Le groupe d’Oxford nous laissait en 2015 avec son percutant « What When Down » qui confirmait sa place en tant que groupe anglais emblématique. Après de nombreuses années sur la route, Foals a pris le temps de s’enfermer pour composer et enregistrer de nouveaux morceaux sans pression, ou presque. Et en 2019, ils reviennent non pas avec un mais deux albums ; telle une pièce de théâtre en deux actes, nommée « Everything Not Saved Will Be Lost ». Sortez vos disques durs externes, cette interview s’autodétruira après lecture.
Ce cinquième album de Foals marque un tournant dans l’histoire du groupe. Arrivés au bout d’un cycle, la formation a vécu le départ de son bassiste, ce qui n’a fait que renforcer sa volonté de vouloir prendre un nouveau cap. Sans pour autant renier ses origines et ce qui a fait son succès.
Plus que jamais, leur musique est directement inspirée par le monde dans lequel nous vivons, avec un mélange de pessimisme et d’espoir. On a beau dire, mais c’est quand les temps sont les plus troubles que les artistes semblent les plus inspirés. Et si vous ajoutez au bourbier mondial le fait de se retrouver dans un pays qui souhaite se désolidariser de l’Europe et fermer ses portes (coucou le Royaume-Uni) : vous avez presque tous les ingrédients pour stimuler votre créativité.
Le déclin de la société reste un thème récurrent dans la musique des Poulains (en français dans le texte) et la situation s’est aggravée au cours des quatre années qui ont suivi « What Went Down » (que l’on pourrait traduire littéralement par : Ce qui a foiré). Trump, le Brexit et les nouvelles prises de conscience sur l’accélération du changement climatique nous ont menés plus loin vers une certaine dystopie. Everything Not Saved But Lost, le projet d’album en deux parties du groupe, est directement influencé par cela.
Avec cette pièce en deux actes, Foals conserve la même recette, à savoir des guitares indie à souhait, des montées progressives dans toutes les chansons, mais en y incorporant cette fois-ci des sonorités électroniques. Et ce même sur les chansons que l’on pourrait croire calmes de prime abord. Les fans ne seront donc pas déstabilisés avec cette première partie qui donne directement envie de savoir à quoi va ressembler la seconde tellement le disque glisse avec une fluidité assez déconcertante. Amateurs des précédents albums, vous retrouverez les différents ingrédients qui ont fait l’identité du groupe au fil des années : Foals continue à faire du Foals.
De passage en France entre deux flocons de neige, on a pu s’entretenir avec la tête pensante du groupe, Yannis Philippakis, afin d’en savoir un peu plus sur ce qui nous attend avec le groupe en 2019, et le pourquoi du comment de ce double album.
INTERVIEW
Par rapport au nom choisi pour ce double album, il fait un peu écho au fameux The revolution will not be televised je trouve. Il y a un peu de ça ?
Oui, c’est vrai que j’ai eu un peu peur du rapprochement quand cette idée est survenue puis je me suis dit que le postulat était plutôt simple à comprendre et qu’il reflétait bien ce qu’on voulait transmettre. Littéralement, ça te dit quoi faire sur ton ordinateur mais c’est interprétable à plusieurs niveaux.
« Je ne pense pas que l’époque soit aux chansons d’amour mais à celles qui suscitent un minimum de réflexion. »
Pourquoi un album en deux volumes et pas un seul ?
Déjà, l’un répond à l’autre, mais c’est surtout parce qu’on avait pas mal de morceaux et qu’on aimait l’idée de faire un double album. C’était pas mal de construire une sorte de symétrie, avec deux introductions, deux clôtures, et un espacement de 6 mois entre les deux disques. Et ça permet aux chansons de prendre un peu d’oxygène, de laisser aux gens le temps de s’habituer aux morceaux. Si tu sors directement un double album ça fait trop d’un coup. On ne voulait pas que certains morceaux se retrouvent éclipsés dans la masse, ni mis de côté.
Il y a donc une forme de dualité ?
Absolument. Je pense que les circonstances dans lesquelles on a enregistré font des chansons elles-mêmes un voyage unique, mais qu’elles se complètent de manière égale. Elles ont leur identité mais sont connectées les unes aux autres.
Les paroles sont assez dystopiques et abordent des sujets comme le changement climatique et le déclin, en général, de notre civilisation. Pourquoi un tel parti pris, qu’on retrouve un peu dans vos anciens albums, mais particulièrement dans celui-là ?
Je pense qu’il y a un intérêt urgent porté par notre génération sur ces sujets-là, et il me semblait impossible de ne pas mentionner ces problématiques dans les paroles. Cela rend l’album plus parlant, et je considère qu’il y a une obligation artistique de confronter ces choses-là. Je ne pense pas que l’époque soit aux chansons d’amour mais à celles qui suscitent un minimum de réflexion. La musicalité peut faire face à ce genre de paroles. J’aime bien le fait qu’il y ait un contraste entre la musique, qui est assez énergique, et les paroles qui s’inscrivent dans une réalité un peu sombre. C’est une juxtaposition assez intéressante.
Justement, c’est pas trop paradoxal de faire des chansons dansantes tout en clamant que le monde court à sa perte ?
