Depuis bien longtemps, les Vieilles Charrues n’est plus un festival. C’est devenu une réunion de famille, un moment incontournable qui amène certains à se déclarer en congés maladie ou même à démissionner si leurs patrons ne les libèrent pas pendant ces quatre jours de pèlerinage (histoires vraies). Voilà la force incomparable de cet événement, profondément enraciné dans les habitudes de ceux qui le fréquentent. Alors les Charrues, une affaire de famille ? Qu’a donné le gueuleton, cette année ? Revue d’effectif.
Camille, la frangine surdouée. Capable de monter sur sa chaise comme de se rouler par terre, son espièglerie et ses petites saillies agacent parfois les cul-serrés. Elle a toujours été un peu barrée et certains confessent même avoir esquivé de s’asseoir à côté d’elle, au moment clé où chacun prend possession des dernières places disponibles. C’est vrai, depuis toute petite, on sait bien qu’elle a un petit grain, mais c’est peut-être aussi la plus douée de la famille, pour chanter, pour danser, pour pousser les tables quand le terrain de jeu devient trop petit, pour user et abuser de sa liberté. On ne mesure jamais assez la chance d’avoir un talent pareil dans la fratrie. Ou trop tard. A peine avait-on remarqué sa singularité qu’elle était devenue une femme, puissante et épanouie.
Renaud, le grand père végétatif. Vu son état, on ne le sort de chez lui que pour ce genre de repas. Personne ne comprend plus rien à ce qu’il raconte, il fait peur à voir, cligne à peine des yeux et se montre incapable de porter une fourchette à sa bouche sans en foutre partout. Reste cependant le souvenir des grandes heures, quand l’homme encore fringant était au berceau de nos consciences politiques. On se remémore ses slogans de chef de famille, ses outrances. Peu importe qu’il ne finisse plus ses phrases, on les connaît toutes par cœur. Lui a parfois tout oublié, parfois tout renié. Papy ne fait plus de résistance depuis bien trop longtemps, notre mémoire si. On ne sait plus très bien si c’est gênant ou touchant de le voir ainsi parmi nous. Toujours vivant, à peine debout.
Totorro, le neveu prometteur. Comme on en a un peu marre d’entendre tonton M et tonton Manu Chao raconter les mêmes histoires, nous sommes partis fumer une clope avec notre dernier neveu, qu’on apprécie de plus en plus. Il faut dire qu’il a des arguments : il est brillant mais ne se prend pas la tête. Ses histoires à lui peuvent sembler dures à suivre car il ne parle pas beaucoup. Son truc à lui, c’est la virevolte. On devine aisément qu’il fera mieux dans la vie que ses autres cousins un peu débiles.
M.I.A, la petite cousine branleuse. Elle se pointe à table en mâchouillant le chewing gum et les parents ne disent rien. Alors elle prend ses aises. On se souvient de son attitude nonchalante lors d’un précédent repas de famille à Rennes. Là, elle semblait davantage décidée, mais son micro ne marchait pas quand elle voulait nous conter ses aventures. Voilà, elle aura au moins une bonne raison d’envoyer balader son assiette.
Paolo Conte, l’autre grand-père. Il est venu et on lui a même pas causé, car on s’est concentrés sur nos patates et notre jambon grillé. Et puis il est reparti, sans vouloir déranger. On ne peut jamais échanger avec tout le monde quand on est trop à table. Dommage, tant on s’aperçoit que Pépé Paolo vieillit mieux que Papy Renaud.
Macklemore, le cousin qui rappelle que tu vieillis. Si tu factures plus de trente années de vie, ce que Macklemore raconte en plein repas ne t’intéresse probablement pas. Par contre, tes jeunes neveux l’écoutent, s’esclaffent, s’enthousiasment, suspendus aux lèvres d’un cousin qui a pourtant beaucoup de niaiseries à dire, même si ce sont des niaiseries bonnes à rappeler. Mais il le fait avec une telle fougue, un tel panache qu’il emporte la partie avant même que les anciens aient eu le temps de jouer aux vieux cons en pestant sur un nivellement par le bas. Certains moments vécus marquent à ce point les esprits qu’ils sont ensuite racontés en boucle, inlassablement, lors des repas futurs. Nul doute que la présence de Macklemore aura cet impact, c’est certain. Rarement quelqu’un aura autant retourné ce formidable théâtre des réunions de famille qu’est la prairie de Kerampuilh.
Win Butler & Régine Chassagne (Arcade Fire), les parents-modèles. D’un côté, le père de famille ultra-charismatique, un peu intello, qui fixe le cap et sait le tenir. De l’autre, Régine, cette maman protectrice, qui tire tout vers le haut et apporte la lumière dans le tunnel par sa grâce. Ils sont les aimants du repas, qui le rendaient immanquable cette année.
Midnight Oil, tonton panache. Voici l’oncle auquel on aimerait ressembler quand on aura 66 ans : une conscience politique et écologique (c’est pareil, non ?) intacte, et une fougue retrouvée.
Meute, la famille recomposée. Eux, on sait pas où les caser dans le plan de table. Trop nombreux, trop bruyants. Alors que c’est pourtant simple : mettons-les en plein milieu, pour mettre l’ambiance avec leur bonne humeur.
Matmatah, le fils prodigue enfin de retour. Neuf ans qu’il boudait la famille, croyait-on. Il n’était pourtant pas fâché, loin de là. Il était simplement épuisé et parti se ressourcer. Et puis un jour, il a redonné signe de vie, en demandant s’il pouvait revenir. A l’heure de l’apéro, il s’est pointé et tout le monde l’a pris dans ses bras, heureux de le revoir sous son meilleur jour. A certains moments, on jurerait qu’il a changé, qu’il a pris du coffre. C’est vrai. Tout aussi vrai qu’il sait encore raconter ses meilleures blagues pour plier l’assemblée, qui a tellement tapé du pied qu’on ne voyait parfois plus à vingt mètres. Si tu te demandes pourquoi, demande à la poussière. Certaines retrouvailles sont périlleuses. Celles-ci étaient belles. En même temps, chanter « Les Moutons », « Lambé » et « l’Apologie » ici, aux Charrues, c’était un peu rendre la vue à des aveugles.
Dj Snake, le cousin qu’on évite. Il y a toujours un retardataire au repas, qui clôture les festivités en faisant le malin, histoire de se faire remarquer. On s’est levé de table juste avant. Pas question de s’infliger ça.
Crédit photo en une : Denoual Coatleven
Crédit photos dans l’article : Mathieu Ezan
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