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Mansfield.TYA, punks à chats

Récit frontal, poème déchirant et musique à danser, « Monument Ordinaire », le cinquième album de Mansfield.Tya est un témoignage poignant, lié à la perte d’un être cher. La mort et la danse sont au centre d’un disque composé par ce bouleversant duo français, emmené depuis 15 ans par Rebeka Warrior et Carla Pallone. Et une réaction, toujours en suspens : qu’il est troublant d’être autant transpercé par un groupe. Entretien.

A force d’être entré dans nos vies, année après année, de façon aussi invasive qu’une caméra de surveillance dans un hall de gare, Mansfield.Tya n’a plus vraiment le monopole du secret bien gardé. Et pourtant, merde, les premières réactions, dix ans plus tôt, ne s’en vont pas si facilement, et – rebelote en 2021 – on jalouse comme on réserve son plaisir à l’approche d’un nouveau disque. Alors, je ne doute pas de la capacité de Carla Pallone et de Rebeka Warrior à respecter les sensibilités de chacun, mais – bon à savoir – à force de nous susurrer depuis 15 ans des trucs à l’oreille auxquels on s’identifie, ne nous en voulez pas trop de vous exprimer notre amour.

Mais oui, les ami·e·s, avant de lire cette interview, asseyons-nous sur le rocking chair des souvenirs, et rappelons-nous de notre première rencontre avec Mansfield.Tya, c’était le temps des mots simples mis sur nos émotions. On découvre alors ces chansons, comptines et haïkus pour adultes qui bercent les entrailles, font suer nos fronts et battre nos cœurs. Des liqueurs trop dosées pour nos corps ramollis. On y revient, encore et encore, masochistes de se prendre « juste pour vérifier » un coup de mots et de sons, en pleine face. La musique orchestrale d’un duo de femmes qui a composé, il y a des années déjà, les plus beaux textes d’amour, jusqu’à aujourd’hui où il nous permet même d’explorer le deuil avec poésie.

On se remémore les filets de voix de l’arracheuse de scène Rebeka Warrior croisée chez Sexy Sushi, puis plus tard Kompromat, qui module sa voix d’enfant à des cris d’épouvante, des cris de ralliement à des murmures érotiques, passant du rire aux larmes. On est évidemment cogné par le souvenir, sur le cul, lors des voyages sur le bois du violon de Carla Pallone, à la co-production musicale, qui tantôt frappant, pizzicatant, jouant du strident à l’épique, de la chaleur au mystique, se révèle aussi badass que sa camarade chanteuse française. Et s’il faut bien redire que c’est un joli mot camarade, n’essayez pas vraiment de chercher du côté de la chanson française pour trouver comment la machinerie aux mille vitalités Mansfield.Tya a bien pu constituer son œuvre. Au-delà d’une ambiance noir & strobes pour le moins déroutante (pour l’amateur·ice de Babylon Circus, du moins), la recherche sonore et poétique de Mansfield passe aussi par des textes loin du réalisme total si cher à notre chanson hexagonale passée et présente (mais pas nécessairement future). Ce cinquième disque Monument Ordinaire en est une nouvelle preuve.

Car oui, les textes de Rebeka Warrior dégomment l’âme d’une part, par ses demi-mots, ses cadavres exquis, et ses images simples ; et les tempes d’autre part, rougies par des puissances évocatrices de feu et, il faut le dire, émancipatrices (à travers la joie, les peines, la fête, l’amour). On l’aura décrite comme prêtresse autant qu’animatrice de soirées mousse (mais qui aime son pays), mère supérieure de l’église païenne de la techno pour tout·e·s, passeuse d’émotions vers une société qui inclut plus qu’elle ne recale, productrice qui n’a jamais réussi à choisir entre le punk et la techno, la coldwave, le baroque et le hardcore…

Pour son cinquième disque, Monument Ordinaire (première sortie de Warriorecords, la nouvelle maison de Rebeka), Mansfield.Tya continuer d’accompagner nos jours et de hanter nos nuits, danser comme sur Ellie & Jacno, pleurer et se battre comme sur Barbara et Anne Sylvestre. On y croise Odezenne et Fanxoa des Bérurier Noir, de l’eau fraîche et de l’amour, des vautours et un couteau, du kick, des pas de danse, une abbaye royale et des mantras. Allez, soyons prophètes : quand on retournera en concert – car on le fera – vous trouverez devant leur live un ensemble de particules accélérées, percutées par la joie d’être en vie.