C’est vrai, mais j’aime bien le fait que les chansons puissent exprimer des choses sociétales, comme « In Degrees » qui parle notamment du manque de contact entre les gens et la vie, alors que paradoxalement, de par la structure, c’est une chanson qui a la capacité de rapprocher les gens ; car le fait qu’une musique soit écoutée dans différents endroits dans le monde provoque une certaine sorte de communalité entre les gens.
On peut dire que vous êtes moins insouciants qu’à vos débuts, où l’on a pu vous voir notamment en compagnie des cool kids de la série Skins ?
Oui. Sur les premiers albums, les paroles étaient plutôt abstraites et impressionnistes sans pour autant qu’il y ait un message à décoder derrière. Mais tu sais, tu dois progresser et ça fait partie de l’évolution. Je me souviens quand on a écrit « Total Life Forever », les paroles parlaient de la singularité et de l’intelligence artificielle. Il y avait cette idée d’un futur qu’on serait en train de foutre en l’air mais ça nous semblait plutôt lointain. Je me rappelle avoir ressenti pas mal d’imagination à ce moment-là, alors que la réalité d’aujourd’hui est beaucoup plus proche des dystopies fantaisistes que l’on pouvait s’imaginer à l’époque.
On t’avait déjà interviewé il y a deux ans au festival This Is Not A Love Song à Nîmes, et tu avais dit à l’époque qu’après What Went Down tu allais prendre davantage de temps pour pouvoir composer et enregistrer. Ce fut le cas ?
Je sentais qu’on avait atteint la fin de la route en terme d’approche. What Went Down a été le compagnon de route de Holy Fire, ils ont été fait de la même manière et entre deux tournées. Et au moment où nous avions fini What Went Down je trouvais que le réservoir à essence était vide ; pas dans un sens négatif mais je pense que nous étions arrivés à un certain stade de nos vies respectives où chacun dans le groupe aspirait à avoir un peu plus de calme dans nos vies privées. Et on savait qu’on allait devoir approcher le prochain album d’une manière différente, montrer un nouveau visage. Quand Walter est parti, le bassiste, ça nous a forcé à aller vers ce changement, en travaillant au-delà de notre zone de confort. C’était le début d’une nouvelle phase, et je me sentais créativement inspiré à l’idée de ce renouveau. Je me suis intéressé à la manière dont le groupe pouvait évoluer, dans le sens où c’était devenu un peu trop familier pour nous.
« On est la première génération véritablement effrayée par le futur. »
Tu dis que cet album est un SOS, un appel à l’aide et un avertissement au monde. Il me semble qu’on retrouve ce sentiment dans pas mal de groupes actuels et notamment anglais comme IDLES ou Sleaford Mods. Un groupe, ça se doit d’être humaniste de nos jours ?
Je ne suis pas une exception bien sûr, il y a une réponse générale au contexte actuel. J’aime bien IDLES, le fait qu’ils parlent de choses sociales notamment, comme les migrants. Ne pas répondre aux gens qui frappent à notre porte est un mauvais message.
La chanson « Café d’Athens », c’est un hommage à ton pays d’origine ?
Je l’ai écrite d’un trait, dans un café à Athènes. Mais le sujet de la chanson n’a rien à voir avec Athènes. C’est une des chansons les plus impressionnistes de l’album, et parfois c’est marrant de guider les gens avec un titre alors que le sujet va dans une autre direction. Et on l’a enregistré à côté de Paris, à Pantin.
Tu parles du « cauchemar des millenials ». Explications ?
Je pense qu’on est la première génération véritablement effrayée par le futur. Je voulais que l’album reflète ce climat de désillusion. Il y a quelque chose d’inélégant d’être né à cette période et quelque chose que je n’aime pas de manière générale. C’est assez dur à expliquer mais je sens que la modernité est une déception. On nous a vendu la technologie comme une promesse utopique, qui nous rassemblerait tous, alors qu’il n’y a jamais eu autant de frontières ; en plus du fait que tout ça est très addictif au final, et que ça nous aliène. Ça renforce l’individualité et le consumérisme. Chacun veut être la star de son propre film, et c’est une des raisons pour lesquelles nous connaissons de nombreux problèmes sociaux, couplés à des politiques vides de sens.
D’où certaines paroles comme dans « Exits », par exemple « Nous partageons beaucoup notre vie à travers les écrans, mais pas entre nous », ça résume bien ce que tu dis…
Définitivement. Je voulais être dans la vérité, et il me semble que ce soit la réalité. Il y a ce paradoxe d’être plus connecté que jamais au monde entier, alors que nous sommes plus seuls qu’auparavant.
Dernière question un peu tirée par les cheveux : on dit du groupe U2 qu’il fait (ou plutôt faisait) du rock héroïque, avec des chansons comme « Sunday Bloody Sunday » sur des sujets sérieux et historiques. C’est une appellation à laquelle tu pourrais t’identifier ?
Quand tu me dis ça comme ça, non, j’ai pas envie de m’identifier à U2. Ils sont trop pompeux pour moi. Je pense que c’est important d’avoir un message dans les chansons mais ça ne doit pas être un sermon tu vois. Ça doit être quelque chose d’appréciable, et dans lequel tu puisses t’identifier et trouver refuge. C’est un juste milieu à trouver. « Rock héroïque », la terminaison est trop poussée. Je dirai plutôt qu’on dirait du « rock anti-hero ».
Le premier volume de « Everything Not Saved Will Be Lost » est sorti aujourd’hui. Le deuxième sortira à l’automne.
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