Fin 1970. Un homme, la quarantaine est habillé d’un costume. On le devine tout de suite : il sort des bureaux de Wall Street. Sur le papier glacé, celui-ci danse près d’un travesti, tout sourire. Nous sommes au Studio 54 à New York. Là-bas, sur un sol chauffé par les pas de danse frénétiques se sont rencontrés les genres, les ethnies, les préférences sexuelles et les personnalités. Le jugement était étranger à la danse, à la soirée, à la piste de danse. Il envahissait le reste du monde tandis qu’au contact de la musique les esprits se libéraient, les corps se lâchaient, les pieds s’abandonnaient au démon de la danse. Pour témoigner de ces instants, fragiles parce qu’aussi éphémères qu’une brise, Bill Bernstein s’est planqué derrière son objectif. De prime abord, il n’a rien du genre à fréquenter ce genre de soirées… C’est par le plus pur des hasards qu’est né un témoignage rare, d’une époque transitoire.
Photographe freelance pour le magazine culturel new-yorkais The Village Voice, Bill Bernstein est envoyé prendre les photos d’une cérémonie pompeuse. Lilian Carter, la mère de Jimmy Carter (l’ex-président des États-Unis), organise un dîner mondain. Cravates noires, costumes repassés, sourires coincés s’entassent dans sa pellicule. À la fin de la soirée, le beau monde rentre en limousines tandis que les marginaux sortent des ténèbres. Les réguliers affluent au studio qui se transforme en club. Face à tout ce monde, le photographe, reste, piqué par la curiosité. C’est tout un univers qui se profile devant ses yeux ébahis. Mais il n’a plus de pellicule. Alors il achète celles d’un photographe qui s’en va. Puis il se terre dans l’ombre et observe. Dehors c’est la crise et le phénomène disco prend d’assaut les rues, devenant LA manière d’oublier, de se défouler. Ces derniers jours du disco sont l’ultime instant d’insouciance et de folie.
Cette soirée a marqué le début d’une série. Bernstein devient un habituel du Studio 54, puis va explorer du côté de Paradise Garage, de GG’s Barnham Room et d’autres clubs, plus petits et cachés dans des ruelles de Brooklyn ou d’Harlem. Les transgenres, les businessmen, les juifs côtoient les afro-américains, les gays et les lesbiennes. Tous sont réunis pour une raison : s’amuser, s’oublier, se perdre l’espace d’un court moment, où tout le monde est beau et heureux, où un sourire est bienvenu, où la grisaille n’a pas sa place. Bernstein a ainsi capturé les scènes les plus intimes, les plus inattendues, les plus iconiques, fondu dans la masse et de ce résultat est né un livre, Disco: The Bill Bernstein Photographs. Tombés sur l’annonce d’une exposition de ses œuvres au Musée du Sexe de New York (Night Fever: New York Disco 1977-1979, The Bill Bernstein Photoraphs est en cours, jusqu’au 19 février), on s’est dit qu’il fallait partager ces traces faites de noir et blanc, d’yeux rieurs et d’innocence.
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