L’interview se trouve juste ci-dessous. Et vous pouvez écouter l’album juste ici.

Mansfield.TYA (c) Philippe Jarrigeon

Mansfield.TYA © Philippe Jarrigeon

INTERVIEW

Il y a quelques années, on insistait souvent sur la formation baroque de Carla, et son violon, et l’attitude punk de Julia, et ses machines. Aujourd’hui, difficile d’avoir cette lecture, tant vous avez exploré, et élargi votre champ d’action musical. Avez-vous appris à fusionner ?

Rebeka Warrior : C’était chiant cette image de la fille sage et la fille pas sage. Enfin, les gens ont réussi à comprendre que, comme dans le yin et le yang, c’est un mélange, il y a un petit point noir dans le blanc, et un petit point blanc dans le noir.

Carla Pallone : Le monde a enfin compris que j’étais la plus punk.

Rebeka Warrior : Et moi la plus classique, malgré les apparences.

« J’avais envie de célébrer la mort à ma façon », Rebeka Warrior

Un événement a largement nourri Monument Ordinaire, la perte d’un être cher en 2017, un deuil dont ce disque respire, transpire et explore toutes les facettes. Est-ce le point de départ de ce nouveau disque ?

Rebeka Warrior : Oui, c’est le point de départ et d’arrivée : l’axe central. Un moment de nos vies où les planètes se sont alignées pour qu’on se retrouve, Carla et moi. Un moment où j’avais envie et besoin d’en parler.

Carlo Pallone : Paradoxalement, il y avait ce désir de se retrouver, de refaire de la musique ensemble. La méthode a forcément été imposée par la pandémie. Tout ça demandait du temps : Julia a perdu sa compagne, moi à ce moment, je suis devenue maman, on était dans des élans différents, on a essayé de sortir l’élan de vie de tout ça.

Ensemble de confessions à l’être aimé, hommages, regrets… Comment voyez-vous ces chansons ?

Rebeka Warrior : Je vois ce disque comme une cérémonie moderne, c’est pour ça qu’on a appelé les morceaux des « stèles », et que l’album s’appelle Monument Ordinaire. La mort est présente pour tout le monde, elle est notre point commun à tous. Moi, j’avais envie de célébrer à ma façon, laisser un souvenir palpable, un témoignage.

Les mots de cet album, cathartique, sont très explicites sur ce drame que vous avez vécu. Son écriture a-t-elle été consolatrice, au moins un temps ?

Rebeka Warrior : C’était un mal nécessaire. J’ai eu beaucoup de lectures très mystiques, cosmiques, cathartiques liées à la mort, à la foi, à la renaissance. C’était important de ressortir ce que j’en avais retenu, ma vision. Après plusieurs années à digérer et essayer de comprendre, le moment était venu. Je ne l’ai pas forcément bien vécu, c’était plutôt douloureux, mais le résultat, aujourd’hui, d’avoir cet album, est très satisfaisant. Peu de choses m’ont rendue aussi contente que l’accouchement de cet album.

Carla Pallone : La démarche de la consolation, si tant est qu’elle soit possible, était entamée, et c’est le recul qui t’a poussée à t’exprimer, de manière assez claire, en français sur cet événement.

« Je n’avais pas forcément le recul, avant ce disque, que la mort était si présente dans nos albums. », Carla Pallone

On le savait, depuis longtemps, que « la mort danse sur le dancefloor » et qu’il est bon de « faire la fête à en crever ». Cet album ne déroge pas à la règle. Pour vous, danser n’a-t-il jamais été antagoniste à la mort, ou au deuil ?

Carla Pallone : On avait encore plus envie de danser, pour tromper l’ennemi.

Rebeka Warrior : De la même manière qu’on a caractérisé Carla de calme et moi de punk, on a montré qu’on pouvait parler de choses très émouvantes et tristes d’une façon qui ne le soit pas.

