Plongée dans l'une des expériences musicales les plus controversées de ces dernières décennies.
La musique fait figure de parent pauvre dans les disciplines artistiques associées au divers mouvements issus du dadaïsme et du situationnisme. Ces courants intellectuels qui parcourent la culture depuis près d’un siècle refusent toute forme de dogmatisme et se font un malin plaisir à bousculer toutes les valeurs dominantes, sans jamais chercher à les renverser. Juste pour ouvrir des brèches, des champs des possibles.
Ce jeu de subversion, souvent considéré à tort comme de la simple provocation, se développe plus dans la peinture (Marcel Duchamp), la littérature (Tristan Tzara) ou le street-art (Banksy) que dans la musique. Il y a cependant l’expérience Laibach qui interpelle depuis près d’un quart de siècle la scène musicale européenne.
Ce groupe se forme en 1980 dans la Yougoslavie de Tito. Dès ses débuts, la subversion se place au centre de la démarche du groupe, qui choisit comme nom l’ancienne appellation de l’actuelle capitale slovène Ljubljana sous l’occupation nazie. Ces trublions, membres du collectif NSK (nouvel art slovène) magnifient l’esthétique du pouvoir et la domination par la force. Sans la moindre distance ironique, le groupe a construit une esthétique clairement fascisante et totalitaire, jonglant aussi bien avec les références nazis que staliniennes.
Aux débuts des années 1990, en plein éclatement de l’ex-Yougoslavie, le groupe donne un énorme concert dans le stade de Belgrade. Dès le début, Laibach appelle à défendre l’honneur et la pureté du peuple serbe. Un discours violent et nationaliste qui s’inscrivait parfaitement dans le contexte politique et social de l’époque. Le public ne s’offusqua donc nullement de cette ambiance martiale. Le malaise arriva plus tard dans la soirée lorsque Laibach poussa le curseur encore plus loin en continuant sa rhétorique pro-serbe mais dans la langue allemande…
Jamais les membres de Laibach ne se sont prêtés au moindre mea-culpa. Il n’a même jamais été question pour eux d’expliquer leur démarche, de tenter de prouver l’ironie présente dans leur discours. Car l’idée n’est pas de dénoncer et de juger mais de créer le malaise, d’appuyer là où ça fait mal, de mettre en évidence les non-dits malsains et dangereux de la société.
Plusieurs fois interdit dans son pays comme ailleurs dans le monde (notamment en France), le groupe accède à une certaine notoriété à partir de 1986 et l’album « Opus Dei ». Laibach reprend alors des titres des Beattles, de Queen ou encore d’Opus (Life is life). D’apparence potache et proche du mauvais gout, ces œuvres restent pourtant hautement subversives et proche des collages dadaïstes : « Nous cherchons simplement à rappeler que tout art sert une idéologie, que ce soit l’art communiste, l’art nazi, ou l’art commercial dicté par le marché. La provocation est dans l’essence de la pop, y compris chez Madonna. Nous poussons simplement le jeu un peu plus loin. Nous cherchons à susciter un débat, sinon l’art n’a pas de sens« .
Lors de leur passage à Marseille en 2008, Laibach avait fait patenter son public en musique, en diffusant une dizaine de morceaux soviétiques : l’Internationale, les partisans, la Varsovienne, la jeune garde… L’un des aspects les plus dadaïstes du groupe est justement cet humour qui parcoure l’ensemble de leur œuvre. Car dans le dadaïsme ou le situationnisme, l’humour est l’arme la plus efficace et dévastatrice. Un humour qui souvent ne fait pas rire : « Notre forme d’humour est terriblement sérieuse. Nous pratiquons uniquement un humour qui ne peut être que mal pris.«
En France, Bertrand Burgalat fut l’un des premiers à comprendre la démarche du groupe et à se battre pour lui donner les moyens de se faire connaitre. Avant même de fonder son label Tricatel, Burgalat fut donc le producteur français du groupe. Pour lui, “Laibach a été le premier à montrer que la pop pouvait être un instrument d’oppression. Ses membres ont toujours réussi à brouiller les pistes avec une maîtrise, un pince-sans-rire qui fait qu’ils sont pris au sérieux« . Tellement pris au sérieux que de nombreux médias et artistes sont tombés dans le panneau du premier degré, à l’image de la Mano Negra lors de cette émission TV de Denisot.
Si Laibach continue de jouer avec les nazis et staliniennes, cela se fait de plus en plus avec une mise en perspective des rouages de nos sociétés capitalistes, que le groupe aborde avec la même méfiance. Le groupe a ainsi réalisé la musique d’un improbable film de science-fiction, qui devrait sortir au printemps : Iron Sky. On est en 2018, alors que l’Allemagne nazie a finalement remporté la seconde guerre mondiale. Une guerre de l’espace se joue alors, dans un délire potache et surréaliste, où les gentils du film sont les nazis, avec des comportements très proches des responsables américains des différents films catastrophes hollywoodiens.
Références :
Manuel de communication guérilla
Interview Popnews Bertrand Burgalat
Interview Laibach sur Prémonition
Chronique Destination rock
C’est le meilleur article que j’ai lu sur ce groupe ! Vraiment super !