Cher Jean-Louis, dis moi, je me posais une petite question : tu fais comment pour concocter cette programmation sortie de nulle part ?
Cher Jean-Louis,
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Dis moi, je me posais une petite question : tu fais comment pour concocter cette programmation sortie de nulle part ? Enfin, sortie de nulle part, non justement. La traçabilité des artistes que tu choisis offre un véritable périple à travers pays et continents. On allait dire civilisations, mais alors des civilisations sans choc. Tu tiens des stats par pays ? Ta planète musicale a-t-elle sa « place to be », ses « no go zones » ? Beaucoup de questions pour une réponse : Rennes est, quatre jours durant, son centre de gravité.
Ici donc, des dizaines de milliers de personnes accourent ce premier week-end de décembre en étant incapables de citer plus de deux noms de la programmation. Jackpot ! Avec tous les groupes de folk moldave, d’ethno-punk indien, d’afrobeat technoïde, on est donc en mesure de te demander s’il est dans tes cordes de nous proposer un jour du métal ? On te confie que ça nous manque un peu. Ton public de professionnels aurait peut-être un peu peur ?
Tous ces professionnels sont là et viennent définir les contours de leur année 2016 avec une confiance aveugle qui doit parfois te faire sourire. C’est mieux qu’un G20. C’est même ta COP21 à toi : apporter du sang neuf dans la réflexion, oser, proposer. Trancher et assumer les décisions prises. Se planter, aussi. Mais comme disent nos amis de l’organisation festive parisienne OTTO10, « qui ne se plante pas n’a aucune chance de pousser ». T’es-tu planté, cette année ? Certainement. Mais je n’ai pas encore eu le temps, durant ces deux jours, de te choper la main dans le pot de confiture.
Tu ne t’es pas planté en programmant Kokomo à l’étage, ce vendredi, en tout cas. Ah ça, non. Des jeunes pousses nantais qui, dans une formule notamment chère aux Black Keys, a envoyé un rock qu’on chérit : référencé mais maitrisé, puissant mais aérien, carré mais généreux. En un mot, inspiré. Comme toi quand tu as décidé de coucher leur nom sur le papier de cette édition 2016. Alors bien sûr, Kokomo n’a rien inventé et nous a fait reposer cette question récurrente, telle un mantra: ce rock peut-il encore être renouvelé ? Doit-il l’être, d’ailleurs ? Peut-on encore sortir des sentiers battus au milieu de ces chemins si balisés ? Toi-même, Jean-Louis, te poses-tu parfois cette question au moment de faire tes choix ?
Dans cet écosystème de festivals, tu endosses, à ton corps défendant peut-être, le costume de précurseur. Voici le rôle qui t’a été attribué dans cette vaste mise en scène. C’est évidemment le premier rôle. Du coup, du mieux que tu peux, tu défriches, tu proposes des attelages qu’on estimait jusqu’alors improbables. Mais à l’inverse, tu programmes donc aussi des groupes comme Kokomo. Parce que tu n’es après tout, que le témoin de ton époque et que le metteur en scène ne peut pas trop t’en demander. Même si je sais que tu fais de ton mieux pour cerner, depuis trente-sept années désormais, un futur musical que tu entrevois de tes yeux et oreilles de programmateur.
Ce futur, il appartient peut-être à Totorro, ces formidables Bretons que tu as propulsé sur le Hall 3. Merci pour ça, Jean-Louis. Car ces gars le méritent. Par leur envie, leur plaisir flagrant à jouer sur scène ces morceaux post-rock tendus et formidablement construits, sublimés par des invités d’un soir pour doubler une batterie, apporter une trompette ou un clavier. Plus tôt, dans l’après-midi, on avait aussi été attendri par O, un mec qui s’était longtemps planqué derrière les astres nommés Syd Matters et Mina Tindle et qui a désormais le courage d’être en première ligne, au centre de la scène, devant nous.
On te suit moins sur tes choix dans le Hall 9. Mais tu nous répondras surement qu’on peut aussi aller voir ailleurs si l’herbe est plus verte, si le riff est plus aiguisé, si la musique est bonne comme dirait Jean-Jacques.
Comme Goldman et sa génération, à ta façon, et tes 37 années d’activisme, tu inspires et transmets. Et ton empire a plus de gueule de M Pokora, promis. Du vieux briscard punk découvrant les jeunes pousses du rock aux collégiens venus assister au concert du beatmaker helvète Flexfab, les Trans rassemblent. Un moment assez irréel et rigolard qui a vu une vingtaine d’à peine majeurs hallucinés sous le courroux des basses de l’artiste, d’une urgence qui ne sera pas sans rappeler celle de Hudson Mohawke, passé trois ans plus tôt avec Lunice. Si l’UBU n’est certes pas le parc d’expos et Flexfab loin d’avoir le talent de TNGHT, les sauts de la nouvelle génération entre les breaks et les drops de l’électro maximaliste et la bass music nous donnent un sourire en coin.
Comme de vagues souvenirs de se dépenser la première fois.
Lundi, on t’écrira une seconde lettre pour te raconter notre périple au sein de la mappemonde d’un week-end que tu as imaginé depuis un an, avec ces traits d’union et ces itinérances de halls en halls, de l’Etage à l’UBU. Ce sera notre carnet de bord d’un voyage que tu proposes inlassablement, à la découverte de nouvelles contrées, et dont nous sommes les touristes impatients.
Bisous.
Crédit photo : Damien Meyer / AFP
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