Passionné par tous les objets faisant du boucan, les sets de Laurent Garnier époque Fun Radio et les instruments traditionnels maliens, Praktika est un expérimentateur mobile. Ce transhumaniste de la musique croit en la rencontre entre la machine et l’homme, et propose lors de ses sets des valses régulières entre la house music et les musiques d’Afrique.
Il est de ces gens qui prêchent une parole avant l’heure. Alors que la France des années 2000 cantonne les musiques ouest-africaines, gnawa, afro-beat dans les salons art-déco et les chaînes hi-fi du papa bedonnant, certaines têtes brûlées n’ont pas vraiment attendu leur tour. Il se nomment Raoul K, songent à Radio Slave, rendent hommage au maître James Holden ou suivent, plus discrètement, le parcours d’un certain Jérôme Fouqueray, qu’il vous faut nommer Praktika parce que c’est l’usage.
Sarthois de naissance, tapeur-sur-tout-ce-qui-bouge, Praktika s’est donné comme mission de « ré-humaniser » les musiques électroniques binaires. Ainsi il procède sur deux aspects de son métier : celui de collectionner, de digger des sons, sur internet, chez les disquaires spécialisés ; ainsi que celui de produire et jouer de la musique électronique en y intégrant des enregistrements d’instruments, eux, organiques.
On ne vous fait pas le coup de tomber des nues, hein, ces alliages musicaux existent depuis une lurette qu’il n’est pas à nous d’embellir. Il vous faudra pourtant prendre la mesure des singularités surprenantes qui existent lors des rencontres des si-nombreuses musiques traditionnelles africaines face à celles, rythmiques, effets et textures électroniques permis par les machines et autres logiciels de MAO.
Car oui, autant le rappeler, mais Praktika est notamment le grand selector derrière la playlist mensuelle Afrique Electronique, lancée en mars 2017 sur notre cher média. L’occasion pour lui d’ouvrir les vannes de centaines d’internautes aux timbres inédits et aux tonalités tapageuses. Alors que la sélection du digger fou culmine aujourd’hui à 170 morceaux et 2 mix, il est de notre devoir de nous pencher sur la vie, l’oeuvre de votre serviteur.
PRAKTIKA,
PARLE-NOUS
Peux-tu me parler de ton enfance, ton adolescence ?
Quand j’étais petit, j’énervais mes parents parce que je tapais tous le temps sur n’importe quelle surface pour faire des sons. A table, c’était un vrai cauchemar. A l’adolescence, je traînais toujours devant les platines ou derrière le dj. Mais toujours sans danser, c’est pas mon truc. Ce qui devait être assez flippant pour le dj.
Tu avais de la musique à la maison ?
Je ne trouvais pas vraiment mon compte dans la discothèque de mes parents. A part un vinyle d’orgue Hammond d’André Brasseur et un album de Jean-Michel Jarre.
La musique électronique, tu l’as découverte comment ?
Au début du collège. J’écoutais la radio le vendredi avant de me coucher. Un jour, sur Fun Radio je suis tombé sur un set de Laurent Ganier. J’ai commencé à écouter ses sets et, plus tard, ses émissions sur Radio Nova. J’’avais enregistré un morceau sur cassette que j’écoutais en boucle, un track signé sur Undeground Resistance, World 2 World « Amazon » surement que ce titre a débloqué un nouveau niveau dans mon cerveau. En tout cas j’ai toujours des frissons quand je l’écoute.
Tu t’es ensuite mis à mixer, peux-tu me raconter tes premiers pas ?
Ma première expérience c’était au Sporting Bar de Saint-Calais. Je n’avais qu’une platine vinyle, ma Technics MK2, et un lecteur CD. J’y jouais beaucoup de sons des Daft Punk. A l’époque ils avaient chacun un label, Roulé et Cri d’amour. C’était les premiers pas de la french touch underground. Le Sporting Bar, c’était très populaire, le genre de coin où le comptoir est occupé par des piliers de bar, des villageois et des ouvriers. Dans la salle de derrière, ils avaient enlevé le billard pour faire une piste de danse. Et pas mal de gens sont venus danser alors qu’il n’avaient jamais écouté des sons comme ça.
Bien avant qu’elle ne devienne bankable, la musique afro est entrée dans tes disques. Comment ?
