La Route du Rock est aux amateurs de rock indé ce que Lourdes est aux pieux pélerins : une étape incontournable. En vacances à la plage, une glace à l’eau dans la main, ou encore dans son bureau parisien croulant (ou pas) sous les dossiers estivaux, chacun a fait une croix sur sa mi-août calendaire. On prend les bottes et les tongs, les imperméables et le maillot, drôle de sac-à-dos hétéroclite et direction St-Malo. C’est une excursion annuelle, le safari musical qu’on attend patiemment et qu’on partage avec ses compagnons des éditions précédentes. Loin des parcs d’attraction aux grosses têtes d’affiches trop attendues, la Route du Rock est plutôt comme une promenade savoureuse, une ménagerie délicate, où les surprises se nichent à chaque tournant, des espèces de groupes inconnus se terrant dans des fourrées inexplorés, surgissant et rugissant sans qu’on s’y attende. Et la RDR prouve sur cette édition qu’un zoo sans son lion star peut tout de même trouver son public et le ravir.
L’Aquarium
Ce qui fait en partie le charme de la Route du Rock c’est bien son implantation. Fort de pierres la nuit, on fait cependant une halte quotidienne sur la Plage de Bon-Secours. Pieds nus dans le sable, on se réveille alors en douceur, alternant entre le concert du jour et un plongeon dans la piscine d’eau de mer. Vendredi c’était donc Aquagascallo qui ouvrait le festival avec un nom évocateur. Les trois Aquaserge dont Julien Gasc et Julien Barbagallo présentent leur nouveau projet qui rallie leurs influences diverses. Un brin ornithorynque en somme. Pop doucereuse et pourtant psyché dans ses virages, on s’immerge gentiment dans le programme du week end, lové sur sa serviette de plage. Le lendemain, on s’approche d’une espèce bien plus dangereuse. Place à Requin Chagrin. Pourtant, le prédateur est plutôt sympa avec de la pop-française aussi ensoleillée que la plage malouine. Les guitares claires donnent une touche un plus rock mais rien de trop brusque, ça on le gardera pour les escales de la soirée. Joli succès pour le squale qui arrive même à attirer les oreilles des chalands se promenant sur les remparts de la cité bretonne. Enfin, dernière étape aquatique du week-end, Halo Maud, petite étoile de mer brillante et délicate. On avait déjà vu Maud Natal avec Melody’s Echo Chamber, Moodoïd ou son projet Myra Lee. On la retrouve pour son nouveau projet, notamment accompagnée d’Olivier Marguerit (O), lui aussi bien présent sur la scène française. Ambiance vaporeuse autour de la jeune femme dont la voix est joliment entourée par les claviers et les guitares, comme un écrin d’écume protecteur. Son premier album est annoncé pour bientôt et on a hâte. Avec un peu de chance, il sera tel un coquillage qu’on porte à l’oreille et nous contera encore les vagues de notre été.
La serre aux papillons
Cette année, le rock est bien présent, avec des grosses guitares dures bien sûr, mais également de jolies formation délicates, un peu comme une serre aux papillons. Des papillons précieux et fragiles qu’on approche sur la pointe des pieds et qu’on observe délicatement. Belle & Sebastian avait évidemment toute sa place dans cette serre : les Écossais ont une nouvelle fois brillé par leur classe et offert un moment suspendu, entre douceur et joie de vivre, le tout avec le soleil se couchant et illuminant d’une lumière chaude et douce Stuart Murdoch et sa bande. Alternant les titres très calmes et ceux plus dansants et dynamiques (notamment du dernier album), Stuart se lance même dans une traversée de la foule du premier rang, en longeant la barrière de sécurité. Deux heures avant, c’était un autre spécimen qui se produisait sur cette même scène, avec un soleil cette fois bien plus violent : Kevin Morby, du haut de ses 28 ans, semble déjà s’être fait une place de choix dans la galaxie de la folk US. Arrivé une heure avant son concert à St Malo, le songwritter n’a pas semblé perturbé et a livré un set d’une incroyable maîtrise, le tout servi avec une voix caverneuse digne des plus grands. Puisqu’on parle de grandeur et de voix sublime, le Fort accueille le lendemain l’une des rares légendes de l’indie encore en activité : Tindersticks, 35 ans et dix albums au compteurs.
Tindersticks, la classe américaine.
