Apprendre les bases du rock, danser le hip-hop, découvrir la harpe, faire un atelier de sound painting, rentrer dans une fanfare ou expérimenter la MAO, c’est possible depuis une année à Mains d’Oeuvres, le lieu culturel de Saint-Ouen en Seine-Saint-Denis. On a échangé avec Thibault Saladin, le coordinateur d’une école appelée MOMO, pour comprendre le pourquoi du combien.
Mains d’Oeuvres, symbole de résistance
A l’été 2017, le vent de la colère gronde dans les couloirs d’un espace culturel situé dans le quartier du Marché aux Puces de Saint-Ouen, dans le 93. Il se dit que le bail de ce haut-lieu alternatif s’arrêterait au 1er janvier 2018 et que la ville n’autoriserait pas un jour de plus à sa centaine de résidents de rester. Déjà, le maire UDI William Delanoy a exclu sa directrice Juliette Bompoint du Forum des associations, au début du mois de septembre 2018. Une crainte règne lorsqu’on tourne autour de cette question épineuse de l’avenir de Mains d’Oeuvres. Christiane Taubira qu’on ne présente plus, Stéphane Troussel, le président PS du conseil départemental, ainsi qu’Eric Coquerel, député FI de la 1ère circonscription de Seine-Saint-Denis et – attention – même Valérie Pécresse à la tête de la région et la ministre de la culture Françoise Nyssen, suivis par une tapée de grands médias, font pressing pour sauver le soldat MDO des attaques. Pourtant, l’élu de Saint-Ouen, relativement hargneux à son égard, et sa police, lui font la vie dure.
Dans son argumentaire pour bouter les cultures alternatives hors de sa ville, le maire a quelques idées qui ne manquent pas de chic et de choc. C’est même autour de ce combat qu’il a orchestré sa campagne électorale. Il tient notamment à rappeler qu’il n’est pas ce borné personnage anti-culture qui commence sérieusement à lui coller à la peau. Et donc, pourquoi pas lancer un conservatoire de musique à Saint-Ouen ? L’idée peut paraître très intéressante. Jusqu’à ce qu’on se rende compte à quel endroit monsieur le maire a-t-il voulu élire domicile : le 1 rue Charles Garnier, soit les anciens locaux des usines Valéo, réhabilitées et occupées par les résidents de Mains d’Oeuvres depuis janvier 2001. Les artistes, voisins et coworkers du lieu citoyen se sentent floués. Difficile de ne pas y voir à travers l’écran de fumée.
Traditions et alternatives
Quelques mois plus tard, la mobilisation de soutien autour du lieu est massive. Une pétition récolte à ce jour quasiment 20.000 signatures, le lieu reçoit 100 encouragements pour les potentiels 100 derniers jours de son séjour audonien par des artistes, les médias se rendent sur place, Mains d’Oeuvres devient un symbole de résistance pour tous les lieux culturels en danger de mise à mort. Et en profite pour répondre de la meilleure façon aux attaques. Son idée fomentée depuis quelques mois, c’est la création d’une école de musiques actuelles, la MOMO pour Musiques Ouvertes à Mains d’Oeuvres, centre de notre attention aujourd’hui. Une idée originale et quelque peu pionnière (même si le terme pionnier est évidemment à relativiser).
En 2018, le quotidien grouillant de Mains d’Oeuvres se fait toujours entendre dans ses studios de répétition, son restaurant, son gymnase et ses espaces de coworking. Ses soutiens peuvent se réjouir de ce cas d’école si l’on pourrait dire, ce moment où la souris est crainte par l’éléphant.
À ce sujet, nous avons contacté Thibault Saladin qui a bien voulu répondre à nos questions. Compositeur et réalisateur, Thibault se débrouille en autodidacte depuis 30 ans. Militant associatif, il croit plus que quiconque aux projets collaboratifs. Sur le sujet de cette hasardeuse opposition « conservatoire vs musiques actus », le boss de la MOMO est direct : « Dans Saint-Ouen, commune de 50.000 habitants, bientôt, avec un passé culturel fort, il y a de la place et beaucoup de place. Mains d’Oeuvres et le conservatoire seraient une très bonne association car chacun a un savoir faire et des moyens qui se complètent. » Et lui, qui connaît peut-être aussi les difficultés financières de la ville, « espère que [le maire] n’a pas abandonné l’idée de faire un nouveau conservatoire, c’était dans son programme de campagne, car la place manque et la demande est grandissime, pour s’inscrire faut se lever à 4 h du mat. »
À une époque où l’on parle souvent de nouveaux courants et modes d’éducation (alternative ou douce par exemple) que l’Éducation Nationale n’intègre pas vraiment dans ses programmes, proposer une école de musique « alternative » suppose-t-il que l’école de musique traditionnelle ne remplit pas certains rôles, et auxquels la MOMO veut remédier ? Thibault tient à marquer un temps sur ce point qui lui semble important, à savoir qu’une école alternative n’a pas vocation à tuer la tradition, et encore moins de donner de leçons aux autres.
