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Makoto San : tant qu’il y a bambou, il y a match

3h30. Les dernier·es festivalier·es du jour regagnent leurs quartiers. Au zénith, un croissant de lune serti dans le ciel arlésien brille sur la cité. Rendez-vous insolite pour une interview. Mes paupières vacillent quand je capte qu’une petite ombre canine siège face à moi et me fixe droit dans les yeux. Jamais encore je n’avais aperçu de renard en Camargue, encore moins paré d’un petit foulard rouge. La créature fuse le long du Rhône, et si je parviens à filer l’agile coquelicot, c’est bien qu’il m’invite à le suivre.

Finalement semé dans une forêt de bambous, je découvre, à la lueur des quelques lampions, quatre personnages masqués assis en tailleur. Ils m’offrent le thé. Je reprends mon souffle puis mes esprits. Pour me répondre, les membres de Makoto San s’affrontent à shi-fu-mi et donnent la parole au vainqueur. À ce rythme, j’en ai pour la nuit, mais il faut bien avouer que c’est stylé.

Il y avait plus simple que tout ce barda de bambous pour faire du live techno non ?

Le projet a été pensé dès le départ pour faire du live devant beaucoup de personnes, il n’était pas question de ne pas faire de la scène. Cette contrainte est aussi la force du projet puisque notre groupe est construit autour de cet instrumentarium en bambous, c’est Makoto San, le fil conducteur de toute notre identité. Avec la MAO (musique assistée par ordinateur) on peut tout faire, donc ce choix nous impose des limites physiques, techniques et logistiques. On fait de la techno avec des bambous, c’est le concept et on s’y tient.

© Olivier Scher

Et pour répéter ça se passe bien ?

On a la chance d’avoir un grand atelier à Marseille qui nous sert de studio et où l’on compose tous les quatre. On y stocke tous nos instruments et des cannes de bambous si on veut usiner et réparer nos instruments ou en créer de nouveaux. On travaille aussi beaucoup l’aspect visuel du show, notre musique ne propose pas de changements très importants dans leur structure donc on essaye de créer un maximum d’événements visuels.

Pourquoi cette esthétique asiatique et japonaise ?

Nos instruments viennent essentiellement d’Asie, mais pas que. Partout où poussent des bambous dans le monde, les gens ont fait de la musique avec, en Indonésie, au Japon, ou en Amérique du Sud. Nous on rajoute des tambours taiko et odaiko donc on est vraiment tournés vers le Japon. Mais on n’est pas non plus des esthètes de la musique japonaise, on a d’abord sur elle un regard de jeunes français qui ont grandi dans les années 90. Notre rapport à l’Asie passe par le prisme du Club Dorothée, Dragon Ball Z, Naruto et autres mangas. On ne se revendique ni d’une musique qui viendrait à 100% du Japon, ni 100% de France. D’ailleurs des groupes comme IAM ou le WU-TANG ont aussi joué avec ces influences.

L’histoire de Makoto San est celle d’une relation maître/élève qui tourne mal. Vous auriez trahi l’héritage acoustique de Mr. Makoto pour prendre votre propre chemin vers la musique électronique, une audace qui vous condamne à jouer masqués. Que vous apporte cet anonymat ?

C’était important pour nous. On voulait cette touche de mystère dans notre univers pour nous mettre au service de la musique qu’on propose et de l’expérience visuelle de nos concerts. On voulait incarner un univers graphique homogène, qui n’a pas d’âge, pas de nationalité, décorrélé de nos individualités. Là encore, d’autres groupes l’ont fait avant nous et ce souhait de préserver un imaginaire est récurrent dans la musique électronique.

© Rosalie Parent

Comment Makoto San trouve son équilibre entre le studio et la scène, deux choses particulièrement différentes chez vous ?

On est vraiment partis de cette envie de faire un spectacle, puis on a été surpris de l’accueil des morceaux par les gens sur les plateformes. D’un concept purement live, on s’est donc mis à travailler sur les deux volets en parallèle. Certains morceaux ne sont réservés qu’au live et vice-versa. Le lien reste les bambous et les percussions, et en fonction des points forts des morceaux, ils seront plus adaptés à l’un ou à l’autre. C’est parfois un challenge de réconcilier les deux mais ça part toujours du son brut du bambou.

Est-ce que vous changez votre set-up selon que vous jouiez à Marsatac, au Trabendo ou comme ce soir sur la scène du Théâtre antique, à l’acoustique brute et naturelle ?

