Les madeleines de Proust. Ces petits actes, odeurs, mélodies et sensations qui, brutalement, font resurgir de notre mémoire de lointains souvenirs, souvent chargés d’émotion. Dans cette série d’articles, nous proposons à quelques uns des artistes dont nous respectons le plus l’œuvre de rassembler ces morceaux qui constituent leurs madeleines de Proust et de nous raconter le souvenir qui y reste étroitement lié. Dans ce premier épisode, Albin de la Simone nous parle d’un morceau de The Cure.
Albin de la Simone :
« J’ai grandi dans un village picard de 150 habitants qui à l’époque était encore assez rural. Plusieurs fermes, le lait tiède chaque matin dans le pot en aluminium déposé devant la maison par madame Merlot, de retour de la traite. Les cabanes dans les arbres, les moissons en été, l’odeur de la forêt, les escargots, les orties, l’automne. Même si mes parents étaient des citadins qui avaient accompli une sorte de retour à la terre, même si nous étions abonnés à Télérama et à la Maison de la Culture d’Amiens, je me considère vraiment comme quelqu’un « de la campagne ». Contrairement à mes parents, j’y suis né, j’y ai grandi.
Et je m’y suis emmerdé, l’adolescence venue.
Quand, je suis enfin arrivé à la Cité Scolaire d’Amiens, en seconde A3 arts plastiques, quand j’ai commencé à fréquenter Rodolphe et Rodolphe, gabardine chinée, Doc Marten’s, badges de Nina Hagen, iroquoise crêpée, ou Pascal le dessinateur de SF génial fou de Pink Floyd qu’un problème aux cordes vocales faisait parler suraigu, Aline et ses seins, François et ses ombres, Mathieu, son Apple II et le synthé Korg sur lequel on a composé l’hymne « J’aime pas les cons », quand j’ai goûté à la bière brune en grande quantité, la vodka, le shit dans des joints hyper-coniques comme les roulait Sœur Marie-Therese dans Fluide Glacial, quand j’ai graphé en lettres géantes « Jésus Christ était PD » sur les murs fraîchement repeints du lycée, quand je suis parti avec un groupe d’ados rencontrer Thomas Sankara au Burkina Faso ne quittant pas mes Rangers et mon Perfecto malgré 40 degrés à l’ombre, quand on a enterré le frère de François, quand je n’écoutais pas Penis Envy de CRASS, et surtout quand j’ai pleuré sur la lettre de rupture d’Aline au bout d’une semaine de vacances, la bande originale était « Charlotte Sometimes » des Cure. La version live. L’autre est nulle. »
Charlotte Sometimes (live) – The Cure
Dessin : Albin de la Simone
Vous pouvez retrouver notre interview d’Albin de la Simone, de novembre 2014 juste ici
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