Les madeleines de Proust. Ces petits actes, odeurs, mélodies et sensations qui, brutalement, font resurgir de notre mémoire de lointains souvenirs, souvent chargés d’émotion. Dans cette série d’articles, nous proposons à quelques uns des artistes que nous soutenons le plus de rassembler ces morceaux qui constituent leurs madeleines de Proust et de nous raconter le souvenir qui y reste étroitement lié. Dans ce septième épisode, place à Mesparrow qui évoque la grande Barbara, sa voix si bouleversante et cette chanson « Les voyages », qui fut un véritable point de bascule pour la Tourangelle.
« J’ai toujours attaché beaucoup d’importance aux voix dans la musique. Celle de Barbara, c’est au collège qu’un prof de Français me l’a faite découvrir en nous faisant disserter sur l’une de ses chansons. Étrange découverte à un âge où j’écoutais plutôt Nirvana… Cette voix qui sortait d’une autre époque portait tout autant de force. Je me suis sentie proche d’elle par le timbre, la même fêlure dans la voix, la sensibilité. J’ai d’ailleurs complètement oublié d’écouter les paroles, ce qui a donné un magnifique « hors sujet ! »
Dix ans plus tard, après mes études d’art, je rêvais de partir à l’aventure, faire de la musique, être entourée d’artistes et musiciens, échanger des idées, me lancer dans des projets. je rêvais de trouver ma « famille artistique ». J’ai donc décidé d’aller m’installer à Londres, les yeux remplis d’étoiles.
L’atterrissage fut assez chaotique, je me suis retrouvée seule et toute petite face à tous les possibles que m’offraient la ville, il fallait que je trouve un travail, je ne maîtrisais pas très bien la langue. Je me retrouvais souvent seule dans ma chambre à composer sur ma pédale de boucle, dans ma petite bulle. J’écoutais « Les voyages », la voix chaude de Barbara me rassurait, ses mots me racontaient « ah les voyages, aux rivages lointains, aux rêves incertains…»
Puis j’ai fait la rencontre de James Peter Honey et Alex Templeton Ward deux artistes anglais, qui m’ont proposé de chanter dans leur groupe, et là tout a changé. Ils avaient cette confiance en leur art, sans aucune barrière, qui je crois fait vraiment partie de l’éducation anglaise, qu’ils m’ont transmise. L’important pour eux était d’aller au bout de ses idées, peu importe la forme qu’elles prenaient. On faisait de la musique, on montait un collectif d’artistes, on vivait à sept dans une maison qui ressemblait à un squat… L’entrée était encombrée par nos sept vélos. La dernière trouvaille était un vieux canoë « sauvé » de la rue, qui trônait dans la cour. Dans la cuisine, qui était la seule pièce commune, on discutait d’art et de musique pendant des heures, une vraie synergie nous poussait chacun dans notre discipline. J’avais enfin pu m’acheter mon piano numérique que je traînais en bus avec une amie pour jouer dans des petits clubs, ma pédale de boucle dans un sac à dos. Je menais la vie de bohème dont je rêvais.
Mais après deux ans à enchaîner des petits boulots, je ne voyais plus aucune perspective, j’aimais ma liberté artistique mais je ne me sentais pas vraiment anglaise. La France me manquait. A ce moment là, j’ai écrit les couplets d’un morceau en Français qui parlait de Londres. Je pouvais tout dire en me cachant derrière ma langue.
Il était temps pour moi de rentrer dans ma ville natale. J’avais cette envie très forte de montrer ma musique, de la jouer en France. Je me souviens très bien de ce retour. Tout semblait si simple et familier. Deux années étaient passées, elles n’avaient pas autant changé ma ville qu’elles m’avaient changée. J’écoutais « Les voyages » en boucle et les paroles prenaient tout leur sens « et lorsque l’on retourne chez soi, rien n’est comme autrefois, car nos yeux ont changé (…) car les voyages tournent une page ».
Barbara – Les Voyages
Crédit photo : Benjamin Roulet
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