Quand on rame à contre-courant, on a une mesquine tendance à ramer toujours plus fort, sans pour autant avancer. Voici le récit de vingt minutes de discussion commentées pour que, jamais plus, des interviews de cette sorte n’existent dans ce monde. Ni oubli ni pardon, face à MGMT.
On a beau dire, l’interview est un exercice souvent feignant qui permet à une tapée de journalistes ne pas avoir à se torturer les méninges – et laisser l’autre faire. Il n’empêche qu’il peut aussi se dévoiler extrêmement périlleux. Quelques entretiens prévus en dernière minute et réussis avec mention peuvent donner de mauvais signaux à notre reporter trop confiant.e. Ainsi, quand un papier raté peut vous valoir une dose non négligeable d’insultes sur les réseaux sociaux ou de vous griller de vos confrères et du public, une interview ratée vous ramène à la frontale réalité de la vie. Quand on dit une connerie, on la paye. Face à face.
Mais ne craignez rien rédactrices et rédacteurs de tous pays, vous avez une chance fabuleuse : vous pouvez réécrire à votre complet avantage les instants les plus gênants de vos rencontres. Elle est belle l’éthique du journalisme 3.0, hein ?
Lors de cette entrevue avec MGMT, ça n’est pas la gêne qui est au centre de la discussion, plutôt sa plate linéarité qui tranche avec la grande classe d’un nouvel album, Little Dark Age. Plutôt que de vous laisser croire que nos questions sont intéressantes, on préfère vous donner d’autres clés de lecture. Moins à notre avantage ? Pt’être ben qu’oui. Pt’être ben qu’non.
Interview MGMT
Après s’être enquis de la bonne tenue du voyage du groupe en classe affaire pour des journées promo dans des hôtels de luxe, le b.a-ba de l’interview musique peu préparée est de poser à son interlocuteur cette question essentielle à la survie des dauphins : mais combien de temps mazette votre groupe a-t-il mis à composer ce disque ? Parce que, vous en conviendrez, s’il a été composé en 2012, le contexte économique et politique étant complètement différent, le résultat en aurait été tout autre. Et par-dessus le marché, je vous en conjure, ne me dites-pas que certains morceaux ont été récupérés d’un disque dur qui traînait depuis un ou deux quinquennats… Parlez !
– On l’a fini en juin 2017. On a bossé quelque chose comme deux ans dessus, mais surtout pendant un an. On a fait une pause en 2015.
– J’ai déménagé à LA, repris une vie normale. Et après, c’était reparti.
C’est le moment d’enchaîner, de combler ce précieux temps. Objectif : mettre tout le monde à l’aise. En interview, les pensées fugaces sont salvatrices : mais que peuvent donc bien faire des stars de la pop en 2015 pour occuper un temps de pause après avoir ratissé la Terre entière, assisté à des spectacles de chemises de nuit mouillées des fans tokyoïtes, dû se frayer un chemin pour retourner au taxi qui attendait backstage d’une salle d’une grande ville européenne? Le peuple a besoin de savoir. Alors le groupe ironise : c’est normal, c’est simplement con comme question.
– De la décoration d’intérieur. Après nos déménagements, il fallait se sentir bien dans nos nouveaux chez nous.
– Mais on aime bien s’impliquer dans d’autres domaines artistiques autour de MGMT, comme dans nos clips.
Nouvelle passerelle possible vers un sujet plus stimulant et auto-centré que le design de salon, le clip. Ce qu’il faut donc lire entre les lignes, c’est que le temps libre de ce groupe flamboyant réside également dans la réflexion autour de ses propres clips, pourtant réalisés par un autre ?
– Oui, absolument.
Blanc.
Little Dark Age est un hommage à The Cure. Note : ça aurait été super de le savoir avant.
On ne sait jamais quand les blancs vont arriver. Quand ils se manifestent, mieux vaut avoir une cartouche. Cette cartouche, c’est la fameuse seule question que vous aviez préparée (en gras, police 22) : Little Dark Age, nom de leur album, réfère aux épisodes de dépression d’une vie. Puise-t-il son histoire directement dans les parcours personnels de ses membres ?
– C’est assez multiple. Il y a définitivement un aspect personnel. Entre notre dernier disque et le début de la période de composition de celui-ci, on était forcément dans une zone grise et déstabilisante. Beaucoup de doutes, peu de confiance en nous et en nos capacités artistiques.
La période de composition (ou de remise en route de la machine artistique) étant souvent pour les musiciens synonyme de retour de la confiance, les gars de MGMT ne pouvaient qu’être heureux de se remettre au boulot. Et ça se sent en leur parlant. Ça serait presque contagieux si tout le monde avait vraiment bossé dans cette pièce.
