Depuis quelques années, un spécimen de fêtard urbain étouffe. Il manque d’air, de libération du corps, il cherche un sens à sa nuit. Ce qu’il veut, c’est taper du pied dans la pelouse ou sur le bitume, le mégot allumé à la bouche, discuter avec son voisin à cinq mètres des enceintes, recréer la micro-société festive que les raves qu’il n’a pas obligatoirement connues lui évoquent, et mettre son ivresse au service de jeux enfantins. Son voyage initiatique a commencé le jour où il a arrêté de croire qu’il était obligé de faire 1h de queue, payer un vestiaire obligatoire à 4€ et côtoyer pendant six heures des âmes qui trippent toutes seules sans se regarder.
Comme toute réussite culturelle, le re-boom de la techno s’est aussi traduit par une réussite financière. Et une mode, ça se paye. Quand les propriétaires et promoteurs de clubs font face chaque week-end à une concurrence sans merci dans des espaces confinés, voisinage oblige, et blindés de monde – parce que victimes de leur succès -, le sang du danseur volatile ne fait qu’un tour. Il cherche son envol. Si on ajoute à ses vagabondages nocturnes des pratiques de prix à ruiner un oligarque, des obligations en terme de sécurité qui lui font complètement oublier qu’il était à la base venu pour se déconnecter du monde consumériste et à la liberté relative, il n’hésite plus. C’est simple, il veut retrouver le but premier de la danse, la transe et la musique : le lâcher prise.
Après un revival de la techno qui a permis à des danseurs, autrefois refoulés à l’entrée, de rentrer en club, tentons donc désormais de les en faire sortir. Parce que le mouvement, c’est bon pour la santé. Et la santé…
Solution
Pour sortir sa meute des clubs fermés, cette espèce (en voie de prolifération) de teufeur oppressé doit ruser, car il n’est rien de plus compliqué que de se trouver pris au piège d’un mouvement en phase d’industrialisation qui a oublié que l’émotion n’est pas que l’illusion d’une montée. C’est pourquoi, il va prendre plusieurs décisions.
Préférer les événements qui responsabilisent le chaland
Horizontalisation des décisions liées à l’organisation, aide à l’installation de l’événement, participation aux boîtes à idées, autant de pistes que certains collectifs mettent en place pour la bonne tenue et la bonne ambiance de ses fêtes. Ceux-ci passent par des groupes ou forums pour communiquer avec leur public, réfléchissent à des moyens de le lier pour qu’il ne vienne pas dans le lieu comme on entre dans une chambre d’hôtel, et prennent ce même public pour une multitude d’individualités artistiques en puissance, pas comme un tas de consommateurs potentiels.
Car c’est avéré, si vous avez fixé un bout de carton pour décorer le bar le matin, vous aurez moins l’envie d’écraser votre clope dessus pour faire rire vos potes, l’après-midi.
Oublier les têtes d’affiche
Le business est ce qu’il est. Quand un artiste connaît une hype, il ramène beaucoup de gens au même moment. Le problème, c’est que le monde attire le monde, règle n°1 du bon restaurant, règle n°1 de la soirée juteuse, règle n°1 de la soirée oppressante. Rappelons-nous tout de même qu’il fut un temps où on allait en rave sans connaître ni voir aucun des DJ. Le name dropping, c’est bon pour un album de Daft Punk ou un gouvernement Macron, pas dans les fêtes. Et puis, ça fait surtout des cachets délirants, et donc un prix billetterie et/ou bar scandaleux.
En choisissant un concept plutôt qu’un artiste, vous épousez la philosophie de l’orga. Voilà ce qui est important.
PS : Ah et, si on a mis une photo de Dixon, ça n’est pas pour dire qu’il serait un arriviste ou un DJ surcoté, juste qu’il est l’exemple-type de l’artiste qui coûte un bon pactole, et que vous ne verrez plus si vous avez seulement trente balles sur vous, même si le lieu où il joue est incroyable.
Vivre heureux, vivre cachés
Quelqu’un nous disait, il y a peu : « Y’a pas à dire, les mini-jauges dans des spots mignons et bien planqués, c’est la vie. » Mille points, combo plus trente, avancez vers la case « Bravo ». L’ombre d’un arbre centenaire, les bâtiments laissés pour compte dans nos banlieues urbaines, la clairière d’un bois, les corps de ferme, le bord d’un lac, le pote du pote qui paye sa colloque, les anciens complexes industriels désaffectés, on en compte des milliers des endroits dont aucune institution ne veut, auxquels personne ne s’intéresse plus, sur lesquels peu de badauds ont posé le regard…
N’est-il pas de jouissance plus vive que celle de pouvoir crier face à la nature ? N’est-il pas de créativité plus poussée que de donner à un lieu en apparence banal une attitude ? N’est-il pas de projet plus grand que se créer son jardin secret tout en laissant son portail ouvert ?
