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Leçon d’artivisme #3 : le prix d’une guérilla

L’argent, dit-on, est le nerf de toute guerre. Fut-elle une guérilla, a-t-on envie d’ajouter. Qu’en est-il alors de l’économie de l’artivisme, cette guérilla culturelle contemporaine ? La question est d’autant plus essentielle que le premier geste de l’artiviste est d’appliquer le principe énoncé par Tristan Tzara en 1918 : ne pas faire l’art « pour gagner de l’argent » ni « caresser les gentils bourgeois » (1).

Encore selon le trublion franco-roumain, « l’artiste moderne ne peint plus, il proteste » (2), il n’a donc rien à vendre, ni aux bourgeois, clients historiques de l’art, ni à quiconque d’ailleurs. A la racine de toute pratique culturelle contestataire il y a, en effet, le refus de la marchandisation de l’art, et de la marchandise tout court. C’est là un principe cardinal de l’art activiste qui court de Dada au Graffitti research lab, en passant par les situs ou Fluxus. C’est de ce principe qu’en découlent d’autres : l’artivisme est un art sans artistes, c’est-à-dire un art non professionnel, qui sort la création de l’économie « réputationnelle » artistique ; les productions de l’art activiste sont rarement des objets, mais plutôt des pratiques dont personne n’est propriétaire ; elles sont conséquemment le produit d’un travail collectif et non d’une « patte » individuelle.

Et de fait, la majorité des artistes qui pratiquent l’art comme une méthode de transformation du social et du politique travaillent au sein de collectifs et offrent leur production librement au public : ici plus qu’ailleurs, l’expression « creative commons » prend son sens. Ces pratiques, lorsqu’elles sont radicales (c’est-à-dire qu’elles prennent les problèmes à la racine) remettent d’ailleurs en cause le régime actuel de la propriété intellectuelle. Contre l’idée que cette dernière est une propriété comme une autre et au nom d’une prise en compte des droits des usagers, les artistes activistes sont très souvent parties prenantes dans l’invention de nouvelles économies (au sens premier du terme, oikonomia : gestion, circulation) de la création.

Certains sont même des acteurs centraux de l’économie du « libre » et de son expérimentation. Pour tous, en tous cas, il s’agit de reformuler la question de la richesse pour en faire moins une lutte individuelle qu’une création commune. D’ailleurs pour financer leurs projets, ils sont nombreux à avoir recours à des formules collaboratives comme les levées de fonds collectives. Ces systèmes peuvent se révéler incroyablement efficaces : l’histoire du faux New-York Times (photo) publié notamment par les Yes-Men en 2008 et qui coûta des dizaines de milliers de dollars, le montre bien (3). D’autres, dans un esprit très Do-it-yourself, optent pour le « low-cost », ainsi chez les Space-Hijackers, on ne « crée rien qui puisse être vendu », ni rien qui ne puisse « être réapproprié ultra-facilement pour pas cher » (4).

Ayant abandonné le professionnel de l’art en eux, faisant de la créativité le levier d’une rébellion pratique, ces artistes ne cherchent pas, sauf quelques exceptions, à vivre de leur art. La plupart vivent d’autre chose que de leur pratique d’art contestataire. Mais au fond, combien sont-ils les militants à vivre de leur militantisme ? Les Yes-Men, véritables figures de l’art activiste, expliquent ainsi: « We still have day jobs » (5).

1. « Fait-on l’art pour gagner l’argent et caresser le gentil bourgeois ? », Tzara Tristan, in Manifeste Dada, 1918.

2. Op.cit.

3. Cf Artivisme, p.68-69.

4. Entretien avec « l’agent spécial Robin » des Space Hijackers, Londres, juin 2009.5 « Nous avons toujours des boulots alimentaires ».

5. « Nous avons toujours des boulots alimentaires ».

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