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La Route du Rock, chapeau (pointu)

Des vétérans, un tête d’affiche de rechange, des filles qui crient plus fort que les mecs, des guitares chouineuses, Saint-Malo a connu sa concentration annuelle d’anecdotes. Le prince des festivals (pointus) de musique indé français a embrassé 2015 comme à son habitude : avec son nez fin.

Jeudi 13 août, Fort-Saint-Père, Bretagne. Il est 21h, le camping sent bon la paille, les douches sont d’un blanc éclatant, on monte tranquillement notre tente, tout va bien. Mais parce que la Route du Rock sans la boue ce n’est pas vraiment la Route du Rock, le vendredi matin a logiquement marqué l’arrivée de la pluie… qui ne s’est fatiguée de tomber qu’aux environs de 19h – c’est là qu’on comprend la nuance ou plutôt le grand écart météorologique entre « Averses » et « Pluie ». Inutile de dire que ça lui a laissé le temps de détremper bien comme il faut tout le site et le camping pour les 3 jours suivants, mais au moins, une fois sa mission accomplie, on ne l’a quasi plus revue du week-end.

Après une visite de Saint-Malo by rain donc, et un retour en bus riche en détours de toutes sortes, on enfile nos bottes de pluie et on file voir Thurston Moore. Petit sweat gris avec le col qui dépasse dessous et grands yeux clairs, l’ex-chanteur de Sonic Youth a cette classe nonchalante qu’on a tendance à associer habituellement aux Anglais. Il est accompagné de Debbie Googe (bassiste de My Bloody Valentine), Steve Shelley (ex-batteur de Sonic Youth) et James Sedwards à la guitare, et on dirait une vraie petite famille, dépareillée et unie. Le son est bon, malgré quelques solos un poil longs qui finissent par nous faire baisser les yeux vers les bottes colorées devant nous dans un élan contemplatif.

Thurston Moore

Crédit photo Thurston Moore : Marc Ollivier

Grimés à la Kiss, les rockeurs en fripes de Fuzz nous sortent de notre torpeur à grand coup de riffs de guitares et de balancements de cheveux longs. Ça réchauffe le cœur et les orteils, on en reprendrait bien. Puis c’est Algiers qui prend le relais, avec un set lorgnant autant vers le rock que l’électro et la soul, voire le gospel. Nous, enveloppés dans nos longs ponchos blancs, on a une folle envie de monter sur scène à côté de lui faire les chœurs en levant les bras au ciel Harlem-style. Une mixture tout à fait intéressante, portée par des musiciens motivés (mention spéciale au clavier-robot qui chante, danse et chauffe le public en même temps), mais il manque simplement la petite étincelle magique. Celle que savent allumer les Timber Timbre avec leur folk mélancolique et délicate. « Fire Arrow », « Low Commotion »… Les morceaux défilent et on reste là, hypnotisés par le chanteur Taylor Kirk et ses airs de cow-boy désabusé, qui s’amuse ce soir à changer un peu tous les refrains. Son chant s’en va cogner contre les murailles du fort, là où plus tôt dans la journée des chèvres avaient fait leur apparition. Le moment de grâce aura lieu sur la sensuelle « Hot Dreams » : tandis que les instruments se taisent pour laisser résonner la voix de Kirk, lentement, quelques gouttes de pluie se mettent à tomber du ciel, brillant comme des perles dans la lumière des projecteurs.

Le temps de nous remettre de nos émotions, Girl Band a déjà terminé et les Ratatat ont pris possession de la Grande Scène. Un hold-up visiblement, qui nous laisse franchement de marbre : mis à part les rythmiques et les vidéos diffusées sur les écrans, tous les morceaux se ressemblent et la superposition systématique des deux guitares rend le tout particulièrement indigeste. Une sorte de gros pudding lisse, qui nous restera plus sur l’estomac que les pintes de la soirée.

Une petite nuit et un café en terrasse plus tard, nous voilà sur pied pour une nouvelle journée. Tonifiés par un saut dans la piscine d’eau de mer de la Plage de Bon-Secours, on se laisse happer par les mélodies électroniques trippées de Flavien Berger,  qui a l’air sincèrement heureux d’être là (« Je vois la mer, il fait beau, vous souriez »). On l’avait entendu une fois à Radio France pour une soirée SEQUENCES et on le retrouve tel quel, avec ses cheveux longs et ses mimiques attachantes, ses transitions pleines d’humour et de poésie qui font parfois penser à Katerine. Côté musique c’est à la fois sombre et insouciant, on se balade entre cold wave et techno dans un mouvement permanent ; un labyrinthe de morceaux aux dynamiques superbement construites, où on se perd avec délice. « 88888888 », « La Fête Noire », « Bleu sous-marin »… La Plage est sous le charme, et nous aussi.