Penser en terme de tarifs
Ne tirons pas à vue sur l’ambulance. Nous tous, spectateurs, adorons crier au scandale dès qu’un prix d’entrée dépasse les 15€ (les 10€ ?) même s’il y a sept artistes internationaux de programmés, que le lieu est dément et que de toute façon on a prévu de dépenser le double de la somme en boisson. Il n’empêche que la fête ne sera jamais totalement libérée si la mixité sociale lui est étrangère. Tout le monde ne peut pas dépenser ses cent balles pour les beaux yeux de son artiste préféré.
Ça paraît con, mais quand on sait que la moitié des types qui sortent en club dépensent tout leur salaire en une nuit, ça ne l’est pas tant que ça. On trouvera toujours le moyen de dépenser de l’argent qu’on n’a pas. Pour une teuf aventureuse, mélangeons-nous. Aimons les collectifs un peu punks, un peu babos, un peu hippies, où les dernières lunettes de soleil à la mode ne font pas fureur, où la capuche et les grolles dégueulasses ne font pas tâche, où les selfies ne sont pas légion, où les bodybuilders ne sont pas la règle.
Préférer le bouche-à-oreille
Même principe que pour les têtes d’affiche. N’hésitez pas à checker le nombre de participants aux événements dans lesquels vous foutez les pieds. Quand vous avez 15.000 personnes intéressées pour une soirée qui peut en contenir 300, n’allez pas gueuler contre le ciel d’attendre une heure sous les fracas de ses averses.
Partagez vos expériences, c’est dans la lueur des iris de vos proches que vous verrez quels événements touchent directement au cœur. Le vase clos, c’est so 2014.
Flouter les limites public – organisateur
Si certains l’aiment chaude, d’autres préfèrent la fête comme une performance pluridisciplinaire. Il est évident que la musique joue le rôle principal dans les événements électroniques. Mais donnons un rôle plus important à ses à-côtés. Demandons l’avis du participant pour animer, décorer, théâtraliser. Pourquoi pas ? Mettons en place dans les fêtes des ateliers pour construire des totems avec des merdes récupérées à droite à gauche, déroulons un fil de laine infini entre les membres du public et laissons-les se démêler ensemble, disséminons des ateliers de fortune aux quatre coins de cette nano-société, donnons au public des missions absurdes à atteindre, faisons se rencontrer les âmes esseulées avec des systèmes de téléphones fixes reliés entre eux.
Et si on ne veut pas toutes ces fioritures ? Rien de grave. Profitons du reste, rinçons-nous les yeux, donnons dans l’orgasme auriculaire, laissons juste notre cerveau à l’entrée en conservant notre vivre ensemble.
Reconnecter avec les fêtes de jour
Avec toutes les restrictions liées au monde de la nuit (coucou les voisins), un des raccourcis vers la plénitude peut être de faire la fête de jour. On n’invente évidemment rien, mais la formule peine pourtant à se démocratiser. De moins en moins saugrenu quand on voit tous ces collectifs qui pointent le bout de leur nez sur des créneaux midi-minuit. Essayez donc, vous y verrez plus clair, les couleurs seront vives, les sourires affichés plus béats, la déco plus admirable.
Et si vous êtes fâchés avec l’after, vous pourrez profiter d’une magnifique nuit de sommeil réparatrice et être opérationnel le lendemain. Habile, Bill.
Apprécier le sens du détail
Dans cette foutue société mondialisée, une seule chose peut vous rappeler que l’être humain n’est pas conçu pour l’universalité : vous rapprocher de l’intime. Une lumière tamisée, un post-it accroché dans un coin de mur, une gommette collée sur la pommette, une contre-soirée dans la cuisine, bref, l’inverse d’un fil d’actu sans fin, l’opposé de l’industrie de masse, de la globalisation de la culture et de toutes ces choses qui vous font sentir comme un microscopique grain de semoule sur le pont d’un porte-avion.
Certains événements proposent autre chose qu’une salle noire carrée fermée pour sanctuaire de la fête. Creusez le sujet, vous trouverez de l’or. Vous saisirez notamment qu’un événement festif, c’est aussi des scénographes, des décorateurs, des designers, des fanas du système D, des bricoleurs, et finalement des teufeurs comme vous qui savent que rien n’est plus beau que de tomber par hasard sur un petit mot, un rayon de lumière, une figurine, une guirlande cachée dans un petit coin.
Rendez-vous à prendre : la prochaine sauterie d’Otto10, organisateur d’électro libre. C’est ce que vous avez de mieux à faire le 9 septembre prochain. Les autres illustrations concernent le Camion Bazar ou le Château Perché Festival. Certaines autres évoquent des lieux qu’on garde secrets. Pas folles.
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