Les madeleines de Proust. Ces petits actes, odeurs, mélodies et sensations qui, brutalement, font resurgir de notre mémoire de lointains souvenirs, souvent chargés d’émotion. Dans cette série d’articles, nous proposons à quelques uns des artistes que nous soutenons le plus de rassembler ces morceaux qui constituent leurs madeleines de Proust et de nous raconter le souvenir qui y reste étroitement lié. Dans ce cinquième épisode, le DJ et producteur électro français Agoria nous parle d’un classique de la techno de Détroit : Big Fun de Inner City.
Agoria :
« Ce qui me vient immédiatement à l’idée, c’est Inner City, de Kevin Saunderson, qui est fondateur.
Le jour où j’ai acheté Good Life, d’Inner City [trio composé de Kevin Saunderson et deux chanteuses : Ann Saunderson, sa femme, et Paris Grey / NDLR], sans le savoir, je commençais mon petit chemin de croix dans la musique électronique. J’ai alors 12 ans et je trouve le 45 tours dans un supermarché. A 12 ans, tu ne te dis pas « ah tiens, Inner City, j’aime beaucoup la musique de Détroit ». Non. C’était un hit qui passait sur NRJ, Fun Radio et Skyrock. Je n’imagine malheureusement pas aujourd’hui NRJ de diffuser ça. J’avais mis une étiquette, tout mignon, avec marqué Devaud Sébastien avec une pastille jaune. A l’école, je ramenais des dizaines de cassettes en récréation sur lesquelles je copiais le disque 20 fois à la suite pour le faire écouter à tous mes potes. Un enfant qui commence sa collection.
Plus tard, je suis allé à Détroit avec ce 45 tours parce que Kevin Saunderson m’a proposé de remixer « Big Fun ». C’est à dire que l’artiste à l’origine du premier disque que j’ai acheté dans ma vie m’a demandé un jour de le remixer ! J’ai dit à Kevin Saunderson : « Regarde ce que j’ai acheté quand j’avais 12 ans ». Il n’a pas reconnu tout de suite parce que les pochettes étaient différentes dans chaque pays. Et quand ensuite il me l’a signé, je lui ai raconté tout ça. C’était beau, il m’a fait sa tête de gros nounours.
Ce disque me ramène à l’évidence à mes premières visites à Détroit. Cette ville coupée du temps où il y a très peu d’influences et d’emprise. Chacun est livré à soi-même. Où ce que tu fais sort forcément de tes tripes. Où ce sont toujours ceux qui ont creusé les sillons. Où il est flippant d’aller. J’ai pas les chiffres exacts mais c’est quelque chose comme 1 million à 500.000 habitants qui sont partis en l’espace de 10 ans à cause de la faillite de la ville. General Motors qui a licencié tout le monde. Personne ne marche dans la rue de peur de se faire agresser. Tout le monde est dans sa caisse. C’est pas la ville où j’irai passer mes vacances. Imagine, c’est comme si la moitié de la ville de Paris se barrait. »
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