« Les autres offres institutionnelles peuvent satisfaire certaines personnes comme la nôtre correspond à d’autres publics, sonne-t-il. Le principe de notre école repose sur des critères comme la convivialité, le partage, l’initiative, la créativité. » Selon lui, le but est plutôt de « de confronter ces mondes musicaux afin qu’ils s’influencent et se respectent pour ce qu’ils veulent produire. » On est loin d’une uniformisation des savoirs, des rêves et des modes d’enseignement. À Mains d’Oeuvres, on rappelle simplement qu’il n’y a pas une seule méthode, et on fait le constat que les méthodes traditionnelles ne s’adaptent pas à certains publics.
Kézako la MOMO
Bah oui, c’est bien marrant mais on y fait quoi ? La MOMO propose des cours collectifs, des ateliers et des stages. Certains enseignements ne sont vraiment de ceux auxquels nous sommes habitués dans des écoles de musique et des conservatoire plus classiques. Vous pourrez par exemple suivre des ateliers jazz, sound painting, fanfare ou de MAO.
Autre exemple avec les stages artistiques pour enfants de 5 à 12 ans. Pendant les vacances scolaires, sur une période continue d’une journée, les enfants découvrent et pratiquent aussi bien les arts visuels que la danse et la musique : « Le corps apprend de différentes manières un rythme et une mélodie. On se rapproche d’une sorte de synesthésie de arts. »
La MOMO revendique également l’apprentissage à plusieurs : « Le principe des cours collectifs se calque sur le principe même de la musique, commence Thibault. Dans la plupart des cas, quand tu écoutes de la musique il y a toujours plusieurs instruments. C’est cela qui colorie nos oreilles, cette association des timbres instrumentaux. Fort de ce constat on décide par les cours collectifs, 4 au maximum dans l’ensemble des cours, de générer cette écoute et ce savoir faire. On ne scinde pas les pratiques comme « je joue dans mon coin, après j’apprends à faire avec les autres« . »
Vous pouvez retrouver à cette adresse le dépliant des cours et activités sur l’édition 2018 – 2019, ainsi que les tarifs qui vont avec.
On n’a pas le même maillot mais…
L’avez-vous remarqué autour de vous ? Un paquet de gens raconte des souvenirs pas vraiment agréables de l’apprentissage du solfège ou de leur instrument dans des écoles de musique. Souvent l’émotion et le plaisir ressentis passent après la technique et la reproduction d’œuvres. Voici le principal cheval de bataille de la MOMO : l’émotion. Reste à savoir comment peut-on apprendre à aimer jouer avant de savoir faire. Et si c’est facile d’apprendre à aimer : « Les profs de la MOMO sont toujours à la recherche de ce qui déclenche une passion chez l’élève. Par conséquent la pratique instrumentale et le solfège ne font qu’un. C’est l’oreille qui fait le tri pour amener à ce que l’on veut jouer. Pour certains cela se passe d’abord par une compréhension visuelle et pour d’autres plus fortement par l’oreille mais au bout du compte c’est ce que l’on entend de ce que l’on produit qui compte. »
Dans cette école un peu spéciale, on joue au caméléon, on grandit et on s’apprend mutuellement. Ainsi il y a de la place à l’interprétation, et à l’adaptation, pour les professeurs comme pour les élèves dans chacun des cours : « L’apprentissage est au service des envies des élèves. Cette écoute, cette analyse de l’élève faites par les profs les obligent à s’adapter en permanence et c’est en cela qu’élèves et profs sont sujet à l’interprétation des consignes des jeux à trouver. » On nous dit à l’oreillette que les mots droit à l’erreur et autonomie traîneraient également dans le coin.
