Les clubs et autres open-air amplifiés à caractère festif tardent à entrevoir une lueur d’espoir, on ne va pas se répéter mille et une fois. La rentrée est encore incertaine, mais une chose est sûre, le dancefloor d’après sera paritaire, représentatif et surtout, bouillant. C’est en tout cas la volonté du collectif Zone Rouge, bien décidé à prendre d’assaut les platines dès qu’on sera vacciné et à se faire une place de choix dans la foisonnante scène nantaise des musiques électroniques. Rencontre et sélecta à suivre.
« Le temps est venu pour le monde de la musique de faire sa révolution égalitaire » pouvait-on lire en avril 2019 dans le manifeste F.E.M.M. (Femmes Engagées des Métiers de la Musique). C’est à peu près à ce moment que deux amies nantaises, passionnées de musiques électroniques et professionnelles de la nuit, se mobilisent à leur tour. Ensemble, Anaïs (Soa) et Anaëlle (Aasana) apportent leur pierre à l’édifice et lancent un collectif artistique dédié à visibiliser la place des femmes dans les musiques électroniques, aujourd’hui composé de sept DJs résidentes et d’une quinzaine de soutiens artistiques et moraux.
L’association élargit également sa réflexion autour de l’intersectionnalité en ayant comme ambition de lutter contre les discriminations envers les minorités et de valoriser les personnes racisées et les communautés LGBTQIA+ au sein de la scène culturelle nantaise : « si on remonte aux origines des musiques électroniques, ce courant était porté par ces minorités, et il a été gentrifié. Aujourd’hui, il y a des gens qui pensent que c’est David Guetta qui a inventé la house. On veut redonner de la légitimité à ces communautés, c’est aussi leur place », nous confie Anaïs.
La genèse de cette initiative fut donc de permettre à des femmes d’apprendre et de pratiquer le deejaying en toute confiance et sororité : « On se sentait absolument pas légitimes à mixer dans un milieu essentiellement masculin, c’est pour ça qu’on a créé des réunions en non-mixité, pour offrir un espace safe aux filles qui n’avaient pas accès aux platines ». Alors, chaque mois, les DJs résidentes se retrouvent pour parler UK bass, kuduro et féminisme pendant que les platines tournent à 140 BPM.
Inspiré par le collectif londonien 6 Figure Gang, entre autres, les sept disc-jockeys du crew (Aasana, Soa, Akira, Lizzie, Matilda, Super Salmon et Tina Tornade) explorent des sonorités essentiellement bass music, breakbeat, reggaeton ou encore tribal house. Dans la grande famille Zone Rouge, on sort du carcan DJ set house-techno autoroute au profit d’une grande diversité d’atmosphères et de styles musicaux. Les nombreux podcasts disponibles sur leur page Soundcloud en attestent et nous plongent dans des univers sombres, percussifs et acidulés.
Mais la cohérence du groupe n’enlève rien à la singularité de chaque DJs, ce qui n’a pas manqué d’attirer l’attention des actrices et acteurs locaux comme le programmateur de la radio DY10, Shaman Boil. Tous les mois, Anaïs et Anaëlle y prennent les commandes d’un podcast pour mixer leurs dernières killer tracks mais invitent également une DJ pour un set d’une heure : Cherry B Diamond, Zudiex, Saku Sahara ou encore la belge Gigsta s’y sont illustrées. Encore un moyen de visibiliser des femmes artistes provenant des quatre coins du globe. Le café-disquaire-label 44 Tours, co-géré par Hélène, également membre du collectif, leur accorde aussi une résidence bi-mestrielle. Et pour pratiquer dans les conditions du direct live sous cinq kilowatts d’ondes sonores, le DJ booth du club Macadam est sorti de son silence pour une résidence de mix.
Un soutien local bienveillant et grandissant qui donne bon espoir à Anaëlle : « les choses bougent vraiment depuis qu’on a lancé Zone Rouge, nos amis DJs nous considèrent davantage, on commence à intégrer des postes de programmation, notamment en radio… Il y a encore du boulot mais ça avance dans le bon sens ». En effet, la route est encore longue avant que les programmations des clubs soient enfin mixtes et qu’on arrête de se féliciter des qu’une femme est bookée en tête d’affiche d’une soirée. Mais Zone Rouge fait définitivement avancer le débat et ouvre les portes d’un dancefloor idéal : inclusif, artistiquement exigeant et résolument progressiste.
Madeleine de Proust, souvenir de confinement ou de peak time en club, voici une sélection aux petits oignons et commentée de l’ensemble des DJs résidentes.
Le choix d’AASANA :
Biosphere – Microgravity
Microgravity de Biosphere (1992 – Biophon Records) est l’un de mes albums « référence » dont je ne me lasserai certainement jamais. J’ai choisi le track « Baby Satellite » en référence à une soirée d’hiver au Macadam où nous avions invité Phuong-Dan et Tolouse Low Trax (Salon des Amateurs). Ce soir-là, je n’étais pas dans un super mood, je travaillais à la billetterie et il y avait pas mal de monde. On a fermé la caisse vers 3h/4h du matin. J’arrive à l’entrée du dancefloor en pensant rentrer chez moi, et là, j’entends ce track de Biosphere hyper sensuel et atmosphérique à fond dans le club, jusqu’à m’en donner des frissons, j’ai halluciné, j’ai couru en doudoune jusqu’au booth et je suis restée jusqu’à la fin à danser derrière Phuong-Dan qui jouait une sélection de dingue… Une de mes meilleures soirées au club !
