Il y a, en Allemagne, une célèbre expression du 19e siècle sur l’Angleterre, « Das Land ohne Musik » : le pays sans musique. Difficile à cette époque de citer beaucoup de compositeurs britanniques majeurs même s’il est ensuite devenu complètement désuet de ne serait-ce que l’évoquer dans le 20ème siècle pop. Henry Purcell au 17e ? Quoi d’autre ? Eh bien, Benjamin Britten, joué par Rone et la Maîtrise de Radio France dirigée par Sofi Jeannin, en est celui qui a rabattu le caquet de ces moqueurs d’Allemands. Voici sa presque bio.
Benjamin Britten est sorti des entrailles de la terre le 22 novembre 1913. Ses parents avaient élu domicile à Lowestoft, où l’on croise plus souvent des truites se débattant contre l’absurdité du monde qu’une tribu de contreténors. Et de toute son existence, tonton Britten, ce grand casanier, ne quittera sa mère patrie qu’à une occasion (pour les amériques), la proximité avec la nature anglaise ayant eu raison à jamais de son inspiration débordante.
Son père, joyeux luron dont le métier consistait à arracher les dents de ses patients, a eu la rude mais originale idée d’interdire toute diffusion de musique afin de développer la créativité et la pratique musicale dans sa famille. Sa mère est un autre rouage du plan machiavélique du patriarche : faire de la maisonnée un must-listen du comté (plan qui fonctionnera parce que tous les saltimbanques du coin faisaient étape au logis). Sa mère, donc, était chanteuse et pianiste. C’est elle qui apprendra ses premières gammes au benjamin.
A 11 ans, il se met à l’alto, une sorte de violon mais version ogre : plus grave, plus grand, plus épais. A 13 ans, comme dans un bouquin de Balzac, il est envoyé en pension mais dans le Norfolk, la même région qui accueille aujourd’hui les hallucinations de James Holden, Nathan Fake et Luke Abbott. En 1927, il devient l’élève de Frank Bridge, un type relativement connu pour jouer de l’alto et avoir composé le track The Sea même si on disait plutôt l’oeuvre que le track à l’époque, et que d’ailleurs on ne se demandait pas si on disait plutôt « le » ou « la » track, vu que de toute façon, on est en Angleterre. Il passera ses vacances scolaires chez les Bridge parce qu’ils y faisaient des gâteaux à tomber (source incertaine). A 15 ans, notre Benji national compose Quatre chansons françaises pour soprano et orchestre sur des poèmes de Victor Hugo et de Paul Verlaine, en français dans le texte, pour ses vieux. Propre.
On passe à 1929. Benjamin Britten a alors 16 ans et et obtient une bourse pour étudier au Royal College of Music de Londres. Il balance sur les internets inexistants la Sinfonietta pour 10 instruments. Certains diront qu’elle est hyper originale, les rageux se contenteront de rappeler qu’elle est influencée par Arnold Schönberg. D’ailleurs, ne croyez jamais ce qu’on vous dit à l’école : alors que le jeune Britten réclame à ses profs la partition du Pierrot lunaire de ce vieux schnöck autrichien, elle se contente de dire non. C’est toujours la même école qui viendra glisser à ses parents qu’il ne devrait pas s’intéresser à Alban Berg ni aller le voir à Vienne : « Alban est une mauvaise influence pour vous, cher Benjamin. » Les descendants de ces professeurs seraient d’ailleurs ceux qui auraient prédit que le blues, le punk, le reggae et le hip-hop n’auraient aucun avenir. Bande de merguez. Tant pis, Benjamin sort la Simple Symphony, qui cartonne.