Carla Pallone : On a toujours ce plaisir à approfondir les extrêmes, à l’intérieur d’un morceau, ou au sein d’un album en entier. On peut danser et pleurer en même temps.

Peut-on voir cet album de Mansfield.Tya comme un disque qui parle de la vie aux morts, alors que jusque-là, le dialogue était plutôt de parler de la mort aux vivants ?

Carla Pallone : Ça me plaît.

Rebeka Warrior : C’est marrant, j’aurais dit l’inverse ! Bien que notre thème ait toujours été la mort, bizarrement, aujourd’hui, il a clairement changé. C’est le même thème qu’on abordera sans doute toute notre vie, mais la position qu’on en a est très différente.

Carla Pallone : Je n’avais pas forcément le recul, avant Monument Ordinaire, que la mort était si présente dans nos albums.

Rebeka Warrior : Tu croyais toujours qu’on parlait du temps, alors qu’on a toujours parlé de la mort. C’est juste que tu n’utilisais pas le même mot.

Carla Pallone : C’est jamais quelque chose que j’ai souhaité revendiquer, l’idée de se faire du mal. On en parle parce que la mort fait partie de la vie. Ne pas créer de tabou ni laisser de zone d’ombre.

« Bérurier Noir a forgé mon oreille quand j’étais ado. », Rebeka Warrior

Particularité musicale de ce disque, on retrouve, de façon plus centrale, cette new wave si dansante qui vous est chère, à la façon entraînante du duo Elli & Jacno. Est-ce la meilleure musique pour faire la fête noire, ce chaud froid, mi-inquiétant, mi-machine à danser ?

Rebeka Warrior : C’était important de ne pas aller sciemment vers une musique trop expérimentale ou trop dure. On a fait le contrepoids des arguments. On a quand même fait des morceaux plus intenses et progressifs, comme « Soir après Soir » ou « Montagne Magique » qui sont du Mansfield.Tya pur. On aime les allers et retours avec des comptines comme « Petite Italie » ou des titres plus new wave, d’avoir un patchwork, qui ne tombe pas dans le trop dark.

Carla Pallone : C’était une manière de se donner un cadre. On s’est dit : « Si on se dirige vers ce genre de sons dark

Rebeka Warrior : … on va perdre tout le monde. »

Dans ce disque s’exprime la puissance du présent et du punk, une force d’action qui vous habite depuis vos débuts… Qui de mieux donc que Fanxoa, chanteur des Bérurier Noir pour la porter. Pouvez-vous raconter la rencontre, et l’écriture de cette chanson « Les filles mortes » ?

Rebeka Warrior : J’ai toujours beaucoup écouté les Bérurier Noir. Ça a forgé mon oreille quand j’étais ado. On a sorti un 45 tours d’une reprise du morceau « Les Rebelles » avec Carla pour le Disquaire Day. Va savoir, c’est arrivé – ou pas – aux oreilles de Fanfan [Fanxoa, donc]. Magie du mysticisme ou du karma, il m’a envoyé, quelques temps après, un mail disant qu’il avait envie de collaborer. Il est tombé du ciel. On lui a donné le thème de l’album, il est venu avec sa boîte à rythmes et ses textes. Et avec cette boîte à rythmes… on sait d’entrée que c’est celle des Béru.

Malgré les images fortes et directes, Mansfield.Tya fait toujours de la poésie chantée. On y retrouve cette attirance pour les demi-mots, les cadavres exquis. Une passion que vous avez en commun avec le groupe bordelais Odezenne, présent sur deux titres de l’album. Que vous évoque leur musique ?

Rebeka Warrior : Je n’écoute pas de chanson française, mais Odezenne, si. Leur plume est hyper belle. J’ai du mal à les faire entrer dans la catégorie hip hop, c’est aussi poétique que Mansfield. Leur type d’écriture nous touche beaucoup. On écoutait beaucoup « Vodka » quand on était en tournée, eux écoutaient beaucoup « Bleu Lagon ». Jaco [Jacques Cormary, Odezenne] nous a envoyé son morceau « Le Couteau » : je l’ai écouté en mémo le matin où le port de Beyrouth venait d’exploser. J’ai fondu en larmes, j’ai trouvé ça hyper touchant et complètement adéquat avec notre projet.