Le choix de Soa :
Yazzus – Chun Li vs Voltagem (Anz’s Punisher Rematch)
Je me souviens lorsque j’ai découvert ce track à la sortie de l’EP Voltagem Remixes de Yazzus, productrice et DJ londonienne. C’était en octobre 2019, le mois de la création de Zone Rouge. A la première écoute j’ai eu cette bouffée de force et de courage, une sorte de révélation que c’était possible et que nous étions musicalement légitimes de créer ce projet. J’adorais la mettre, l’écouter très fort et attendre cet incroyable kick dont on sent si bien la tension monter. Et puis sauter et tout casser sur le reste du track : Certains morceaux me soulèvent littéralement, et je me retrouve à danser par nécessité. Écouter des productrices telles que Yazzus et Anz, ainsi que 6 Figure Gang et Object Blue également de la scène londonienne, m’a largement inspiré et donné confiance pour m’exprimer sincèrement dans mes sets.
Le choix de Tina Tornade :
Nana Vasconcelos – Amazonas
Si je devais choisir un seul morceau de ceux qui ont marqué un tournant décisif pour mon oreille, ce serait « Amazonas » du musicien brésilien Naná Vasconcelos, percussionniste de génie. Il me rappelle ma madeleine de Proust musicale : ma première parade des Candombles en Uruguay, avant le carnaval. En dansant entourée d’une foule dense, au rythme des tambours, du tempo qui suit celui des battements de nos cœurs, j’ai vécu une émotion si symbiotique que j’en suis sortie absolument transcendée. Depuis, absolument tout ce que je recherche en terme de sonorités est d’égaler cette émotion percutante, sans jamais vraiment l’atteindre de nouveau. Qui sait, peut-être un jour, j’ai toujours espoir, c’est ce qui me fait continuer.
Le choix de Lizzie :
TUYO – Terminal
Flashback au premier confinement, un moment violent pour tout le monde et de ruptures à plein d’égards pour moi. Ce morceau m’évoque à lui seul ce qu’est la « saudade » tant chantée au Brésil, et aujourd’hui, son écoute est presque douloureuse, tant elle m’inonde de sentiments ambivalents. Je suis tombée dessus par hasard, en surfant d’onglets en onglets, par une nuit perdue à digger dans mon lit, et c’est LE morceau fondateur qui m’a ouvert les portes des musiques brésiliennes. Moi qui n’y connaissais absolument rien à la musique de ce pays, en matière d’artistes émergent.e.s, un nouveau monde s’est ouvert à moi. Il illustre à peu près tous les éléments sonores qui me font phaser dans une track : une mélodie mélancolique, des basses sourdes et lourdes, et des moments de ruptures vertigineux.
Le choix de Super Salmon :
Tamburi Neri – Black Drums
Premier confinement, des quantités de sets en écoute sur Soundcloud. Presque zombifiée, je finis par tomber sur une autre track de ce duo vibrant (Oom). Sans réfléchir je me mets à télécharger absolument tout d’eux, pour finir par découvrir cette pépite brossée au chalumeau ardent d’un été sauvage en Italie (rien que ça !). Pour moi c’était l’osmose parfaite entre mes deux amours, le psyché et l’électronique. L’été qui a suivi, lors d’un week-end entouré de mes amis avec qui nous tenons un petit festival de psyché (le Freaks Pop festival), j’ai joué à la tombée de la nuit, accompagnée des mêmes psychotropes que Lola, certainement, sous un grand arbre. Je me repasse la scène haute en sensations très souvent lorsque j’entends cette musique incroyablement puissante et raisonnante. Ce jour là, au premier kick, j’ai cru décoller un avion avec mes Xdj. Le plaisir d’entendre les copains apprécier ce petit souffle chaud musical a sublimé ce moment.
Le choix d’Akira :
Alek Lee – Our Party
Mon anecdote ne concerne pas le moment où ce morceau est venu s’ajouter à ma collection, mais celui où j’ai le plus ressenti son énergie. Pour contextualiser l’ambiance : c’était l’été dernier lors d’une pluie d’étoiles filantes, quelques copains sont venus à la maison, on était tous allongés dans le jardin admirant le ciel sous l’effet de psychotropes. J’ai mis cette musique et à ce moment-là, les sonorités Tribal et la profonde tension qu’il dégage m’ont fait basculer dans un autre monde, j’étais littéralement devenue le morceau.
Le choix de Matilda :
CAPRICORN – 20 HZ
Découverte lors d’une soirée, cette musique m’a transporté. Elle est hypnotique, onirique et pleine d’énergie. C’est incroyable de penser que ce track a été réalisé en 1993, j’avais 3 ans et 28 ans plus tard je l’écoute en étant fascinée et envoûtée. Indémodable, intemporel, ce morceau me rappelle les teufs d’avant Covid et à quel point cette période me manque. Avec la situation actuelle je digge principalement en télétravaillant donc j’écoute des sons plutôt posés, plutôt house et ce morceau me fait replonger dans l’univers rave. Cela me permet de ne pas oublier les sueurs nocturnes du temps d’avant et me donne l’espoir de pouvoir danser de nouveau entourée d’une foule en transe… Et pourquoi pas de passer ce son lors d’un futur set.
Crédits photo en une : Zone Rouge © Ex Luisa
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