La Mains d’Oeuvres touch
La singularité de Mains d’Oeuvres, c’est forcément ses milliers de musiciens qui passent par ses studios de répétition et d’enregistrement, dans sa salle de concert et qui se mêlent aux voisins pour profiter de la formule midi dans son restaurant. Rappelons-nous notamment que les musiciens de La Femme et de Grand Blanc, le producteur Arnaud Rebotini, les groupes de rock Cheveu et Frustration, ou le chanteur Camille Bazbaz sont tous passés par ou sont encore en poste dans les studios du lieu. Alors, évidemment, c’est au sein de ce vivier que l’école vient trouver ses professeurs : « C’est ça qui fait la force de la MOMO, d’être dans un environnement créatif avec des résidents et des pôles culturels forts. »
Parmi les profs, on retrouve évidemment notre interlocuteur Thibault autour du jazz ; Benjamin Dousteyssier figure montante du renouveau du jazz et prof de sax et d’atelier ; la danseuse et scénographe Luisella Avvinti-Chafik habituée de la danse contemporaine en milieu scolaire, associatif, hospitalier, tant que c’est ouvert à tous ; mais aussi le batteur Florent Berteau, passionné par les musiques africaines et américaines ; la multi-instrumentiste Valérie Bienvenu que vous verrez aussi bien derrière une flûte à bec qu’une clarinette, un saxophone, une viole de gambe, une contrebasse, ou même en train de danser, et qui a fondé l’association « Arcoluz » destinée à développer la pratique et la connaissance musicale sous des formes d’ateliers musicaux transgénérationnels, des concerts en appartements, ou en milieu thérapeutique ; ou encore Dgiz, rappeur, slameur, comédien, improvisateur et contrebassiste, et petite légende du 93. On ne vous cite pas tout le monde parce qu’ils sont beaucoup, mais vous pouvez retrouver leurs noms et bios ici.
Et quand on a voulu savoir si la MOMO se basait sur un modèle déjà expérimenté, on nous a répondu que pas vraiment, mais que « le principe des workshops musicaux est le modèle qui s’en rapproche le plus. »
« Nous sommes avec ce tarif dans la fourchette basse des écoles de musique. »
Sur les prix, on a voulu se rendre compte de ce que la MOMO proposait par rapport aux autres. Le tarif annuel est de 400€. « Il correspond au minimum vital pour payer les profs, nous raconte Thibault, car il faut savoir que Mains d’Oeuvres dans sa grande générosité nous accueille bénévolement. » Tout cela avec dans l’idée de faire un tarif « dégressif » lorsque l’école sera plus installée et que les recherches de subventions auront porté leurs fruits. Le coordinateur du projet nous rappelle également que l’école « met à disposition des bourses pour des familles démunies »
Pourvu que ça dure
Se pose enfin la question de l’accompagnement financier de ce beau projet qu’on aimerait voir durer, pour reprendre le mantra de ce bon vieux Patrick Sébastien. Alors, vous avez une petite idée ? OK, on utilise notre joker : « Elle est très peu accompagnée financièrement pour l’instant, nous confie Thibault, il est essentiellement basé sur un modèle durable qui consiste à ouvrir un cours lorsque 4 élèves sont réunis : le prof est rémunéré et on peut ouvrir autant de cours que de demande. Voila l’équation magique qui fait le compromis avec tout ce que l’on s’est dit avant. » Le système do it yourself et la démerde continuent à colorer les murs de Mains d’Oeuvres, et ses grandes initiatives.
Un an après sa mise en œuvre, Thibault peut déjà commencer à tirer quelques remarques de son jeu de cartes MOMO. Améliorations, accomplissements, joies peuplent l’enthousiaste bilan résumé : « Un tel projet, ce sont des gens, des énergies, des idées les plus drôles et les plus folles culturellement parlant et c’est en partant de ce constat que les choses se sont construites donc oui il y a toujours à améliorer car nous dépendons de la bonne volonté des élèves des profs et c’est cette alchimie qu’il faut préserver. Mais on peut dire que ce projet correspond à une vraie réalité et demande car pour sa deuxième année on démarre en prévision à plus de 220 inscrits ! Que la fête continue. »
Toutes les infos sont disponibles sur le site de Mains d’Oeuvres
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