De retour au Fort St Père, on a raté Kiasmos (argh) et une bonne partie de Hinds (sans regret), mais soudain les trois garçons de The Soft Moon débarquent et là c’est une petite claque. Ce post-rock sur fond électronique nous réconcilie avec les guitares qu’on avait quittées chouineuses la veille avec Ratatat. On les retrouve comme elles devraient toujours êtres, brutes, ténébreuses, fières. Le moins qu’on puisse dire, c’est que Foals aussi s’y connaît en guitares. Et en Route du Rock puisqu’ils y ont déjà joué en 2008 et 2010. Cette année leur venue a un goût de bonus : c’est suite à l’annulation par Björk de sa tournée européenne dix jours avant le coup d’envoi du festival que les Britanniques avaient été annoncés en remplaçants… En tant que tête d’affiche, donc. On était curieux de voir Bjork, on doit avouer qu’on s’est vite consolés. Mais quelques heures avant le début du concert, nouveau retournement de situation : leur bassiste est à l’hôpital, et c’est leur backliner qui va devoir assurer ce soir. Musicalement, ce sera un sans-faute, Yannis Philippakis se balade un peu partout en chantant, on le voit disparaître et réapparaître sur scène comme un diable à ressort – il tente même un immense « Vous aime ! » à faire fondre le plus stoïque des spectateurs. Mais on sent que le groupe est un peu tendu, et si on ajoute à ça un public mou du genou qui ne décide de se réveiller que sur « Inhaler » ou « What Went Down » (instants où on voit clairement poindre tout le génie live du groupe), on obtient un résultat mitigé. En même temps ça nous arrange, ça fait une bonne excuse pour aller les revoir.

On clôture cette deuxième journée sur Daniel Avery, qui nous poursuivra jusqu’au camping avec ses infrabasses.

Dimanche, on attrape la fin du set des prometteurs The Districts, qu’on se jure de réécouter, puis on vire sur Father John Misty, barbe longue et lunettes noires, qui se jette par terre, s’agenouille devant son public pour hurler ses ballades. L’ex-Fleet Foxes en fait beaucoup trop, mais on aime ça.

Savages2

Crédit photo Savages : Mathieu Foucheron

Arrivent les quatre filles de Savages, tout de noir vêtues, et là dès le premier morceau on sent qu’on touche du doigt le concert qui va nous faire vibrer pour de bon, loin devant tous les autres. Cheveux courts plaqués en arrière et regard acéré, Jehnny Beth (de John&Jehn) est plus impressionnante que tous les mecs qu’on a vu défiler. Elle défie la foule, du haut de ses talons aiguilles – qu’elle n’hésite pas à retirer juste le temps de faire un slam dans le public puis à réenfiler comme si de rien n’était. Sur scène la formule est pourtant plutôt classique : aux côtés de Jehnny, Gemma Thompson à la guitare, Fay Milton à la batterie et Ayse Hassan à la basse. Mais l’énergie qu’elles dégagent semble venir d’ailleurs, de cet endroit où le tout n’est pas égal à la somme des parties. Un par un, elles égrènent leurs morceaux, et on encaisse les coups, un par un. Un souffle post-punk ravageur et salvateur, brut et mélodique, libéré de tout. Une fois les lumières éteintes, on se demande secrètement comment le prochain groupe va oser commencer à jouer.

Heureusement, il s’agit des vétérans de Ride, qui se reforment vingt-cinq ans après la sortie de leur premier album pour repartir sur les routes… On suivra la chose d’un peu loin mais ils ont eu l’air de se défendre carrément bien. On se rapproche à nouveau pour Dan Deacon. Lui et son batteur se sont clairement donnés comme mission de tout faire pour nous réchauffer : il nous parle à toute vitesse, se met à sauter, allez c’est parti vous aussi, et puis on s’assoit, on agite les bras, on saute de nouveau. Drôle et extrêmement efficace.

The Juan MacLean sont aussi très efficaces à leur manière, avec un disco-funk à la cool qui va trancher avec le set ficelé comme un jambon de Jungle, qui clôt cette 25ème édition de la Route du Rock. D’accord, musicalement et visuellement, c’est parfait, et construire son set de façon à ce que tous les morceaux se fondent dedans sans qu’on arrive parfaitement à les en sortir de façon séparée est un pari risqué tout à leur honneur. Mais ce long morceau unique qui démarre et se clôt sur « The Heat » ressemble un peu à un cadeau trop bien emballé. Cela dit il est 4h du matin, il fait 10 degrés et tout le monde a le sourire, et c’est ça qui compte, non ?

Crédit photo de Savages en couve : Mathieu Foucheron
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