L'histoire se présente comme une happy story de Noël. En même temps, à la fin d'une année de merde pareille, on est super preneurs.
L’histoire se présente comme une happy story de Noël. En même temps, à la fin d’une année de merde pareille, on est super preneurs. Nathalie Négro (dur), pianiste marseillaise de profession, s’est lancée dans « Camera Songs », une série d’ateliers autour du compositeur minimaliste américain Steve Reich. De la musique contemporaine donc, qui ne sera pas destinée à son public habituel de chambre, plutôt de cellule.
C’est à la maison d’arrêt des femmes aux Baumettes que Mme Négro a lancé cette idée de bosser sur Clapping Music, l’oeuvre rythmique de Steve Reich. Les Baumettes à Marseille, l’un des symboles de l’état déplorable des prisons françaises. Le CGLPL (contrôleur général des lieux de privation de liberté) Jean-Marie Delarue utilisait les mots « conditions sans doutes inhumaines » en 2012. Si des améliorations avaient par la suite été mises en oeuvre, les travaux réalisés dans l’urgence étaient deux ans plus tard selon le CGLPL « d’une qualité médiocre ou insuffisante ».
En voyant l’affiche annonçant la série d’événements, les détenues s’attendaient plutôt à se voir sur la piste de danse. Battant des mains en décalé, elles ont appris une nouvelle méthode de déchiffrage et de composition. Sur le modèle de Stripsody de Cathy Berberian (vidéo assez drôle ci-dessous à l’appui), les interprètes lisent une partition intuitive et s’écrient « Boiiing » quand le mot est illustré, font l’éléphant à l’approche d’un « Brrrrr » ou zzzzzip devant une fermeture éclair. Elles tiennent également compte des aigus et des graves en fonction de la position du mot clé sur la ligne. Nathalie Négro fait entrer les accusées en transe.
Cathy Berberian : le modèle Stripsody
« Camera Songs », vrai comic book théâtralisé, possède sa dimension audiovisuelle. Les détenues réalisent aussi un film et un clip de la création avec l’aide de la vidéaste Octavia de Larroche. Niveau autorisation de captations, le clip et le film respectent les règles strictes de l’administration pénitentiaire : n’identifier personne. Pire que filmer Fauve en concert, les images montrent les jambes, les nuques, les mains, les tatouages.
Aux Baumettes, on peut au moins s’écrier « Je-vou-drais-par-tir-des-Bau-met-tes », et redonner à la musique élitiste son moment populaire. En plus du façonnage, du conditionnement ou de l’atelier automobile, la culture tient évidemment une grande place. Ça ne change pas la vie en prison mais si ça peut servir à l’humaniser.
Nathalie Négro is the new black.
Photo : Anne-Christine Poujoulat
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