De quoi ont besoin nos artistes, nos magasins d’instruments, nos salles de concert, nos écoles de musique actuellement ? C’est simple : partager les expériences, collaborer avec l’extérieur. Les communautés scientifique, médicale, culturelle et institutionnelle doivent plus que jamais provoquer ces moments. Sans solution miracle et avec une suspicion toujours plus forte de cohabitation avec ce petit virus à moyen terme, il faut se serrer les coudes. On a échangé avec Romain Viala, chercheur en mécanique et responsable du pôle d’innovation de l’ITEMM au Mans, sur ses études en lien avec les métiers de la musique et la crise sanitaire.
Romain Viala est Bisontin d’origine, c’est-à-dire de Besançon. Passionné de Mécanique et Ingénierie, sa thèse s’est articulée autour des vibrations et la création du son à partir du bois de lutherie (de l’épicéa et de l’érable principalement pour le violon) : comment est-ce qu’un instrument de musique vibre-t-il ? Comment est-ce lié aux paramètres du bois, à l’humidité dans l’air, à la géométrie ? « On a pu montrer que, dans un violon, le bois en lui-même n’a pas tant d’influence sur le comportement vibratoire de l’instrument. C’est principalement la géométrie choisie par le luthier, en particulier les épaisseurs de la table et du fond à quelques dixième de millimètres près, qui font la différence. »
Sa thèse, il l’a défendue à l’Université de Bourgogne Franche-Comté à Besançon puis poursuivie au Mans, au pôle d’innovation de à l’ITEMM (Institut Technologique Européen des Métiers de la Musique), un centre de formation à la pointe qui forme aux métiers d’art de la facture instrumentale, de la régie son et du commerce spécialisé. Il travaille notamment sur des matériaux de substitution aux bois de lutherie pour les instruments vendus dans l’industrie. « Un instrument industriel à quelques centaines d’euros en bois massif, s’il a un problème, il sera rarement réparé parce que le coût de réparation sera proche du coût d’achat », nous confie-t-il. Dans une démarche de transition technologique et écologique de la facture instrumentale, son idée est donc de privilégier d’autres matériaux pour les guitares d’entrée et de moyenne gamme – tout en laissant aux artisans la ressource du bois de lutherie pour les instruments plus spécialisés ou de luxe.
Protocole sanitaire cherche professionnels de la musique
Début avril 2020, lorsque le gouvernement lance le plan de déconfinement du 11 mai, l’ITEMM et la CSFI (la Chambre Syndicale de la Facture Instrumentale) qui représente les fabricants d’instruments, forment un partenariat. Leurs objectifs : sortir du confinement le 11 mai avec des « guides » pour la reprise des magasins de musique ; parler d’une seule et même voix. « On a vu fleurir énormément de procédés désinfectants comme les UV ou l’ozone sur lesquels on pouvait émettre des doutes quant à leur efficacité, comme l’eau ozonée, qui était parfois dangereuse et pas forcément efficace,voire leur dangerosité » se rappelle le chercheur. Il faut se mettre à la places des clients. Si dans un magasin, on nous dit que c’est comme ça pour désinfecter, et dans un autre magasin c’est différent, ça ne met pas en confiance. » Leur affaire s’est donc déroulée en trois temps.
Première étape, la production des guides de bonnes pratiques (qui ne prétendent pas supprimer les risques, mais sont une somme de préconisations pour diminuer les risques de transmission). Le groupe de travail met ainsi à disposition des protocoles de désinfection pour que les clients puissent essayer les instruments dans les magasins. Le boulot est dantesque parce qu’il faut faire l’expérience pour chaque famille d’instruments : « Par exemple, l’alcool, au-delà de 70%, c’est efficace pour désactiver le coronavirus. Mais sur certains vernis, ça va les dégrader complètement. Il fallait faire attention à la compatibilité de chaque matière / revêtement, avec chaque produit. » Vous pouvez toujours trouver ces guides gratuits sur les sites de la CSFI et de l’ITEMM.
Deuxième étape, l’équipe de chercheurs et de représentants des fabricants d’instruments collaborent avec un laboratoire spécialisé en virologie. Le labo y manipule les virus et les produits pour les désactiver. Les virologues tentent de répondre à des questions très techniques et concrètes. Ainsi, un professeur de clarinette est en droit de se demander combien de fois il faut faire passer son écouvillon avec un produit désinfectant dans l’instrument pour bouter le virus hors du jeu.
