notamment. On aurait pu aller à Bordeaux ou à Lyon mais on s’est dit que Paris était le top.

Maxime : C’est à ce moment-là qu’on a rencontré Manu, qu’on connaissait un peu du Pays Basque, il est de Saint-Jean-de-Luz. C’est là, à 18 ans, qu’il nous a fait découvrir la musique électronique et les machines.

Arnaud : Nous, on était des puristes jazz. On n’écoutait pas beaucoup de musique électronique, pas beaucoup de rock. Depuis qu’on est à Paris, les choses sont parties dans tous les sens. Manu voulait intégrer des instruments acoustiques et jouer avec des instrumentistes, et nous on s’est vachement intéressés à la techno.

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Odei, par Laurence Revol

A cette époque, avez-vous déjà des exemples de liens entre jazz et musique électronique ?

Arnaud : On parle de jazz, là, mais on compte aussi la musique contemporaine et répétitive. On était fans de Steve Reich par exemple. On avait déjà des points de rencontre entre musiques acoustiques et électroniques.

Maxime : Celui qui est une référence dans la musique électronique et qui le reste pour nous actuellement, c’est James Holden.

Vous jouez déjà une musique minimaliste, à l’instar de Terry Riley ou Steve Reich. Vos morceaux, comme les leurs, ont-ils vocation à être étirés dans le temps ?

Maxime : Le premier album était vachement « composé ». Depuis, on a développé une manière en live où tout est improvisé, on a un logiciel maison qui nous permet ça.

Arnaud : Oui, c’est important de rappeler comment on faisait avant ce logiciel. Tout était carré, on avait juste ajouté du vibraphone, de la batterie et des machines mais on composait un live.

Essayons d’être didactique, je cite votre communiqué : « Alors qu’Arnaud Biscay et Maxime Hoarau s’affairent à leurs instruments, Manu Matthys réinterprète leurs séquences en direct, moyennant quelques secondes de latence, sur un logiciel, Antescofo, conçu à cet effet par José Echeveste (4ème membre virtuel du groupe). » Qu’est-ce que c’est que cette histoire ?

Maxime : José était chercheur à l’IRCAM et il vient du même bled que nous, comme son nom l’indique. Il a développé un code pendant sa thèse pour un logiciel qui permet, dans le groupe, à Manu de ne pas avoir de phrase pré-enregistrée dans ses machines.

Arnaud : En gros, on voulait que lui aussi puisse improviser. Il touche les filtres sans savoir ce qui va sortir en son.

Maxime : Il a juste des synthés qui doivent recevoir du MIDI. On ne voulait pas que le MIDI soit du préfabriqué. Le résultat, c’est que tout ce qui rentre dans ses machines comme phrase MIDI, c’est nous qui le composons en direct grâce au logiciel de José. José, sur le moment, il ne fait rien, il a juste fabriqué le logiciel – attention, c’était pas une mince affaire, et il est pas si facile à utiliser – mais il est clairement le quatrième membre du groupe. Il nous empêche de préparer quoi que ce soit en concert.

@LaurenceRevol_ODEI2018_07HD

Odei, par Laurence Revol

Arnaud : Pour répondre à ta question précédente, on a déjà pris des morceaux qui étaient dans le disque précédent et grâce à ce logiciel, on a pu leur donner une nouvelle vie. On voulait que chaque live soit unique. Quand il était prévu sur l’ordi… bon c’est bien, mais on avait envie de se mettre en danger.

Maxime : Non seulement les lives sont différents mais de temps en temps on arrive sur scène, et on ne sait pas ce qui va se passer. Parce que si Arnaud réagit de telle façon, je vais répondre autrement, etcetera.

Arnaud : Maxime m’envoie des notes que je ne connais pas, Max m’envoie des rythmes que je ne connais pas. Et Manu reçoit des notes et des rythmes qu’il ne connaît pas.

Comment est-ce possible alors d’être toujours à peu près calé ?

Arnaud : Il y a un kick droit qui fait le métronome. Mais c’est pas un kick électro, c’est moi qui le joue.

Maxime : C’est un clic. Mais on peut jouer sans. Un premier élément super simple va arriver, puis il va être modulé par les notes, puis par les timbres, puis la séquence qui en résulte aura un certain timbre, moi je vais jouer par-dessus en introduisant un rythme qu’Arnaud va jouer, le tout va partir en MIDI dans les machines de Maxime.

Vous parlez de « latence » dans votre musique. D’où vient-elle ?

Maxime : Elle est simplement dans nos cerveaux. Attention quand on fait une action, elle arrive au bon moment. C’est simplement la latence d’êtres humains qui improvisent ensemble.

Arnaud : Le temps que l’autre capte ce que je vienne de jouer… ça se joue dans le regard aussi. Ça nous impose d’être toujours alertes. C’est 1h de live super intensive.

Maxime : Tu ne peux pas te reposer sur un truc.

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Odei, par Laurence Revol

C’est une épreuve physique votre concert ?

Arnaud : C’est ça. Et puis il y a aussi l’envie d’accepter l’imprévu. Des fois, j’essaie un mouvement mais l’autre ne l’a pas entendu ou suivi.

Maxime : Il y a des choses qui ne marchent pas mais il faut rester sans jugement. Ça ne peut pas faire un truc cool tout le temps.

Vous citez souvent la figure de James Holden. Que représente-t-il pour vous ?

Maxime : On l’a rencontré à Baleapop et aux Nuits Sonores. Il échangeait pas mal à l’époque avec Manu quand il faisait des tracks sous son nom. En fait, notre nouveau disque, on ne l’a envoyé qu’à lui. Et il l’a beaucoup aimé. J’étais très fier. Je dirais que c’est un maître pour l’aspect composé et improvisé qu’il apporte dans la musique électronique. Entre musique savante et énergie brute. Il a une réflexion super avancée sur la musique en général.

Arnaud : Il s’est beaucoup intéressé aux musiques traditionnelles d’Afrique du nord. Il a intégré ça dans ses rythmiques.

Maxime : Quand on a commencé à mélanger les machines et les instruments, c’était un peu dans l’air du temps mais pas vraiment comme l’aimait. On avait l’impression que dans ce type de rencontres, c’était un mec qui composait un track électro avec des gens qui se greffent dessus. Nous, on voulait un vrai truc à trois où les machines et les instruments ont tous la même place. Et ça dans l’album de Holden, c’est vraiment comme ça. C’est un orchestre entier de timbres.

Photos d’Odei par Laurence Revol

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