Si vous n’êtes pas autiste ou allergique aux réseaux sociaux, une info ne vous a sans doute pas échappée : Louise Attaque est de retour. Le quatuor devenu trio vient de publier « Anomalie », son quatrième album studio en un peu plus de vingt ans d’existence. Une question nous taraude : après toutes ces chansons, ces tournées, ces albums et surtout après tout ce temps, Louise a-t-elle encore une raison d’être ? Voici deux réponses possibles.
Non
On a toujours eu une affection particulière pour Louise Attaque. Parce que l’originalité du projet, parce que les mots de Gaëtan Roussel, parce que sa voix, parce que le violon, parce que l’univers graphique, etc. Autant de raisons qui nous ont poussés à suivre de près la carrière du groupe, les différents projets de ses membres. Avec à chaque fois la force de qualités indéniables et de touchants défauts qui forment un tout très attachant. Quand arrive ce quatrième album, on espère à la fois retrouver ce qui fait qu’on a aimé Louise Attaque et en même temps on se dit que les garçons ont toujours cherché des voies nouvelles pour leur musique et que cet album s’inscrira nécessairement dans cette démarche. Et c’est bien le cas. Cet album n’est en rien une redite. Il fait preuve d’un vrai renouvellement de l’approche créative et se situe à l’opposé du temps où Louise Attaque voulait d’abord écrire des chansons à jouer sur scène.
Et pourtant.
Il n’est pas mauvais ce disque, mais à l’écoute, on a parfois le sentiment qu’il s’agit davantage du nouvel album de Gaëtan Roussel que celui du grand retour de Louise Attaque. Après cette fulgurante carrière, après tous ces projets réussis, Louise Attaque peut-elle nous décevoir ? Oui. Elle peut même nous laisser froids. Écrire cela, ce n’est cracher ni sur ce disque ni sur le talent des gens qui lui ont donné vie. C’est faire un autre constat, celui que le temps passe, que chacun a avancé de son côté, avec des idées, des envies à la fois nouvelles et différentes.
C’est vrai pour l’auditeur, cela l’est aussi pour le groupe. Parce que la musique a tellement changé, parce que Louise Attaque a influencé tellement de jeunes artistes. Ce que faisait Louise Attaque il y a vingt ans, ne peut plus avoir le même intérêt aujourd’hui, justement parce qu’un groupe génial l’a fait il y a vingt ans. Ce que fait Louise Attaque aujourd’hui n’a plus la même fougue et n’appuie plus en nous sur les mêmes ressorts. Plus la même émotion. Pas vraiment de déception, mais une question : et si Louise Attaque n’existait plus ? Voilà ce qu’on garde de cette « Anomalie ». Il reste de Louise Attaque trois anciens membres qui ont décidé de faire un album ensemble sous son nom. C’est pas grave. C’est même pas mal. Mais c’est un autre souffle, sans doute pas celui de Louise Attaque.
Louise Attaque – Anomalie
Oui
Une impression est tenace : cet album était condamné avant même d’être écouté. Un auditeur camé, de gré ou de force, se remet rarement d’une overdose. Et c’est peu dire que les radios et les TV ont longtemps usé jusqu’à la moelle le filon Louise Attaque. C’est foutu, quoiqu’il fasse, Louise Attaque sera toujours écrasé par le poids de son passé. Et quand bien même les moins sceptiques restaient disposés à laisser une chance au groupe, la diffusion du premier single « Anomalie » a dû doucher les fous espoirs des petits aventureux qui voulaient défier la plèbe.
Et pourtant.
S’arrêter à ce pompeux et boursouflé single s’avère être d’une flemmardise quelque peu dommageable. Parce qu’à y regarder de plus près, le champ lexical du groupe est bien resté le même et s’axe autour de quatre mots : sincérité, fragilité, audace et intelligence. Gaëtan Roussel, Arnaud Samuel et Robin Feix avaient vraiment envie de se réunir, c’est une certitude. Rien ne les y obligeait. Il n’y avait même que des coups à prendre. Chaque interview accordée depuis leur reformation transpire l’honnêteté et l’envie. Mais le trio souhaitait se mettre en danger et décida de confier ses compositions à un producteur anglais inconnu, Oliver Som. Sa mission : moderniser le son de Louise Attaque, lui donner une tonalité plus actuelle. C’est parfois réussi, souvent raté. Tout simplement car c’était peut-être une fausse piste de départ.
Mais le plus étonnant dans tout ça, c’est que ce n’est pas important. Car mieux vaut de bonnes chansons gâchées par une production que l’inverse. En cela, leur live s’annonce prometteur. Bien sûr, ce disque reste inégal et traîne ses casseroles (évitez le refrain de « Les pétales », par exemple). Mais la majeure partie de ces nouvelles chansons a de la moelle. Ils ont réussi à toucher à nouveau à l’os, à l’essence même de ce qu’est Louise Attaque. « L’insouciance », par exemple, est une merveille de poésie et de mélancolie. D’ailleurs, tous les textes évoquent le rapport au temps, cette angoisse de l’absence, de ce qu’on a été ou de ce qu’on ne sera plus jamais. Gaëtan Roussel le reconnait lui-même : ce n’est finalement qu’un seul et même grand texte qu’il a écrit à travers ce disque.
En définitive, Anomalie n’est pas le meilleur disque de Louise Attaque. Non, c’est sans doute A plus tard Crocodile paru en 2005 qui s’est le plus approché de leurs fortes exigences et aspirations. Mais voilà un groupe qui s’inscrit sur la durée, qui fera sans doute encore des pauses, mais avec lequel il faut compter. La décennie 1995/2005, si créative pour Louise Attaque, n’est donc pas un éden perdu. Regardez Daniel Darc avec Crève Cœur, regardez Hubert Felix Thiéfaine avec Suppléments de mensonge. Regardez même Alain Bashung avec Fantaisie Militaire, justement. L’histoire de la musique française est définitivement faite d’allers-retours entre la reconnaissance, la lassitude, discrédit et renaissance. Pour Louise Attaque, la partie de flipper ne fait que commencer.
Louise Attaque – L’insouciance
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