– On a réussi avec les années à se faire plaisir sans laisser trop de place à la frustration, à avoir plus d’emphase. Fini de se concentrer sur l’éternelle question d’est-ce que je suis créatif ou non, ou quels sont les scénarios possibles dans ma vie future…
Eh oui, Andrew n’a donc pas qu’un physique à jouer dans High School Musical et Ben ne se résume pas qu’à son rêve de servir des burgers à Brooklyn. L’enfant siamois MGMT est pétri de questionnements, de culpabilité occidentale, d’éloignement de sa condition primaire d’animal. Trop réfléchi, trop contemporain. Nouvelle question chopée dans le petit manuel de l’interview pour les nuls : la musique, c’est un remède ?
– C’est comme avoir une conversation avec toi-même. Ça n’aide pas à résoudre tes soucis, mais ça aide à réfléchir beaucoup.
– Tu construis une certaine confiance, en acceptant de te battre contre tes doutes. Tu deviens plus indulgent envers toi-même et moins introverti. Et maintenant, on veut étendre et partager nos sentiments avec le maximum de gens. On est moins autistes. Dans le second et troisième album, on était plus à bâtir notre propre fort, notre propre monde. Ça n’a pas toujours été facile pour les autres d’y entrer. On a essayé de casser les murs.
Quand le manque d’inspiration pointe le bout de son nez et que le groupe a fini quelques minutes de monologue (de bilogue ?), ne faites jamais l’erreur de tenter une question « sur le pouce ». L’équivalent musical de l’horrible tu fais quoi dans la vie pourrait être sans hésitation le vous avez écouté beaucoup de musique pendant la composition. L’erreur est humaine. Le problème étant que l’Homme fait toujours les mêmes erreurs.
– Ouais, pas mal de musique d’Europe de l’est, du soviet rock des 80’s, des groupes d’electro, et d’Afrique d’Ouest des 80’s, du boogie, du disco.
Ok. Chouette. C’est… une bonne chose de s’intéresser à tout ça. Et donc… comment dire. C’est-à-dire que… ah oui, MGMT est rempli de doutes et d’hésitations mais s’est ouvert au monde. Enchaînons : sur un article très intéressant (lu dix minutes avant l’interview), il est mention d’Ariel Pink et Connan Mockasin. Superbe. L’étau se resserre. Comment donc le groupe a-t-il accepté de travailler différemment sur sa musique et ses névroses ?
– Littéralement, on a fait rentrer des gens, comme Patrick Wimberly (producteur, compositeur, ingé-son, fondateur de Chairlift) à nous aider à la création de la musique.
– On a bossé avec Ariel Pink sur le morceau « When you die », Connan Mockasin joue de la guitare sur « Days that got away », Patrick Wimberly qui a co-produit le disque. Ça ouvre forcément.
Et comment peuvent-ils être dans la vie, ces joyeuses oies de Connan fleur-dans-les-cheveux Mockasin et Ariel perché-haut-très-haut Pink ? C’est important de connaître nos artistes préférés dans leur salon, savoir comment ils pissent, quelle marque de Shampooing ils utilisent, vous ne trouvez pas ?
– La plus grosse influence a été d’être devenus super proches de Connan Mockasin. Je le respecte beaucoup en tant qu’artiste, j’adore sa musique, mais plus globalement son approche de la vie. Il est vraiment spécial. Il est très patient, lent, et terre-à-terre. Ça m’a beaucoup aidé à être dans le présent
– Ariel Pink a une vision plus spontanée d’écrire des chansons. Il s’autocensure moins. On a essayé de s’en approcher.
– Il n’est pas précieux. Il est capable de tout foutre en l’air et de recommencer.
Le sprint final des deux dernières minutes équivaut à tenter le tout pour le tout. Or, une interview presque bien bossée n’oublie jamais les fondamentaux. Qu’est-ce que tout le monde sait sur MGMT : c’est simple, le groupe a composé deux hymnes qui sont restés jusqu’à aujourd’hui dans les meilleures soirées Jet27 pizza dans les apparts étudiants du monde ainsi que dans les supermarchés de quartiers. « Electric Feel » et « Kids », ça vous excite encore en live ?
– C’est toujours marrant de voir tout le monde devenir fous devant ces chansons. Après c’est sûr qu’on est toujours plus excités de proposer des choses nouvelles, comme tous les musiciens.
– On est aussi des fans de musique live. Si je vais en concert et que des musiciens ne jouent pas leur morceau phare, je suis carrément sur ma faim.
Il faudra remercier mille fois MGMT pour son professionnalisme à toute épreuve, capable d’autant de langue de bois que de compassion pour les journalistes français en manque d’anglais, en manque d’idée. Sans eux, le résultat aurait été plus gênant et ne serait jamais sorti sous cette forme.
Mhh, pas sûr que ce soit tant une bonne nouvelle.
Little Dark Age est sorti le 9 février chez Columbia. Et comme on a mis trop de temps à sortir ce torchon, vous avez probablement loupé leur seule date française, le 5 février dernier à La Cigale (un concert sold out). Ah non, ils seront aussi au Festival Beauregard, le vendredi 8 juillet.
Cet article est à l’interview ce que Substitute est à une phase finale de Coupe du Monde, mettre en scène son échec pour le transformer en œuvre d’art. Sublime.