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Les Vieilles Charrues, édition à la croisée des chemins ?

Qu’il est parfois confortable d’être un média musical. On observe, on applaudit, on râle, on peine à se défaire de nos sales habitudes de distribuer les bons et mauvais points. Surtout en revenant d’un festival. A l’inverse, quand on est organisateur d’un festival et a fortiori programmateur, il y a parfois des cirages de pompes à recevoir et beaucoup de coups à prendre. Les Vieilles Charrues ont l’habitude des deux. Eux, parmi les pionniers des grands rassemblements estivaux. Et si l’édition 2019 était une année charnière ?

Commençons par un aveu : pour la première fois depuis 2002, nous sommes venus ici avec l’appréhension de ceux qui s’apprêtent à vivre l’édition de trop. Habituée des grands et beaux écarts, rarement la programmation n’aura été aussi hétérogène et boudée dans des proportions inédites par une large frange de ses fidèles. S’en sont suivis beaucoup d’échanges, et ce y compris jusque durant tout le week-end, pour savoir si, ça y est, les Vieilles Charrues n’avaient pas franchi au fil des ans le rubicon entre culture et entertainment, entre ouverture musicale et renoncement à certaines exigences. Oui, on peine parfois à voir le festival se transformer en boîte de nuit à ciel ouvert. On se demande même parfois ce qu’on fout là alors que Carhaix en juillet, c’est un peu chez nous, c’est comme Noël en famille, bordel.

Est-ce vraiment nécessaire de toujours répondre à la demande par une offre ? Est-ce qu’un nombre de vues sur Youtube est une sirène à laquelle il faudrait céder ? Ou alors, et c’est une hypothèse à ne pas exclure, est-ce nous qui serions finalement devenus les connards qui prétendent détenir le bon goût qu’on pourfendait encore hier ? En des termes plus directs, que font par exemple Aya Nakamura et David Guetta (de retour pour la troisième fois) pour mériter autant d’égards ? Faut-il tout sacrifier sur l’autel du « il en faut pour tout le monde » ? Admettons, il en faut pour tout le monde. Dans ce cas, on va devenir taquins et réclamer du metal, attention. A moins que programmer ne reste bien un choix, une savante alchimie, qu’il impose hélas de dire non à l’un pour offrir une fantastique opportunité à l’autre, guidé par la recherche d’un parti-pris et d’un regard chez un artiste. Peu importe alors qu’on parle de Booba ou Thiéfaine, de Paul Kalkbrenner ou Lomepal. En somme, que divertir et amuser ne sauraient suffire pour ajouter un nom sur une affiche, sous peine d’abandonner peu à peu le formidable paradoxe qui est le sien et ce qu’il a sans doute de plus précieux : l’ADN de son public.

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On a trop de souvenirs heureux à convoquer, trop de poils hérissés, trop de cœurs emplis, pour oser vous dire comment faire, chères Vieilles Charrues. On se demande jusqu’où l’élastique pourrait tenir sans péter. Chanson, techno, punk, rap, world et d’autres étiquettes qu’on aimerait pourtant décoller : le spectre des propositions est si large, avec tant d’artistes capables de remplir l’espace devant les scènes. En 2005, peu de monde connaissait Nosfell quand il prononça son drôle de dialecte et offrit ses drôles de mimiques sur la scène Kerouac. Mais la curiosité du public avait fait la différence et ce fut un moment unique, dont beaucoup reparlent encore. Peut-être avons-nous tous perdu un peu de cette confiance mutuelle, de ce goût du risque, de ce don de se laisser surprendre qui font le sel de tout festival. Artistes, publics, organisateurs, prenons encore le temps de nous faire confiance. Car quand ça prend, qu’est-ce que c’est beau.

Qu’est-ce que c’est beau de vibrer avec Odezenne même s’il n’y avait pas un chat aux alentours de la scène Grall pendant le plus clair de leur set (Black Eyed Peas étaient à l’autre bout du champ). Qu’est-ce que c’est beau de voir l’émotion de Jeanne Added et de constater que chacun de ses concerts est meilleur que le précédent. Qu’est-ce qu’elle est belle, cette scène 360 à Gwernig pour se rappeler que Charrues et proximité avec les artistes, ça peut aussi coller ensemble. C’est là que Namdose et surtout The Psychotic Monks ont secoué nos viscères. Et puis qu’est-ce qu’elles sont belles et nonchalantes, ces chansons de Balthazar.

