Avant, on appelait ça « bootleg », voire « bastard pop ». Depuis que tout le monde appelle ça « mashup », ça ne m’intéresse plus. Pas la même intention, pas la même histoire. De quoi je parle ? Je t’explique.
En 10 ans, j’ai fabriqué plus de 500 bootlegs. Des productions pirates, créations hybrides superposant plusieurs chansons de styles différents, circulant illégalement en MP3 sur des forums obscurs. Quand je m’y suis mis en 2003, les Anglais appelaient ça des bootlegs parce c’était dans le circuit des remixes non-officiels qu’on trouvait en White Label (sans étiquette) dans des bacs au fond des magasins de disques branchés, fin des années 90. C’étaient des mashups, oui, en comparaison aux versions (un acapella posé sur une musique rejouée), mais ça entrait dans le circuit des bootleggers, ces types qui se permettaient de s’approprier les musiques des autres pour les marier de force, sans autorisation. Alors forcément, quand tu en produisais, tu entrais en piraterie. Ces bootlegs là étaient plus créatifs que les simples disques de contrebande faits à partir d’enregistrements volés, mais l’intention était la même : la pop music pour tous.
2 Many DJs – As heard on Radio Soulwax pt.2
En 2002, les 2 Many DJs venaient de sortir leur CD As heard on Radio Soulwax pt.2, MTV diffusait une émission de mixs video appelée « MTV Mash »,et la presse spécialisée parlait du phénomène « bastard pop ». Cette pop bâtarde était excitante, rebelle, faite par des fans de musiques qui se servaient de leurs créations pour apporter une esthétique punk et une envie de casser les codes de la pop.
La plupart des acteurs de ce mouvement international se retrouvaient sur le forum GYBO (Get Your Bootleg On) pour poster leurs liens. La grosse soirée du genre, à Londres, s’appelait Bastard, avant que Bootie débarque à San Francisco (puis dans d’autres villes). En France, on a crée la soirée Bootleg en 2004 au Rex Club (Paris), peu de temps avant l’ouverture du site Bootlegsfr. Tu vois le mot mashup quelque part ? Non, car nous étions des bootleggers, des contrebandiers agissant pour une cause : on aime la musique et on joue avec.
Peu importe le logiciel, la marque des platines, la façon de mixer : c’était le choix des chansons utilisées qui importait. On affirmait nos goûts et notre ouverture tout en provoquant les puristes frontalement. On se faisait souvent insulter par les fans de Radiohead ou de Rage Against The Machine à l’époque, qui n’imaginaient pas qu’on puisse aimer autant leurs idoles qu’eux en leur faisant subir un tel sort. Et pourtant si, nous aimions tout ce qu’on découpait et collait ! Ce qu’on voulait, c’est emmener les auditeurs de nos mixes vers d’autres pistes, prouver que certaines chansons ou chanteurs pouvaient être aimés sur une musique complètement différente. Et plus le mélange paraissait impossible, plus la réalisation était stimulante.
Shaggy vs. Rage Against The Machine
– Killing Boombastic / par DJ Zebra
Et puis, on allait bien plus vite que l’Industrie du Disque et les médias. Pour cette raison, les bootleggers ont représenté le mouvement le plus intéressant, libre et innovant des années 2000, le premier basé principalement sur internet. Sans albums et sans promo, on pouvait se retrouver playlisté par des DJs et des radios du monde entier en un éclair. Un mix réalisé le matin était downloadé l’après midi puis joué le soir. Ça allait aussi vite qu’un tag sur un train, que tout le monde voyait sans savoir d’où ça venait. Et ça foutait un beau bordel.
Le bootlegger est un artiste de l’ombre, altruiste et indépendant avant tout. Alors, bien sûr, beaucoup d’entre nous étaient DJs en radio ou en club, et on a bien gagné notre vie en vendant nos prestations à travers le monde, mais nos intentions n’ont jamais été commerciales. On refusait de brader notre savoir faire pour répondre à des exigences juridiques, ça ne pouvait pas marcher de cette façon. Si un bootleg devait sortir, c’était tel quel.
En 2007, EMI Angleterre a sorti une compilation anglaise appelée Mashed… et c’est là que ça devient moins intéressant. Parce que le mashup, c’est artistiquement correct, ça rentre dans une logique d’accords entre ayants-droits, ça ne provoque plus les artistes et leurs éditeurs / producteurs qui se l’approprient, sans pour autant le valoriser. Le mashup, c’est le mix sympa qui fait marrer les potes, le gag de soirée étudiante à base de tubes cramés. Le mashup, c’est un terme technique vide de sens bon pour les magazines de materiel DJ. Ça ne raconte rien, en tout cas pas l’histoire d’une communauté de pirates inspirés.
ZEBRA MIX – Louise Attaque VS Daft Punk
Je l’avais vu venir, ce virage, dès 2008, quand j’ai cessé de recevoir des messages du genre « T’as pas le droit de faire ça » ou « Tu as dépassé les bornes », Oüi Fm m’avait viré en octobre 2007, après être souvent « sorti du format » dans le Zebramix. Ça fut le dernier acte de rejet du bootleg que j’ai vécu. Ensuite, le style s’est installé et mes mixes sont devenus plus acceptables, malgré moi. Les mashups les plus mainstreams étaient relayés pendant que GYBO s’éteignait doucement. Le mouvement évoluait en utilisant les méthodes de l’Industrie du Divertissement, et j’y ai participé, j’avoue. Mais au fond, ça me manquait qu’on ne se demande plus ce que je foutais là, je ne provoquais plus.
Alors, j’ai tenté des choses en live, jusqu’à réaliser cet album avec le Bagad de Carhaix en 2012 qui a intrigué beaucoup de gens. Et maintenant, pendant que les blogs s’extasient sur les mashup de Madeon, j’essaie de trouver dans l’écriture ce qui était excitant dans le mouvement bootleg : L’ABORDAGE !
Glory glory, Bootleggers United !
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