On est justement dans cette phase de réflexion. Ça dépend pas mal de l’heure à laquelle on est programmés et on va sûrement faire deux set-up. Un avec une énergie très techno et un pour les débuts de soirée avec plus de pop et de contemplatif. Côté scénographie, le show est millimétré, presque chorégraphié, car on souhaite que le côté visuel rende notre musique plus accessible aux gens qui ont moins l’habitude de l’électro. On a donc envie de nous adapter, mais ça demande de repenser chaque fois le show pour rester dans cette maîtrise du live.

À chacune de leur réponse, l’un d’eux frappe un gigantesque gong dans lequel j’aperçois ce dont un autre me parle. À cet instant, je revois parmi les ondes de ce portail magique leur show de ce soir. Je m’y aperçois, perdu dans la danse, soufflé par la techno progressive dans laquelle s’enfonce le groupe à mesure que le crépuscule laisse place à l’intense jeu de lumières. Les images qui s’entremêlent, indépendamment de la flèche du temps, en attestent : un concert de Makoto s’admire chahuté depuis le dancefloor, frappant du pied les pierres du théâtre et leur 2 000 ans d’Histoire. Le public était invité ce soir-là à plonger d’un spectacle de percussions boosté par ordinateur, aux profondeurs d’un club où chaque fin de morceaux rappelait qu’en live, l’expérience finit toujours trop vite par toucher à sa fin. Aux antipodes de la performance tout en jazz et en sobriété de Jeff Mills, Jean-Phi Dary et Prabhu Edouard qui les avaient précédés avec leur projet Tomorrow Comes the Harvest, Makoto San, porté par son label Yotanka et son tourneur Wart, propose sa propre version d’une musique électronique qui plante ses racines dans une histoire bien plus ancienne.

© Olivier Scher

Il y a quelques mois, vous sortiez votre premier album 10 titres Moso pour lequel on trouve notamment le puissant Temps volé (feat. Uzi Freyja) ou Wekomundo, aux influences afro et sud américaine. Votre univers serait-il plus métissé qu’on ne l’imagine ?

On n’a pas voulu rester enfermés dans une seule culture et cet album est aussi un voyage à travers les styles. Sur Wekomundo il y a donc effectivement un petit côté cumbia et chaloupé. Wekomundo vient d’ailleurs de l’espagnol hueco mundo, qui est une dimension fictive où se trouvent les âmes torturées dans le manga Bleach. De quoi boucler la boucle s’il le fallait entre les cultures latine et nippone. En tant que percussionnistes, notre contrainte absolue est de rester dans le bambou.

On trouve aussi le titre Yu dont le clip est made in Soudoreille. Pouvez-vous me raconter comment ça s’est passé ?

On voulait une vidéo pour ce morceau pop assez léger et presque second degré. Nathan (le réalisateur) nous a proposé de faire quelque chose à partir du bunraku, cette pratique traditionnelle japonaise de marionnettes, et on a trouvé ça super intéressant. Les marionnettes ont été faites sur mesure à la main, et avec les décorateurs et les marionnettistes on a eu beaucoup de plaisir à travailler dans cette démarche artisanale séduisante et cohérente avec notre univers.

Ça vous a fait quoi de partager la scène avec Jeff Mills ce soir ?

On est arrivés plus ou moins sur le tard à la musique électronique mais difficile de passer à côté du boss. C’était une bonne surprise d’apprendre qu’on était programmés après lui. Son approche nous parle vraiment, puisqu’il a fait partie des premiers à vouloir décloisonner la techno. Il métisse beaucoup sa musique, comme le montre le concert qu’il a donné ce soir avec ces deux autres grands musiciens.

© Olivier Scher

L’effet des Senzus qui accompagnaient mon thé se dissipe et les premières lueurs du jour percent la bambouseraie. Les images de Jeff Mills et de l’histoire de la techno s’effacent du gong pour de bon. L’un d’eux tourne ses poignets en agitant les mains devant son ventre et provoque un souffle qui découvre, à ma droite, une immense échelle en bambous qu’on m’invite à emprunter. “Shōtokatto“ (shortcut) me dit-il. À son sommet, je débarque dans un bosquet du centre de la cité romaine. Mon téléphone retrouve enfin son réseau et reçoit seulement le texto de leur attachée de presse envoyé plus tôt : “Désolé, le groupe ne pourra finalement pas répondre à vos questions” suivi d’une intrigante émoji renard.

Retrouvez Makoto San au Trabendo le 16 janvier 2025.

Photo de couv © Rosalie Parent
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