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La Canaille : « Mon identité n’est pas délimitée par des frontières »

Le 3e album de La Canaille annonçait la couleur : La Nausée, enregistré dans « un contexte encore plus merdique que le précédent ». On a rencontré son MC, Marc Nammour, dont le nom n’est pas à la première apparition dans nos lignes. L’homme sensible, le militant, l’artiste passionné qu’on continuera à suivre longtemps s’est exprimé, comme d’habitude, avec son cœur.

Certifié 2009 : « C’est La Canaille et bien j’en suis.  » L’affirmation, tirée d’une chanson révolutionnaire de la Commune écrite en 1871, ouvrait le premier album de La Canaille, Une goutte de miel dans un litre de plomb.

« Cinq ans plus tard, j’avais envie de redéfinir ce terme, pour faire comprendre que La Canaille est plus qu’un groupe, que les gens peuvent se l’approprier », explique le rappeur Marc Nammour. Le morceau « Redéfinition », de fait, se rapproche de la volonté unificatrice des auteurs révolutionnaires, avec cette montée musicale vers le cri de lutte.


La Canaille – Redéfinition

Depuis les premiers concerts, dès 2003, le collectif a été amené à évoluer. Pour la tournée qui a suivi La Nausée, la formation rassemble Jérôme «  Pépouse Man  » Boivin (basse), Alexis Bossard, (batterie), et Valentin Durup (guitare). Les arrangements du dernier album ont été assurés par le premier et le rappeur. « Le deuxième album était marqué hip hop-rock. Le troisième album est plus large, on peut avoir des tableaux électro, d’autres un peu plus saturés, d’autres avec que des MPC, des samples… », explique-t-il. Les scratchs, cette fois initiés par les piliers du hip-hop français DJ Fab et DJ Pone, sont toujours présents.

Un plus large spectre musical qui vient soutenir les textes du rappeur, écrits en prose. « La rime a été importante dès les débuts du rap, souvent placée sur la caisse claire ou le contretemps. Elle a pu être plus riche, ou multisyllabique, mais elle ponctue chaque fin de phrase. » Après l’avoir pratiquée sur les deux premiers albums de La Canaille, il a mis la rime de côté sans l’oublier. Mais le combat est le même  : «  Des raisons sociales, politiques, personnelles me mettaient en colère, j’avais le sentiment d’un profond dégoût par rapport à ce qu’il se passait.  » Depuis la scène de Canal 93  : «  La plupart des rappeurs viennent du milieu prolétaire, mais il y en a si peu qui en rappent.  »

Il faudrait un jour écrire sur l’influence du Retour au pays natal d’Aimé Césaire sur le rap français, son livre de chevet : «  C’est le plus beau texte poétique, riche, juste et écrit en prose. Le cri d’émancipation par excellence, première pièce du mouvement de la négritude, mais renforcé par une portée universelle. Dans le texte, la « négraille » comme ils disent, elle est debout, elle est fière à la fin du livre. Des textes comme celui-ci m’aident à me sentir digne.  » Et à lutter contre La Nausée, « un sentiment que le monde extérieur renvoie, qui envahit et qui salit. On voulait montrer qu’elle nous éclabousse, qu’on le veuille ou non.  »

La première fois qu’il a écrit un long poème en prose, c’était pour l’opérap Ici au bout de la chaîne, avec Jérôme Boivin, Lorenzo Bianchi (un musicien de l’Ircam) et soixante musiciens sur scène. «  C’était un hommage au bastion ouvrier de Sochaux-Montbéliard, où il y a des usines Renault vides à perte de vue, et ça rentrait totalement dans ma direction artistique.  » Les arrangements plus étoffés permettent à la prose du rappeur de se rythmer selon les différents temps.

Un rap de lutte, fait d’histoires et de portraits qui adoptent le point de vue des combattants («  L’Usine  », «  Quelque chose se prépare  », «  Redéfinition  », «  Briller dans le noir  », «  Omar  ») ou des adversaires («  Allons enfants  », «  Jamais nationale  », «  Pornoland  », «  Monsieur Madame  »). «  Un acteur dirait que c’est jouissif de jouer le bâtard, l’enfoiré. «  Sur ‘Allons enfants’, «  J’ai voulu donner vie à cette voix nationaliste, pour voir comment elle fonctionne. Je murmure des immondices dans ton oreille pour te faire réagir.  »


La Canaille – Allons enfants

Rodé aux concerts, le rappeur devient acteur pour assurer lui-même les parties de la chanson «  Omar  » jouées par le comédien Lazare dans la version album. «  Ce qu’il dit, Omar l’a vraiment prononcé. Il fait partie des gens que l’on voit de plus en plus, et qu’on ne regarde jamais. Je voulais que l’auditeur soit confronté à la détresse de la rue. Avec Omar, on avait développé une relation de proximité de fait, il était la première personne que je voyais en sortant de chez moi, et la dernière quand je rentrais. On discutait tout le temps, sauf qu’au bout d’un moment voilà, je rentrais chez moi, confort, et lui il est toujours dehors, sur sa grille de métro.  »

Forcément, La Canaille a un peu flippé devant la récupération politique des attentats de janvier  : la Marseillaise à l’Assemblée, «  ça ne s’est passé que deux fois dans l’Histoire de France, la première c’était juste avant de déclarer la Seconde Guerre mondiale. Je déteste ce chant guerrier, prétentieux, de la France qui impose sa culture aux autres, déclare le rappeur. Mon identité à moi, elle est pas délimitée par des frontières. Je vais avoir beaucoup plus de points communs avec un prolo ou quelqu’un de ma condition au Pérou ou au Guatemala qu’avec un mec du XVIe. On n’a pas la même vision du monde, et nos intérêts vont même être antagonistes.  » La lutte est franche, directe  : elle frappe en plein cœur.

Crédit photo en home : RZOM

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