Carla Pallone : Il y a cette phrase : « J’ai des milliers de symboles qui s’envolent » qui reste, pour moi. Elle dit plein de choses à chacun, de différentes manières. Ils ont cette sensibilité pour la poésie, et les propos précis et accessibles, qu’on a toujours eu en commun entre Julia et moi.

Vous citez aussi le philosophe et poète japonais Maitre Dogen, dont les travaux pouvaient être rapprochés de Monument Ordinaire. Mais… qui est-il ?

Rebeka Warrior : Personne ne sait qui il est, ahah. C’est mon jardin secret de lectures. Je ne lis pas de choses contemporaines. Je vais aller très fort vers les stoïciens, la poésie japonaise de 500 ap. J.C., les très vieilles écritures. Et sinon, j’aime beaucoup Thomas Mann, ou Nietzsche. C’est toujours plutôt vieux. Ça me paraissait intéressant de citer une vieillerie, comme Maitre Dōgen.

Carla : C’était le clin d’œil du contraste et de l’anachronisme. On n’est pas trop calées en histoire. Peu importe la période…

Rebeka Warrior : … c’est toujours le même sujet !

L’ombre d’une autre chanteuse, poétesse française regrettée, semble planer sur notre album, c’est celle d’Anne Sylvestre, décédée il y a peu. Quel regard portez-vous sur son œuvre ?

Rebeka Warrior : C’est drôle parce que nous, on ne l’a pas fait du tout en pensant à Anne Sylvestre. Mais elle apparaît. Un peu comme quand Fanfan des Bérus est apparu au moment d’écrire l’album. Le disque était fait, on parle de la mort, et hop, elle, elle meurt. Et elle apparaît maintenant.

Carla Pallone : Ça fait partie des références qu’on découvre a posteriori. J’ai alors découvert que j’adorais Anne Sylvestre ! C’est probablement aussi un Monument Ordinaire pour elle.

« J’ai un tatouage de couteau… mais à beurre. Pas vraiment taulard, plutôt hôtellerie. », Rebeka Warrior

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Mansfield.Tya © Philippe Jarrigeon

Trois images m’ont beaucoup touché dans votre disque. Pouvez-vous les commenter :

– D’abord le crève cœur : « Les mouchoirs, nous les jetons en pleurant derrière nous » (Le parfum des vautours)…

Carla Pallone : C’est pour ça qu’il faut faire des mouchoirs dans le merchandising…

Rebeka Warrior : Rien qu’en l’entendant, cette phrase, j’ai déjà envie de pleurer. Quand je l’ai écrite, je me suis dit qu’on ne pouvait pas dire ça ! Personne, dans la chanson française, n’utilise le mot mouchoir. C’est un mot assez moche.

Carla Pallone : C’était un pari. Il fallait mettre mouchoir.

Rebeka Warrior : Dans Sexy Sushi, j’avais placé « les torchons et les serviettes » [dans le titre « Le Mystère des Pommes Volantes« ], donc sur le linge de maison, on est bons.

Carla Pallone : Couette, pour le prochain.

Rebeka Warrior : Il y a encore tout le lexique de la literie à explorer.

Ensuite : « J’ai tatoué un couteau sur mon biceps droit pour découper le ciel et égorger les dieux » (Aqua Fresca)

Rebeka Warrior : J’ai vraiment ce tatouage : c’est Arthur de J.C. Satàn qui me l’a fait, un soir. Le lendemain, je me suis réveillée, et je croyais que c’était un faux. Je me suis dis : « Mais je me suis pas fait ça quand même ». Après, c’est un couteau à beurre, pas vraiment taulard, plutôt hôtellerie.

Carla Pallone : On le dit à dans la chansons d’ailleurs, qu’on rend le couteau, ahah.

Enfin : « La fenêtre donne sur toujours » (Petite Italie)

Carla Pallone : Je l’adore, celle-là, elle donne du baume au cœur. Et c’est pas de refus.

L’album Monument Ordinaire est à écouter ici même.

Photo en une : Mansfield.Tya © Philippe Jarrigeon

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1 commentaire

1 commentaire

fredg 13.05.2021

Interview super intéressante! Merci ?

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