Petit à petit je commençais à mélanger des sons de percussions avec la techno de Detroit. Un des premiers morceaux qui m’ait marqué, c’est « Koma Koma » de Radio Slave. Une boucle de percussion avec des voix africaines dans un univers bien techno. Et je mélangeais cette musique avec du Border Community, le label de James Holden. James a un son plus mélodique et polyrythmique, plus transe et c’est là où je voulais en venir. C’est l’état de transe que je recherche quand je mixe et c’est ce que je veux faire découvrir aux gens. Au départ, j’allais faire mon premier voyage en Afrique, au Burkina Faso, pour rencontrer les musiques traditionnelles. Je savais que quelque part là-bas, il y avait des musiques qui pouvaient élever mon esprit encore plus loin. J’ai débarqué à Bobo Dioulasso et on m’a tout de suite mis devant deux balafonistes. Je ne connaissais pas le balafon (xylophone avec des lamelles en bois) et pourtant ils ont réussi à me mettre en transe. Cet état ou tu t’évades sur une musique sans t’attendre à un refrain ou à quelque chose de construit. Un mélange de lâcher prise et de découverte permanente.
Qu’est-ce qui te plaît dans l’alliance entre électronique et musiques traditionnelles africaines?
Je recherchais quelque chose de nouveau, la musique électronique est très vaste et a tendance à s’uniformiser parfois. Les gens ne font plus d’albums, ils vendent des clics et du téléchargement. Avec cette alliance, c’est peut être le moyen que j’ai trouvé pour ré-humaniser ma musique et retrouver la transe que j’aime. Mais je ne suis pas le premier à m’être intéressé à ce côté traditionnel : l’Ivoirien Raoul K a réussi avant moi à créer cette fusion avec des rythmes ivoiriens, sans parler de James Holden, une de mes plus grandes références qui fusionne avec la musique Gnawa ou évidemment Steve Reich qui, déjà dans les années 70, étudiait les rythmes au Ghana pour confectionner sa musique minimaliste. Et ce qui est magnifique, c’est qu’aujourd’hui on arrive à trouver des artistes africains, comme Hamma au Nigeria, qui arrive à faire fusionner la techno de Detroit avec des rythmes nigériens, juste avec un vieux synthétiseur Yamaha. Pour moi, ce sont ces artistes là qui font avancer la musique.
Tu es un grand voyageur. Tu as commencé par Nantes, peux-tu me parler de l’après ?
Je suis arrivé en Afrique… ça va faire 5 ans. J’ai pas mal tourné pour rencontrer les musiques traditionnelles ouest-africaines. J’ai commencé par le Burkina Faso, puis j’ai migré en Cote d’Ivoire, et j’ai ensuite habité au Mali, tout en allant voir les voisins, comme le Bénin et le Sénégal. Tout ça m’a donné envie d’étendre mes recherches. Du coup, l’année prochaine, je prévois un tour du monde dans vingt pays.
Tu es proche d’un festival burkinabè nommé Africa Bass Culture. Qu’a-t-il de si particulier ?
Il réunit toute une équipe de passionnés, qui forment de A à Z des musiciens burkinabè, mais pas seulement. Ils forment aussi des techniciens vidéastes, son et lumière, et c’est une partie de notre métier que l’on voit trop peu alors que leur job est essentiel. Camille Louvel a été à l’origine de tout ça. C’est lui qui a mis en lien des structures nantaises pour Humanit’Art avec des Burkinabè pour monter ensemble un festival. Grâce à eux, on a réussi à avoir un line-up de qualité, avec des artistes comme Batuk, Midnight Ravers, Spoek Matambo ou Joey Le Soldat, avec un budget toujours super serré. Et dans plusieurs lieux. ABC ça dure plus de deux semaines, entre Ouagadougou et Bobo Dioulasso. Ce festival permet aussi de dénicher des nouveaux talents, comme le Congolais Boumaye, qui fait tourner son afro house dans plusieurs capitales ouest africaines.
Quels sont tes boulots en tant que musicien depuis que tu es sur le continent africain ?
Comme la musique électronique est quasi inexistante en Afrique de l’ouest, mais qu’il y a cet engouement autour de la musique afro-électro, je commence à créer des soirées fusion. A Abidjan, le Bushman Café, un des plus beaux lieux de la capitale, m’a accueilli en premier comme dj résident – je fais toujours des playlist pour eux d’ailleurs. J’ai créé un collectif, avec Isa Guipro et Clément Mitchel, qui s’appelle Kamayakoi, comme les soirées qu’on produit, de A à Z, dans des lieux insolites. On en a fait une en plein milieu du centre artisanal d’Abidjan, une autre dans l’atelier de Saliou, un sculpteur ouestaf’, et une des dernières a eu lieu à Blokoss, un quartier populaire de la capitale. En plus, je donne des cours d’Ableton aux producteurs locaux qui sont intéressés. D’ailleurs je pars au Bénin pour faire une semaine de cours à des musiciens béninois. Sinon je collabore avec Dom Peter qui à lancé début d’année le label Blanc Manioc, on produit des musiques « Afrique électronique » avec des artistes comme le producteur kenyan Slikback D’Njau, Aero Manyelo, Hard Fist, Sauvage Sound System ou le groupe franco-malien Midnight Ravers.
Crédits photos : Nicolas Réméné
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