Troisième étape, toujours en cours, le collectif associé avec les Forces Musicales en appelle aux premier·es concerné·e·s : les musicien·es, surtout d’instruments à vent, et les choristes, sont alors amené·es à participer aux mesures. Les résultats de ce type de mesures diffèrent beaucoup d’un cas à un autre dans les articles de recherche : « L’hypothèse c’est qu’il y a beaucoup de variations entre les musiciens, argumente le chercheur. Suivant le registre qu’il joue, suivant l’instrument qu’il pratique, sa corpulence, sa technique, si c’est un amateur ou un pro… Il va plus ou moins émettre un certain nombre de particules. » Romain Viala prend notamment l’exemple d’un chanteur qui, lorsqu’il utilise certaines consonnes dites plosives, va pouvoir émettre assez loin des gouttelettes (et ce même si ces projections sont inférieures à un éternuement ou une toux). Les questions sont les suivantes : dans une salle de concert, d’où les infections viendraient-elles principalement ? Lors d’une transmission, la raison vient-elle du fait que le public et le chœur se trouvent-ils dans un endroit trop peu ventilé ? Qu’ils soient trop proches les uns des autres ? Ces questions ont amené l’équipe de l’ITEMM et Carole Le Rendu sa directrice, à élargir son travail, et à le situer dans l’espace, entre champ proche et champ lointain.
Pour vivre heureux vivons masqués
Le champ proche est assez facilement compréhensible : une personne qui tousse ou éternue va produire de grosses particules potentiellement porteuses du virus. La trajectoire de la particule est balistique, le virus va finir par tomber par terre. Or, comme l’être humain a une fâcheuse tendance à s’entourer d’autres êtres humains, on peut facilement concevoir que celleux-ci peuvent recevoir de généreux cadeaux viraux. C’est la principale cause de transmission de Covid-19. Voilà pourquoi les masques sont devenus essentiels dans les lieux publics clos (bientôt obligatoire dans les lieux publics tout court ?).
Eh oui, il faut s’y résoudre. Le masque va nous accompagner un petit moment. On dit souvent qu’il protège par rapport à ce qu’on émet, que ça évite les éternuements, etc. C’est vrai, mais selon Romain il protège même au-delà : « Dans un milieu clos, l’avantage, c’est que ça supprime le champ proche (grosses particules) et ça peut réduire le risque du champ lointain même quand les gens ne parlent pas et sont éloignés, pour les particules de petite taille qui se diffusent dans l’air. » Toutes les études réaffirment l’importance du masque. En réalité, tout dépend du taux de circulation du virus : « Si vous avez une à plusieurs personnes infectées sur 10.000 dans la population française, on obtient un certain pourcentage de prévalence (nombre de cas d’une maladie dans une population à un moment donné, ndlr). En fonction de cette prévalence, les résultats des calculs évoluent. » Plus la prévalence est faible, plus le risque qu’une personne infectée soit présente est faible. La concentration dans l’air dépend du nombre de personnes infectées présentes. D’ailleurs, de nombreuses maladies (comme la grippe) existent depuis longtemps « mais on a dû considérer qu’elles n’étaient pas suffisamment dangereuses ou propagées pour qu’avant 2020 on demande aux gens de venir masqués aux concerts. »
Je vois des virus en suspension dans l’air
Mais ça ne suffit pas à l’équipe de l’ITEMM qui constate que beaucoup de paramètres sont et resteront variables : combien une personne émet-elle de particules ? Quelle est sa ventilation pulmonaire ? Combien de fois va-t-elle éternuer/tousser par heure ? Expérience de pensée : « Même si les gens portent un masque, s’ils inspirent et expirent, il va y avoir des particules en sortie du masque qui vont se retrouver dans la pièce. Si la pièce n’est pas bien ventilée, au bout d’un moment, la probabilité que quelqu’un contracte la maladie augmente. » Rien n’est laissé au hasard.