Les oiseaux exotiques
L’un des lives qui aura marqué cette édition, sera sans nul doute celui de La Femme. Tel un oiseaux rare aux couleurs flamboyantes, à mi chemin entre ara arc-en-ciel et flamand tout-de-rose, les cinq jeunes Français sont entrés en scène sous les acclamations du public qui les attendait de pied (dansant) ferme ! Alors oui, La Femme divise, La Femme laisse parfois perplexe voire carrément sceptique. Les sourires narquois, l’attitude faussement (?) nonchalante pour ne pas dire carrément « branleuse » en énervent plus d’un mais ils sont clairement des emblèmes d’une génération de pop-française. Surtout, leur set est furieusement efficace, composé de tous leurs tubes, emportant tous les festivaliers dans des danses mi transe mi pogo, engageant même une chenille improvisée. On saute de partout, on chante des titres maintenant devenus cultes et La Femme fait la roue, paradant de toutes ses couleurs pour tout nous montrer qu’ils sont toujours bien là ! On attend alors avec impatience leur nouvel album dont seul le single Sphinx (qu’on aurait bien voulu voir jouée sur la scène du Fort) nous donne un aperçu délectable…
Les oiseaux nocturnes
Si certains chantent haut et fort, d’autres oiseaux se font plus discrets. Ce n’est qu’une fois l’obscurité venue qu’on peut les voir se poser. En haut de leur branche, cernés d’éclairs de lumière, les oiseaux de nuits entament leurs rondes. Le vendredi fut particulièrement propice à l’observation des ces espèces nocturnes. En attendant patiemment leur venue, on a pu apprécier la musique de trois d’entre eux. D’abord Haelos. Les oiseaux anglais nous balancent du trip hop hypnotique naviguant entre les influences de Massive Attack et de Jungle (pour les techniques vocales), voir même parfois Portishead selon les lourdes nappes de basse. Si certains semblent peu convaincus, d’autres sont bien plus réceptifs à leurs mélodies circulaires, mantra géométrique de la formation, diffusant un spleen léger et mélodieux. A peine le temps de tourner le dos à la scène des remparts que c’est Minor Victories qui commence à jouer, autre temps fort du festival puisque proclamé « chouchou-découverte » des programmateurs. Sorte de « supergroupe » réunissant des membres d’autres formations, on y retrouve Justin Lockey de Editors et son frère James, Stuart Brainwaithe de Mogwai et Rachel Goswell de Slowdive, qu’on avait d’ailleurs été ravi de voir (et d’entendre) lors de l’édition 2014. Les festivaliers sont alors nombreux à s’approcher de la scène, pleins de curiosité, pour le premier live français du groupe. C’est un set fragile, sur le fil, auquel on assiste alors. L’intention est cohérente et juste mais manque parfois d’authenticité quand certains morceaux glissent un poil dans la grandiloquence. La voix de Rachel est agréable mais semble parfois trop éthérée, noyée dans l’instrumental par manque de force. La faute peut être aussi à un son particulièrement raté (ce ne fut pas le seul sur ce weekend au fort malheureusement). D’autres titres cependant sont élégants et les arrangements riches. On attendra la prochaine migration de ces volatiles pour se rendre compte de leur évolution ! Enfin, sorte de hibou sombre et discret, Pantha du Prince prend place, seul sur la grande scène… Comme un frisson tonique dans l’assemblée. L’artiste allemand s’ébroue et livre un set (malheureusement totalement seul et sans ses musiciens, formule qu’on trépignait pourtant de voir) profond, zébré d’images minimalistes lumineuses. Sous sa large capuche beige, on peine à distinguer Hendrik Weber qui livre un set sans faute, comme à son habitude. Oiseaux de nuit aussi inquiétants que fascinants, sorte de rois de la jungle nocturne, l’arrivée de Suuns le samedi soir fut l’un des moments fort de cette édition 2016. Les Canadiens continuent de nous surprendre par leur maîtrise quasi chamanique des rythmes et des larsens. De minute en minute, leur musique nous submerge de façon viscérale. Leur dernier album, encore plus complexe et risqué que les précédents pouvait laisser penser à une tournée moins impactante et beaucoup plus « intellectuelle ». Suuns arrive pourtant à rendre accessible et émouvant le moindre rythme, le moindre rugissement de guitare.