Fin des années 30, période ô combien prolifique pour la connerie sans frontières, il est pourtant embauché pour composer et diriger la Documentary Cinema Company. C’est là qu’il y fera la connaissance du poète W. H. Auden, qui est à ce moment-là en train d’écrire le scénario de Night Mail, qui donnera lieu à un film documentant le service de nuit du train postal. Parce que personne n’en parle : il faut que les gens sachent. Ça paraît rien comme ça mais c’est via cette relation que Britten va rencontrer le ténor Peter Pears, l’amour de sa vie, influence et partner in crime tout au long de son oeuvre. En 1937, il signe son premier buzz à l’international au Festival de Salzbourg avec Variations sur un thème de Frank Bridge (ci-dessous) que vous connaissez forcément, parce qu’il sert depuis des décennies de cinéma à illustrer une scène triomphante ou de couronnement. Amusant de voir que 80 ans plus tard, c’est le répertoire de ce même Benjamin que reprendront Rone et la Maîtrise de Radio France pour une soirée nommée Variations, non ? Non ? Ah et il a même composé pour la scène de L’Aigle à deux têtes de Jean Cocteau. « You French lover » faudrait-il lui dire.
Bon, on vous balance plein d’infos, on sait mais c’est pour votre bien. Arrive 1939 et la promesse d’une bon quinquennat qui schlingue. Exil aux USA pour Benjamin et Peter jusqu’en 1942. Ça n’empêche pas l’artiste de composer une opérette pour les étudiants de l’université de Columbia. Il se dirige ensuite vers New York et se fait pote avec la clique des savants fous du quartier : Salvador Dali, Carson McCullers, Paul Bowles, Jane Bowles, Kurt Weill, Golo Mann. Autant vous dire qu’il y avait de quoi se marrer. Il en profite pour terminer le Concerto pour violon (1939), se met sur la Sinfonia da Requiem, le concerto Diversions, les Sept sonnets de Michel-Ange et son premier quatuor. Ben ouais, il fallait bien s’occuper.
En 1942, back to basics, en route vers l’Angleterre par le bateau. Sur le pont ou dans la cale, les sources se contredisent entre elles, Benjamin compose A Ceremony of Carols qui tape le 242k vues sur YouTube, avec 88% de reach chez les 125 – 145 ans, ce qui n’est certes pas une bonne blague mais qui permet de vous donner envie de l’écouter. Retour donc au pays avec le statut d’objecteur de conscience : laissez-moi penser ce que je pense, dire ce que je dis. Oui, Benjamin Britten est gay et il le revendique, sous les conseils du poète W. H. Auden. Peter Grimes, The Turn of the Screw, Billy Budd ou opéra Death in Venice en sont les principales expressions – à peine voilées. A ce moment-là, l’indépendance de Britten n’en fait pas un meneur – il reste toujours outsider – mais lui donne des accès intéressants. La rencontre de Roger Lalande, un Français dont la mission divine consiste grossièrement à faire connaître le compositeur en France, en fait partie. On dit merci Roger.
Pendant la seconde moitié des années 40, il passe sa vie en festival. En 1946, il crée l’opéra de chambre Le Viol de Lucrèce au Festival de Glyndebourne. En 1947, c’est l’English Opera Group qu’il fonde, dont le but sera de redonner à l’opéra anglais toute sa verve et son éclat : « Tout le monde s’en fout ? Alors je vais le faire » aurait-il dit, mais encore une fois, rien n’est sûr. En 1948, il sort les opéras Le Songe d’une nuit d’été, Owen Wingrave et Curlew River avec l’English Chamber Orchestra, toujours en festoche. A croire que Benjamin avait trait à la bière éventée, les chapiteaux en plein champ et le public trop défoncé pour voir la moitié des concerts. A moins que les festivals ne fussent pas comme ça à l’époque, mais on en doute très sérieusement.
En 1973, pour finir ce récit épique, Benjamin Britten est anobli par la reine. Appelez-le monsieur le baron, ou encore Lord of Aldeburgh, si vous voulez la jouer Downtown Abbey. Et puis une bonne nouvelle n’arrivant jamais seule, il est décoré de l’Ordre du Mérite et de l’Ordre des compagnons d’honneur. Le 4 décembre 1976, Benjamin n’ayant pas réussi son défi contre la faucheuse, s’éteint à Aldeburgh.
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