Xavier Belrose est natif de Reims, une ville qu’il qualifie d’ailleurs de « maudite » sur la reconnaissance du rock indé 80s. Rien de grave, l’éditeur et mélomane émouvant lance sa maison d’édition. A travers elle, il compte bien raconter l’histoire de ses héros, musiciens et auteurs, et vient ainsi grossir les rangs des déjà très bons Le Mot et le Reste ou autres Allia. Elle se nomme Le Boulon, et fait écho à la fonction diy et bricolée de ce petit objet, ou comme il le dit si bien : « pas de Tour Eiffel sans boulons. »
Quel plaisir de se balader dans les dédales des librairies, ces boutiques non-ignifugées qui feraient blanchir les cheveux de n’importe quel régisseur lumière. Bastion improbable résistant encore partiellement à la numérisation de la vie, le livre s’imprime encore, se passe toujours sous le manteau ; jaunit de sa bonne vie le ventre gras ; ou éraflé de partout, d’avoir connu tant d’histoires et de pays. N’est-ce pas effarant de se dire que même dans les temples assommants de la consommation, du Relay de la Gare Montparnasse à n’importe quel Leclerc de zone commerciale, il peut quand même se trouver un Camus du fond des paniers, un Dostoïevski qui traînasse ou un Césaire qui fait le guet ? Pied de nez total ? Peut-être pas, il suffit de les voir se raréfier au profit des plus gros vendeurs. Mais quand même. Et pour le lecteur excité, les yeux rougis par la recherche du calme, le doigt tremblant de n’avoir pas pu prendre ses lignes écrites noir sur blanc, n’est-il pas de plus belle aventure que d’aller à la rencontre des rangs de papyrus montés chaque matin par quelque illuminé païen sans dogme ?
Dans une librairie comme chez un disquaire, on cherche de la vie écrite sur des post-its, dans une déco hasardeuse quoique singulière et dans un coup d’œil d’habitué qui vous rappelle que vous n’êtes pas qu’un numéro de la grande loterie du big data. Pas que, on se calme. C’est peut-être, entre autres, cela qu’apprécie Xavier Belrose quand il passe les portes vitrées des libraires. Quoique avec ses années passées dans toutes les maisons d’édition qu’il est possible d’intégrer, la déformation professionnelle a dû guetter le Rémois, avec qui l’on a échangé sur la création de sa maison d’édition.
Son truc à lui, c’est la musique (ah ah, coup de théâtre, personne ne s’y attendait). Alors, on va se laisser aller à lire l’interview d’un type qui lit d’autres écrivains, et dont tout ce petit monde a le dénominateur commun le rock 80s, les Smiths, Joy Divisions & New Order, Nick Cave, Talk Talk, Johnny Marr et autres songwriters pas dégueus du tout. Avec la création de ce « label » de livres, nommé Le Boulon, c’est aussi l’occasion d’évoquer la première sortie dédiée à Daniel Treacy, de Television Personalities pour que justice soit faite sur ce compositeur méconnu.
Vous pouvez trouver une bonne dose d’infos sur le Boulon sur la page de la campagne de financements Ulule ou sur la nouvellement créée page Facebook.
« La première chose que je fais quand je vais dans une librairie, c’est de regarder le rayon musique. À chaque fois, j’ai envie de pleurer toutes les larmes de mon corps. »
INTERVIEW
XAVIER BELROSE
Peux-tu te présenter ?
Rapidos : j’ai grandi avec le rock indé anglais des années 80 comme bande sonore à Reims. Où j’ai côtoyé quelques groupes locaux, qui n’ont jamais marché (on a toujours eu l’impression d’être maudits dans cette ville franchement pas fun – je crois que c’est mieux maintenant). Le truc marrant est que mon premier job, tout en étant étudiant, a été de bosser à la Fnac de Reims qui venait s’installer. J’avais évidemment postulé pour être disquaire. Mais je me suis retrouvé à la librairie, en tant que… réceptionniste des commandes. J’ai pris goût à l’univers de l’édition (j’étais quand même déjà un grand lecteur). J’ai suivi une formation à Paris XIII, puis ai enchaîné en tant que directeur commercial pour des maisons d’édition différentes : Autrement, Le Serpent à Plumes, Le Cherche Midi, Sonatine, puis retour au Serpent à Plumes que je rachète aux éditions du Rocher avec un associé en 2014. Avec comme objectif de publier des livres sur la musique, surtout pour cette marque qui avait publié le premier roman de Nick Cave, le journal intime de Brian Eno. J’y ai publié récemment les autobios de Mark E. Smith et de Johnny Marr (Johnny est venu deux jours faire la promo… c’était génial).
L’envie de créer ta propre maison d’édition est-elle venue d’une sensation de manque ?
Oui. Et d’une opportunité. Le Serpent à Plumes, que nous avions revendu à un groupe éditorial, qui lui-même a été racheté par un autre gros groupe, n’était pas vraiment une priorité pour les nouveaux patrons. D’où le « débarquage » de l’équipe. Et là… je n’avais plus vraiment le choix. Il fallait faire le grand pas. Sauter dans le vide (pas l’inconnu) : monter ma propre boîte. Et de manque, oui. La première chose que je fais quand je vais dans une librairie (et ça m’arrive souvent…) c’est de regarder le rayon musique. À chaque fois, j’ai envie de pleurer toutes les larmes de mon corps. On retrouve toujours les mêmes groupes. Rien sur ce qui a fait vibrer les dernières décennies musicale. C’est comme si la vie s’arrêtait dans les années 70. J’exagère évidemment. Il y a plein de bons livres. Mais je suis un frustré discontinu. C’est un peu comme les Inrocks qui au mitan des années 80 décident de monter un magazine parce que les Smiths n’ont jamais été traités par la presse musicale française.
