Le trentenaire au look adolescent, un peu éméché et en costume de serveuse de l’Oktoberfest vient vous chanter son innocence et son ardeur en pleine face. Que faire ? Comment réagir ? Apprivoisez la bête, découvrez l’indie lo-fi du songwriter mélancolique, mais méfiez-vous, le syndrome de Stockholm n’est pas très loin.
James Cicero est un Chicagoan born and raised. Il se souvient d’une enfance heureuse près de la 3ème ville des États-Unis, même si la violence présente y est destructrice. On connaissait Chicago en berceau de la house, foyer du hip-hop, difficile de s’installer dans une collocation déjà bien établie ? « On nous donne une chance, à mes amis et moi, parce qu’on fait quelque chose de différent. Se démarquer est utile pour ça. » Sortir du lot, il sait faire. Vous en connaissez beaucoup des artistes qui sortent un album depuis des enregistrements d’iPhone ? Et ce n’est qu’une des nombreuses raisons qui l’ont mené au Pitchfork Music Festival, à La Route Du Rock, ou en première partie de Dan Deacon et Ariel Pink. Bon, fini le name dropping, on vous déflore le Jimmy Whispers.
Le jeune Jimmy est un autodidacte. « J’écris des chansons depuis aussi loin que je me souvienne » confie-t-il, même si son père n’en est pas fan. Pas fan du tout. Encore bambin, le militaire strict l’incite plutôt à marcher sur les grands pas des Bulls, l’équipe de NBA fétiche d’Illinois. Il s’y soumettra, mais qu’importe, Jimmy veut écrire, Jimmy veut chanter, et ce ne sont pas les paniers qui l’en empêcheront.
Jimmy Whispers – I Get Lost In You In The Summertime
À la fac, James n’est pas très assidu – on le pardonnera – et écrit toujours plus de chansons. Il quitte ses études pour se lancer pleinement dans la musique, avec son premier projet : Light Pollution, quatuor indie pop plutôt banal mais qui marche. Il chapeaute le tout, mais après un temps, il finira par le détester. « J’essayais d’être le guitariste un peu indie cool, je n’étais pas moi-même, je ne jouais pas comme je le voulais » livre-t-il. Même si les appels du pied de labels créent un hématome au groupe, James est un solitaire, qui veut radicalement changer de style.
Un fanzine barré et quelques graffs plus tard, James se met à écrire « quatre chansons par jour pendant des mois et des mois. » On est en 2011, Jimmy Whispers est né, son album Summer In Pain avec. Et de manière peu conventionnelle disons : parmi tous les morceaux créés, il a fallu trancher. Les dix élus sont composés dans la même semaine, les thèmes concordent et ensemble ils forment un tout qui sonne vraiment bien. Banco.
« J’essayais d’être le guitariste un peu indie cool, je n’étais pas moi-même, je ne jouais pas comme je le voulais. » Jimmy Whispers, à propos de Light Pollution
Sauf que pour ce qui est d’enregistrer, on peut résumer ça à « la bite et le couteau » – la définition du lo-fi en somme. Car c’est sa chambre qui fait office de studio, et son smartphone qui immortalise l’ensemble. Les productions sont minimalistes, le chant n’est souvent pas très juste, les accords, parfois branlants, renforcent le côté « fait-maison » : il l’assume, « je ne suis pas très technique. » En plus d’une batterie numérique, son instrument fétiche est un vieil orgue électronique un peu kitch. C’est de là que provient le « son signature » de Jimmy Whispers : des tonalités cheap au possible qui créent une atmosphère aérienne pour souligner son timbre cassé.
Côté paroles, l’homme est comme dit plus tôt, prolifique. Après l’amour (« love is easy when you don’t give a shit »), le thème qui lui fait couler beaucoup d’encre et de larmes, c’est la violence de Chicago, dont il a aussi été victime. Pour tenter d’y remédier, il crée un festival de musique en 2013, Summer In Pain, puis Hoop Dreams, un tournoi de basket. Rien qui ne remplace un gilet pare-balles, mais dont les bénéfices sont intégralement reversés à CeaseFire, une association qui vise à stopper le mal qui sévit.
Engagé, donc, et artistiquement aussi : en 2011, Summer In Pain est terminé, mais il n’est en vente nulle part. Rien n’est disponible sur Internet, à l’exception d’un extrait joué dans un programme TV pour gosses un peu particulier. « C’était amusant de partir sur la base du bouche-à-oreille, que les gens se parlent en personne, pour se dire ‘wow, j’ai vu ce concert incroyable, avec des chansons entêtantes, mais je ne les retrouve nulle part !’ » Il faudra attendre début 2015 pour que Dali, rédactrice à la Blogothèque, lance le label Field Mates Record et sorte Summer In Pain en versions digital et vinyl.
Jimmy Whispers – Summer In Pain
Depuis, Jimmy Whispers enchaîne les tournées, américaines et européennes. Et le voir sur scène relève plus du spectacle que du concert. Sur un instrumental tout droit sorti de son portable, Jimmy se laisse aller, déballe ce qu’il a sur le coeur, et en fait partager son auditoire restreint : 70 personnes à tout casser dans un troquet de Bordeaux pas piqué des hannetons (le meilleur mojito de la ville nous glisse-t-on dans l’oreillette). Le show est assuré par l’entertainer, comme il aime à s’appeler, qui glisse des blagues, joue avec le public et s’exprime dans un français se résumant à « chantez ave toi ! (sic) » Il conclue par un slow, incitant les copains d’un soir à se prendre dans les bras sur « What A Wonderful World. »
Et maintenant, vous le prenez au sérieux, Jimmy Whispers ? Nous, oui.
Crédits photo : Alexa Lopez
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