Les cinq moutons fabuleux de Béziers, après avoir écrémé pas mal de scènes, se sont tenus bien sagement dans leur chambre, laissant fuiter quelques images dans des clips mettant en scène des écrans et des gens devant des écrans… Ce qu’il faut pour nous faire trépigner d’impatience et à l’écoute de la dizaine de morceaux, au format court et au ton rageur, qui jalonnent l’album « Social Violence ». Et on peut dire qu’on est loin d’être déçu. Seulement, le public en réclame encore plus et, ça tombe bien, les Fabulous Sheep nous attendent de pied ferme en concert, comme ce fut le cas le 31 mars au Rockstore de Montpellier.
En ces temps de campagne électorale, certaines personnalités politiques prétendent s’inquiéter d’un « printemps social » (celles-là mêmes, ou d’autres, qui annonçaient un « été orange mécanique »), éternelle litanie brandie telle une menace, alors même que l’espace social se délite. Ce sont sans doute ce genre de propos que porte en creux le dernier album des Fabulous Sheep renouant avec l’esprit d’un mouvement punk, investissant la rue et rendant à la violence ses lettres de noblesse.
Réinvestir l’espace social, ne pas se terrer dans la peur, ne pas devenir des robots incapables d’empathie, voici les thématiques présentées déjà dans le clip de « Satellite », comme une promesse d’un grand coup de pied donné dans la fourmilière, promesse d’une libération de la pensée. On retrouve dans le format choisi du clip « Parasite » une veine plus satirique, évoquant, par l’esthétique, davantage les années 90. Le morceau parle de la cruauté d’un système qui pointe du doigt et qui ne cesse d’exclure mais aussi de la masse apathique qui laisse faire, s’amusant même, gavée qu’elle est aux écrans et à la bêtise. Le mouton noir crie alors sa détresse mais il se rend bien vite compte que seul, il n’est rien, mais qu’à cinq il peut tout.
On pourrait présenter ainsi ce groupe de potes qui se retrouvent à l’adolescence, sur les bancs du collège, autour d’une passion commune pour la musique. Histoire somme toute banale si ce n’est la rage et l’énergie qui ressortent dès leur premier album, autoproduit en 2019, et le nombre de scènes écoulées depuis, forgeant un véritable groupe de rock. Sur scène, Timothée Soulairol et Piero Berini, au chant et à la guitare, Jacques Pernet à la batterie, Charles Pernet à la basse et le formidable Gabriel Ducellier, au sax et aux claviers, ne trichent pas et ne se complaisent pas dans des postures rock. Ça joue vite et fort, ça transpire pas mal et surtout ça crie sa rage, mais toujours dans une énergie positive.
Car d’espoir, il en est souvent question, dans cet album résolument tourné vers cette jeunesse que les politiques ont laissé choir sur le bas côté avec pour seule perspective de zoner dans les rues, comme le rappelle le premier morceau de l’album, « We fight ». La chanson, pied au plancher, scande ce qui fonde le groupe, à savoir déstructurer pour mieux reconstruire, en étant tourné vers l’avenir. L’album place toutes ses références au punk britannique pour mieux les réinventer et galvaniser la jeunesse d’aujourd’hui qui vit ce que la jeunesse des décennies Thatcher avait annoncé. Si les références au son des Clash semble évidente, notamment dans « Believe in God », il s’agit de réactualiser aussi les slogans anarchistes dans un morceau qui interroge sur les valeurs d’une société où les injonctions à l’avoir portent en germe les graines d’une violence sociale.
Plaisir non dissimulé également au détour de l’excellent « Future is Unwritten » de pouvoir entendre une intro sur fond de boîte à rythmes, qui évoque le punk français et sa veine politique. Bref moment, où je revois ma propre jeunesse avec « Porcherie » des Bérus dans le walkman, en me rendant au lycée, écoutant encore le punk de nos aînés, pour ne pas oublier les luttes à mener.
Mais la suite du morceau le dit, il n’est plus question de nostalgie, il nous faut regarder droit devant, tous unis comme l’annoncent les paroles « We have to be United ». Ce véritable hymne use du slogan pour mieux détourner la propagande politicienne et médiatique. Si naturellement, cette façon de procéder – les riffs de guitare en intro et le phrasé – évoque le groupe de punk garage The Hives, l’énergie et la volonté de toucher le public peut rappeler celle des Fugazi en leur temps, voire le mot d’ordre « Fight the Power » de Public Enemy, quant au propos.
Les Fabulous Sheep libèrent le rock et refusent ses chapelles : du punk bien sûr, du garage évidemment, mais aussi une tonalité plus sombre proche de la new wave. En témoigne le percutant « We think too much », où passe en boucle le slogan « Il faut arrêter de réfléchir ». Retrouvons la voie de l’humanité. Hors de question d’ériger des murs et des frontières au moment-même de la crise des migrants.
Et à l’écoute de « Mediterrean Cemetery », on comprend bien que la glose ne sert en rien et que si l’émotion nous gagne, quand sur un rythme à trois temps, on entend que la Méditerranée est un cimetière à ciel ouvert, c’est que la musique peut nous ramener à cette fameuse humanité. Il est, finalement, le seul morceau quelque peu dissonant, suspendu avec son solo de guitares, dans un album en quête d’harmonie et de cohésion de groupe, où chaque membre apporte sa compo et la chante, avec un effet choral en arrière-fond qui galvanise.
Car dire, c’est bien. Mais faire, c’est encore mieux. Et sur scène, le public qui vient voir les Fabulous Sheep retrouve le goût des autres, apprécie le besoin primaire de se sentir vivant. Comme dans certains stades de foot anglais, il chante d’une voix, transpire et crie. Le dernier morceau « Keep on dancing » évoque ainsi la contestation par le corps et la danse et clôt cet album plus que nécessaire. La chanson y poursuit sur un rythme plus lent une ligne de combats, jusqu’à cet ultime clin d’œil à la folk contestataire d’un Lennon : que les classes laborieuses fassent corps et ne se transforment pas en moutons de Panurge.
Photo en une : Fabulous Sheep © Abre Payday
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