« Je ne suis pas un spécialiste de la musique : je laisse cela aux journalistes et auteurs. Je ne suis qu’un pur fan. »
Créer une maison d’édition, c’est l’assurance de ne pas finir les fins de mois ?
Hé hé. C’est sûr que l’objectif c’est que la maison soit suffisamment rentable pour produire. J’ai prévu de lancer chaque titre en crowdfunding, qui me permettra de financer chaque projet. J’ai un job de conseil en direction commercial dans l’édition à côté. Mais si je fais bien le job pour le boulon, ce sera viable.
Quelle place la musique a-t-elle dans ta vie ?
Une place de tous les instants. Même la nuit : je dors en musique, avec l’intégralité de la discographie de Brian Eno (encore lui !), Stars of the Lid, ou bien Labradford. Je ne suis pas un spécialiste de la musique (je laisse cela aux journalistes et auteurs). Je ne suis qu’un pur fan. Comme je le disais plus haut, j’ai grandi dans les années 80 (je suis né en 71) et été d’abord touché par The Cure, Joy Division, et tout le tremblement. Mais mes vrais racines viennent du mouvement indé tels que les Smiths, Momus, Felt, James, House Of Love, la presque intégralité du label Sarah Records.
Un boulon, selon l’une des définitions en vigueur, est un organe d’assemblage constitué d’une vis à filetage uniforme et extrémité plate (ou tige filetée), et d’un écrou (et éventuellement d’une rondelle). Je te laisse faire un parallèle avec ta vision de la littérature ?
Le boulon a un côté DIY qui me paraît indispensable. Pourquoi Le boulon ? Parce que l’édition, c’est du gros bricolage (pas toujours, mais c’est ainsi que je préfère le job) et que le boulon est ce petit élément insignifiant qui fait que la structure peut tenir. Pas de Tour Eiffel sans boulons… En ce qui me concerne, ma Tour Eiffel sera plutôt montée en Meccano.
Quelles sont les maisons d’éditions internationales rock mythiques pour toi ?
Je n’ai pas trop de modèles. Je dois t’avouer. J’aime ce que fait Faber & Faber. Mais je cherche plutôt, pour le boulon, des auteurs français (pour éviter les coûts de trad) et, je l’espère, vendre les droits à l’étranger.
Et les maisons d’édition françaises ?
Je suis tout simplement admiratif devant le travail réalisé par la maison d’édition Allia (Please Kill me, Rip it up, etc.), qui, malheureusement, produit très peu de livres sur la musique. Il y a évidemment Le Mot et le Reste qui me paraît le plus intéressant dans leur diversité et la qualité de leur travail. Et puis, il y a par-ci, par-là, des petits bijoux. Je pense à feu First Third Book (le beau livre sur Felt ou le Punk).
Le livre Dreamworld de Benjamin Berton est la première sortie du Boulon. Peux-tu m’en dire quelques mots ?
C’est une super rencontre. Benjamin est un auteur extrêmement talentueux. Il m’a fait lire son manuscrit. J’ai accroché dès la première ligne. Je pense même que le boulon a été pensé / imaginé / créé pour accueillir ce titre. Je ne suis pas un grand connaisseur de Television Personalities – ce n’est pas un choix de fan qui m’a poussé à signer ce titre – c’est la qualité du livre, tout ce qui « tourne autour » du groupe que je trouve génial. Pas besoin d’être un inconditionnel de Daniel Treacy pour apprécier ce livre. Daniel Treacy, que je place aujourd’hui dans le panthéon des plus grands songwriters, aux côtés de Syd Barrett, Brian Wilson.
Suivront les bios de Felt, le groupe de Lawrence par Christophe Basterra et celle de Mark Hollis, leader de Talk Talk, par Frédérik Rapilly. Peux-tu les présenter également ?
On verra quel sera l’ordre de parution. Peut-être que d’autres sujets paraîtront avant. J’ai commencé à communiquer sur ces titres, mais je laisse le temps aux auteurs de travailler leur manuscrit. Pas de pression. Ce que je peux dire, sur Mark Hollis, c’est que nous avions échangé il y a bien plus d’un an, Frédérik et moi, sur l’idée d’effacement de Talk Talk, de la disparition de Mark Hollis. D’où l’idée de mener une enquête, partir sur les traces de Mark Hollis. Nous aurions espéré n’avoir jamais reçu la nouvelle qui nous a tous frappé ce 25 février. Après le décès de Mark Hollis, ce projet est devenu tout simplement une évidence, un hommage. En ce qui concerne Felt, cela fait quelques années que nous discutons, Christophe et moi, sur le livre définitif sur, ce que je considère le plus grand groupe de pop indé de tous les temps.
Plus d’infos sur le Boulon sur la page de la campagne de financements Ulule ou sur la page Facebook.
Photo en une : Daniel Treacy
Rien qu’un mot: Bravo !
Bravo Xavier Belrose pour cette initiative… Bonne chance!
Et on va commencer par lire Dreamworld en écoutant Magnificent Dreams des TV Personnalities;-))