Parmi les paramètres sur lesquels il base ce nouveau volet de cette étude, il y a la durée du spectacle, l’activité respiratoire des différentes populations (public, chanteurs, danseurs, musiciens), le volume de la salle et le taux de renouvellement de l’air (VMC), le nombre de virus émis en fonction de la contamination dans la population, le nombre de personnes dans la salle ou l’utilisation des masques, etc. Un modèle est adapté aux spectacles à partir des modèles de contamination par aérosol qui existent déjà dans la littérature scientifique. L’équipe tire des estimations : « Quelqu’un qui joue d’une instrument à vent va probablement avoir une activité respiratoire entre quelqu’un au repos et quelqu’un qui fait un marathon, a priori. » Ça semble logique. Quid d’une salle de 1000 personnes ? Les personnes sont-elles au repos ? Sont-elles des musiciens, des chanteurs, des danseurs, des comédiens, des techniciens du spectacle, ou un public en mouvement. Le groupe met en place des centaines de milliers de calculs avec des bornes extrêmes, puis évalue les risques de diffusion, avec une borne minimum et maximum. A la fin, l’idée n’est pas de donner un avis du type : le spectacle peut se tenir. Mais plutôt est-ce que ce risque est supérieur ou inférieur à celui d’être assis dans un train ? Ou dans une salle de cinéma ? Ou une salle de cours ? Déjà, des hypothèses se détachent largement : « on a pu montrer qu’il y avait un groupe de quelques paramètres essentiels à prendre en compte : la durée du spectacle, le taux de renouvellement l’air, le volume de la salle et le nombre de personnes du public… et le fait de porter ou non un masque évidemment. »
Si toute cette situation est un peu déprimante, il faut en convenir, le travail du regroupement de chercheurs et fabricants est tout de même assez réjouissant : leur objectif de proposer des guides et un outil gratuit mis à disposition des salles de concert en complément et support aux initiatives déjà existantes l’est d’autant plus. On pourrait espérer que l’outil puisse servir, pas seulement aux spectacles assis (seuls actuels concernés par les décrets d’ouverture de salles), mais aussi pour le « debout » (grand oublié et victime de ces derniers mois de crise) : concerts en intérieur, festivals de musiques actus, clubbing, etc.
La route est encore longue… et masquée
Ne tirons pas de plans sur la comète de la fête trop vite. Plusieurs étapes séparent encore ces études des belles espérances qu’elles suscitent, en termes de réouverture de salles dans leurs différentes configurations. Premièrement, il faut comme dans tout domaine de recherche une validation par les pairs – chercheurs – qui vont procéder à une évaluation de l’approche probabiliste et variable proposée.
Dans un premier temps, l’équipe de l’ITEMM travaille avec un certain nombre de salles de musiques actuelles, de théâtres, d’opéras. Ils recueillent les durées de leurs spectacles, leurs taux de renouvellement de l’air, leur jauge, etc. Puis, l’idée c’est d’avoir des partenaires médicaux (comme des agences régionales de santé), des représentants des musiques actuelles, des assurances et de la législation, des institutions, pour s’accorder avec eux, dialoguer, convaincre : « Cette approche elle ne peut pas être unique, elle doit prendre en compte d’autres aspects : économique, notamment. On parlait de champ proche, dans le train, on est vite plusieurs personnes par m². Ça pose question. »
Interrogé sur le fait que cette initiative de recherche serait arrivée en réaction à la règlementation actuelle, qu’il aurait pu trouver pas adaptée ou trop stricte envers les salles de concert, Romain Viala réfute entièrement : « Je ne me permettrai jamais de me prononcer sur la règlementation, ça n’est pas mon activité. » D’autant que « le principe de précaution, il est archi nécessaire. » Cette étude n’est pas non plus pour lui l’idée de régler ses comptes avec les autres secteurs qu’il trouverait avantagés, comme on a pu lui souffler : « Le projet, c’est pas de dénigrer les autres, de dire « alors vous voyez, c’est pas pire chez nous« . Moi, je suis chercheur, j’ai beaucoup plus d’interrogations que de réponses. » Il n’empêche qu’il nous sera utile de savoir s’il est plus risqué, théoriquement, de prendre un train, l’avion ou aller au cinéma. Son modèle probabiliste pourrait nous éclairer à bien des égards.
En tant que musicien dans l’orchestre symphonique du Mans, l’arrêt des concerts a-t-il pu jouer dans l’aventure entreprise par Romain ? Pas vraiment. Le chercheur est ailleurs : « personnellement, je ne donne pas mon avis, je cherche l’objectivité » et même s’il aimerait bien reprendre la musique « si on est tous à plus de 5m et séparés dans le public« , pas sûr que ça soit bien intéressant. En tout cas, soyons précis sur les conditions sanitaires à adopter, pour se retrouver à nouveau.
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