Voici donc comment une appréhension de départ se dissipe, parce qu’on réussit toujours à s’offrir un tracé dans une programmation qu’on estime déroutante. Sur les petites routes que nous nous inventons, nous y sommes heureux et on cesse enfin de râler. On sait déjà qu’on ira pas voir Chainsmokers, Vald ou Martin Garrix mais on s’en fout car on aura trouvé un chemin de traverse. En Bretagne, on appelle ça un ribin et un simple ribin peut sauver un jour de festival. On retrouve ainsi l’énergie nécessaire pour rattraper les avenues principales. Pour ignorer la pluie avec Clara Luciani, par exemple, et se dire que la variété est un bien noble terme quand c’est joué et incarné comme ça.

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Il nous faut également rendre hommage aux anciens. C’est une marque de fabrique du festival et elle a contribué à façonner sa légende : accueillir dans le vaste champ qu’est Kerampuilh des noms à la carrière longue comme le bras. Joan Baez, Patti Smith, Marianne Faithfull, pour les plus marquants. Mais aussi des noms qui renvoient aux années 80 et 90. Des vieilles gloires ou des has been, appelez-ça comme vous voulez et selon votre propre âge. On y retiendra que Nile Rodgers a toujours envie de jouer de la musique, que Ben Harper aussi, qu’Iggy Pop n’a peut-être plus de hanche mais qu’il a toujours l’essentiel, à savoir une voix. Par ailleurs, tentez de trouver une seule personne déçue du concert de Skunk Anansie, vous allez suer et c’est pas vraiment la semaine pour ça.

Et puis à tout seigneur tout honneur pour conclure : le concert de Tears For Fears justifiait à lui-seul la venue en Centre Bretagne car il résume la magie des Charrues : tu te dis que tu vas potentiellement sentir le temps passer entre deux tubes que tu vas évidemment beugler avec les copains. Et tu te retrouves à ne pas parler du concert avec ton voisin à qui tu as pourtant toujours un truc à dire ou une connerie à débiter. Mais tu te tais, car tu admires le spectacle. Tears For Fears n’a plus rien à prouver depuis belle lurette, leur compte en banque doit déborder et la gloire les a déjà recouverts plus qu’ils n’auraient jamais pu l’imaginer. Mais ils jouent avec la justesse, le talent et le sourire de ceux qui doivent se faire encore une place au soleil. Paraît qu’on appelle ça l’élégance. Vivre des moments comme ça donne envie de revenir pour continuer de faire de Kerampuilh le champ de tous les possibles.

Photos : Mathieu Ezan

Home : Denoual Coatleven / dans l’article : Skunk Anansie

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8 commentaires

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CHAVANTRÉ 28.07.2019

Manager un festival ne s’improvise pas. C’est un métier et il faut de l’expérience. Ce qui n’est pas le cas du Président actuel. On constate que depuis qu’il a repris les rênes le festival est beaucoup moins apprécié et essuie des critiques régulièrement. Solution: mettez un homme d’expérience à la tête du festival.

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Romain 27.07.2019

Même si je suis plutôt d’accord, je reste malgré tout déçu de mes Charrues 2019… Je n’ai pas comme vous eu la chance de déguster un concert qui donnent la chair de poule. Même si Tear for Fears c’était chouette, vendredi sur mer une bonne découverte, Alice Merton une bulle d’énergie… Non, les Charrues 2019 ne m’ont pas époustouflé comme j’ai pu l’être les éditions précédentes ! Après, ça reste 4 jours incroyables humainement, où tu as bien les pieds dans la terre, mais plus vraiment sur Terre !

Peut-être faudrait-il couper les ponts 1 an ou 2 ? Et y revenir avec plus d’étoiles dans les yeux ?
Bon, je prendrai quand même mon pass, en attendant la prog’ 2020 ! Un été sans Festival des Vieilles Charrues, c’est pas vraiment été, qu’on se le dise…

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tof 24.07.2019

D’accord pour l’élasticité et l’ouverture mais aya nakamura c’est quand même de trop je trouve. La musique « de merde » (ca n’engage que moi) n’a pas sa place dans ce magnifique festival!

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Yann 23.07.2019

Belle analyse que je partage à 100%… Fidèle depuis des années, j’ai eu le sentiment qu’on a tourné une page.
Rien à ajouter, tout est dit sauf que le concert de Primal Scream était également dantesque et devant bien trop peu de monde !

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Vincent 23.07.2019

Moi, j’ai toujours entendu et prononcé « une ribine ».

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Eno 24.07.2019

Yes pareil! ca doit etre la prononciation finisterienne ;)

Andre 23.07.2019

Que tout est juste!! Mais un petit manque d’ouverture? Qu’il est toujours aussi doux et fou de faire ce festival en famille!! Pour ma part, 3 filles de 6 11 et 17, moi 44 et ma maman 68!! Chacune sa scène à certains moments mais toutes ensemble le plus souvent … car les générations partagent les moments de magie de notre jeunesse, qui évolue …

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