Suuns, rapace de la nuit
La cage aux fauves
Après les chants lunaires de ces oiseaux de nuits, on se dirige pas à pas vers un enclos lointain. Le sol vibre déjà sous nos pieds et on entend des grognements… ce sont les Fauves de la Route du Rock qui sortent leurs griffes. Et comme une panthère qui approche prudemment c’est Fat White Family qui commence. Ces sales gosses anglais un brin dépravés nous servent du rock comme on en voulait ! A la fois sombre, drôle, précis, hirsute et sans prétention, leur musique est un laisser-aller pur et brut ! D’abord nonchalant, le set commence par une mise en bouche plutôt sage avant de se lâcher complètement, Lias Saudi faisant très (très!) vite tomber la chemise avant de se jeter dans la foule ! Cigarette à la main, bière aux pieds, cheveux en bataille et torse plein de sueur, qu’importe nos orientations sexuelles, on a tous fantasmé de se tenir à ses côtés cette nuit là…
En matière de déflagration sonore et de joyeux bordel, le punk a toujours su y faire. La présence des Californiens de Fidlar dimanche a ainsi pu permettre de réveiller le public malouin au point de créer un joli nuage de poussière et de sueur pendant une petite heure. Fidlar fait du punk comme on le faisait il y a 20 ans. Mais ils le font si bien que leur musique parait presque moderne, presque à la mode ! De vrais bêtes sauvages qui fonctionnent à l’instinct, à l’efficacité. Zac Carper et ses anciens collocs rugissent tubes sur tubes. Les fans qui connaissent s’en donnent à cœur joie dans la fosse. Ceux qui découvrent peuvent également apprécier dès les premières secondes des titres aussi efficaces que simples (en apparence). Sur cette même scène des remparts (la petite donc), se produira quelques heures plus tard, en avant dernier, l’un des ovnis de cette édition 2016 : Sleaford Mods. Plus que des fauves, ces Anglais tiennent surtout du chien sauvage, du bâtard enragé et fier de l’être. Le duo britannique aime la provocation et ne cherche pas à briller. Quand le premier reste les mains dans les poches tous le concert, se contentant d’appuyer sur un bouton de son ordi à chaque début de titre, l’autre gus se gratte les parties génitales et crache sa bière premier prix. C’est l’Angleterre prolétaire qu’on adore ou qu’on déteste mais qui ne peut laisser indifférent. Surtout, musicalement, Sleaford Mods nous envoie une énorme claque sonore. Jason Williamson nous étourdit par ses déclarations verbales, entre le chant le slam et le cri. Le flow est proche d’un hiphop hardore alors que les sonorités se font tantôt rock tantôt electro. L’intention est de percuter, qu’importe le style. Et le pari est réussi. Ces sauvages là révèlent tout ce qu’il y a de plus bestial et primaire chez l’homme. Et c’est pour ça qu’on les aime.
Sleaford Mods, sale et sauvage
Le gardien du fort : le Sphinx
Mais c’est un autre animal, tout aussi sauvage et véritable maître des lieux, qui aura sans conteste marqué de son empreinte le Fort. Créature charmeuse et sombre à la fois, c’est le Sphinx qui se tient au-dessus de tous. Inclassable et insaisissable, Savages était particulièrement attendu par le public malouin pour son troisième passage à la Route du Rock en cinq ans. Sauf que depuis l’an passé, le groupe a clairement franchi un cap et joue désormais dans la cour des très grands. A juste titre. Des les premiers morceaux, on comprend que ce concert fera partie des temps forts de cette édition. Jehnny Beth et ses trois acolytes débutent le set très fort, tout en puissance, comme pour assommer son public et lui faire tourner la tête. Ténébreuse et survoltée, Jehnny embrase le Fort et embrasse la foule aussi fascinée que respectueuse d’une artiste totale et transpirant la classe. C’est beau, très beau. Cela tourne carrément au sublime au fur et à mesure du concert quand Savages décide de calmer le jeu et de jouer des titres plus fragiles, toujours avec la même tension que depuis le début. Pour valider définitivement son passage dans l’autre galaxie, celle des créatures extra-ordinaires, Jehnny Beth invoque les éléments lors d’un vibrant hommage à Alan Vega (Suicide). Pointant son doigt au ciel, Jehny reprend d’une façon toute personnelle et touchante « Dream Baby Dream ». Au même moment, le public, déjà ensorcelé, s’émerveille en découvrant une étoile filante parcourir le ciel, juste au dessus de la grande scène. La fin du concert restera tout aussi suspendue et magique, à l’image de la version à fleur de peau d’Adore Life.
Savages, l’étoile (noire) filante
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