Bien. Dans le studio de Mathieu Boogaerts, on se sent bien. Ordinateur et instruments n’ont cependant pas révélé le contenu du 9e album annoncé pour septembre. Seule confidence extirpée : la batterie sera absente. « Faire écouter avant la fin, c’est comme demander à goûter la sauce d’un chef à mi-parcours », estime le timide auteur-compositeur au tempérament trempé. Dans sa cave douillette, le quadra a pris de la bouteille et maîtrise une angoisse existentielle qu’il conte savamment depuis 1996.
Réaliser qu’on arrive à 20 ans de carrière, ça crée un choc ?
Oui et non car j’anticipe vachement les choses. J’ai un rapport au temps et à l’espace maîtrisés. Ce qui arrive, je le vois venir – sans pour autant lire dans l’avenir – car j’ai peur de galérer. Malgré mes apparences d’oisillon tombé du nid, j’ai les pieds sur Terre.
En parlant d’oisillon, on t’a déjà comparé avec un hibou ?
Non. Une tête de crapaud avec mes gros yeux, on me le dit. Le hibou est un animal qui me fascine, je le trouve très beau.
Tu sembles t’être calmé sur la métaphore animale.
Je n’ai aucun recul sur mon écriture. Parfois on me dit que j’ai utilisé huit fois tel mot dans un album, mais je ne le vois pas sur le moment.
En revanche, tu n’as jamais arrêté de nommer certains titres avec des prénoms féminins ?
C’est vrai que j’aime bien. Quand j’écris, je ne pars pas d’une idée. Les deux premières phrases sont guidées par la mélodie. Je ne sais pas encore ce qu’elles veulent dire, juste leur son, ce qu’elles évoquent. Je vais ensuite dérouler le fil. Pour en revenir au prénom, je peux avoir la même expérience avec trois filles différentes et ça ne fera qu’une chanson.
Luce me disait que tu avais une écriture féminine. Tu le prends comme un compliment ?
Ah ouais ? Je ne le prends ni mal ni bien. J’aime bien toutes formes de réactions. Si je fais de la musique, c’est pour m’exprimer mais aussi susciter des réactions.
En 20 ans, ton contact au public a évolué. Tu donnes l’impression de ne plus avoir peur ?
C’est faux. S’il y a un endroit où je suis à l’aise dans la vie, c’est sur scène. Sur mille concerts, j’étais à l’aise sur environ 960. J’ai toujours aimé échanger avec le public. Quand j’écoute les premiers disques, je chantais moins fort. Plus je vieillis, plus je libère ma voix.
Pour ton concert anniversaire (20 ans de carrière) du 16 juin à la Cigale, il va falloir choisir parmi ta discographie. De quoi alimenter des dilemmes ?
C’est sûr (silence) mais ce n’est pas nouveau. L’intitulé du concert, c’est un florilège de ma carrière. Ce qui m’importe, c’est la cohérence du concert. Comme si j’étais DJ et qu’il fallait que je tienne toute la soirée avec ma caisse de disques, sauf que ce sont des chansons sur lesquelles je vais devoir alterner. Selon le rythme, le langage…
Existe-t-il un titre ancien que tu n’assumes plus ?
Le propos des chansons, j’assume toujours. Par contre, la forme ou le langage peuvent me déranger. Je trouve alors qu’un titre ancien n’a pas l’exigence que je porte aujourd’hui. Vu que je fais de plus en plus de concerts en solo, je me dis que je dois être profondément en accord avec les mots. Les gens reprennent en chœur parfois. Je pourrais jouer devant un million de personnes tellement que je me sens bien.
Tourner seul exclut « ton » bassiste Zaf Zapha, qui était un peu ce que Jojo et son accordéon était à Brel.
C’est vrai. Il ne le prend pas mal car il sait à quel point je l’aime. On a vécu des moments de connexion, de complicité et de musique. Il est peut-être parfois frustré de ne pas partir en tournée.
En vieillissant, enchaîner les scènes joue sur ta fatigue physique ?
Pas vraiment… C’est peut-être lié au fait que j’ai un enfant. La vie de tournée ordinaire, c’est du 9 heures-1 heure, voire 2 heures du matin. La vie de papa, c’est plus 7h-23h. L’amplitude n’est pas énorme, mais c’est fatigant à tenir sur plusieurs jours.
Devenir papa t’a obligé à séquencer ton temps de travail ?
Tout à fait. J’ai toujours été un peu dans cette approche. Quand j’ai arrêté l’école sans le bac à 18 ans, je me suis imposé un cadre pour me rassurer. Pour concevoir un album, c’est pareil. Par exemple, si je me dis que je commence le 5 juin, le jour fixé ne changera pas et je sais combien de temps il me reste pour finaliser cet album.
L’intermittence fait débat depuis quelques mois. Comprends-tu le ras-le-bol de certains travailleurs dans des métiers n’ayant pas de lien avec le monde du spectacle ?
Attention, c’est le quart d’heure politique ! Pour moi, ça ne se défend pas l’intermittence. Je peux pas demander décemment au boucher de payer davantage pour le monde du cirque. C’est plus cool de faire du cirque que boucher, mais lui l’a fait pour justement manger sans peine à la fin du mois. La solidarité interprofessionnelle doit logiquement être la même pour tous. Si tu choisis un métier à risque, tu sais que tu n’es pas certain de manger. J’irai pas manifester contre l’intermittence car j’en profite, mais si ça s’arrête demain je comprendrai. Je trouve normal que les intérimaires et intermittents soient payés plus cher car ils sont précaires, mais que viennent se greffer des indemnités spécifiques derrière me paraît dur à défendre. Quand on voit ce que ça coûte aux autres secteurs de métiers, je me mets à leur place. Mais si on arrête l’intermittence, ça fout un million de personnes dans la merde, donc si ça devait changer il ne faudrait pas que ça se fasse du jour au lendemain.
L’engagement est un thème qui te parle ?
Mes chansons ne parlent que de sentiments. La peur, l’angoisse, l’amour, l’intime… Dans mon nouveau disque, un titre parle par exemple de l’urgence climatique. Je ne cherche pas à engueuler quelqu’un, c’est le sentiment que ça procure qui m’intéresse.
D’où vient cette patte folle qui s’agite à chacune de tes représentations ?
Mon corps a besoin de réagir sur la musique que je joue. Mes autres membres étant pris, je crois que le mouvement de ma jambe vient de là. C’est inconscient. On m’en parle souvent.
T’as digéré l’époque où tu écrivais une chanson te comparant à ton pote Matthieu Chedid ?
Ouais, j’ai digéré. Cette chanson évoque la jalousie. C’est vis-à-vis de Matthieu. J’ai vraiment conscience de la chance que j’ai d’être totalement libre, d’avoir un passeport occidental. Matthieu est cent fois plus riche que moi, c’est chouette de voir sa baraque et de se dire qu’il peut prendre un billet en business quand il veut. Globalement, je vis ça à une échelle moindre et ça me remplit. Si j’étais resté un artiste amateur, je l’aurais très mal vécu. Ce qui m’angoisserait, ce serait de ne plus avoir d’argent pour faire ce que j’aime. J’adore jouer devant 200 personnes et prendre le métro pour rentrer chez moi sans qu’on me reconnaisse. J’adapte ma carrière à l’économie actuelle. Je ne sais pas combien de temps je pourrai continuer ainsi, mais j’ai mis de l’argent de côté pour avoir le luxe de ne pas travailler à côté afin de pouvoir me pencher deux jours sur un couplet s’il le faut.
Crédit photo : Thibault Montamat
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