Trois ans après un deuxième album qui, s’il en avait dérouté certains, avait eu le mérite de ne pas être la copie conforme du premier, Raphaële Lannadère, redevenue « L », agrandit aujourd’hui la famille avec « Chansons ». Titre à la fois modeste et ambitieux, qui annonce la couleur tout en laissant place à tous les fantasmes. Incorrigibles curieux que nous sommes, ça nous a donné très envie d’écouter. On ne s’attendait pas exactement à ça, et c’est exactement ce qu’on aime.
« Chansons ». Difficile de faire plus clair. Et là vous nous dites : oui, enfin elle s’est pas foulée pour trouver le titre, est-ce que ce ne serait pas un peu la définition de tous les disques du monde entier ? Alors, déjà : non. Afin de ne pas réveiller de vilaines blessures, et parce que nous ne sommes qu’amour, on ne développera pas, mais que celui d’entre vous qui n’a jamais entendu (voire écouté) un vague machin sonore bizarre et probablement mal intentionné nous jette le premier gravillon.
Sur l’album de L, en revanche, il y a VRAIMENT des chansons. Des textes, des mélodies, des arrangements, des sentiments. Ce disque, à l’image de son titre, est radicalement épuré. Voire pur. Libre de tourner sans complexe le dos aux productions pop revival années 80, pourtant teeeeeellement trendy, de céder à une belle lenteur (à peine dérangée, en fin d’album, par une fièvreuse et bienvenue « Tempête »), d’embrasser une certaine tradition. Prêt à s’entendre dire qu’il sonne un peu à l’ancienne, parce que c’est vrai, parce qu’il l’assume. Un troisième album pour, après avoir montré ce qu’on savait faire puis qu’on pouvait aussi faire autre chose, dire simplement qui on est.
Raphaele Lannadère a retrouvé son pseudo, pourtant elle n’a peut-être jamais été autant elle-même. L, contrairement à -M-, à Ziggy Stardust, à Slim Shady (vous pourrez pas dire qu’on n’est pas éclectiques), ce n’est pas un avatar, ce n’est pas le costume qui lui permet de parler. C’est l’inverse. C’est le portique sur lequel elle dépose le superflu, c’est son placard à breloques. Et la revoilà donc, dépouillée, épluchée, légère et profonde.
Dans ces « Chansons », tout est organique. Les cordes, les bois qui l’accompagnent, les éléments, les lieux, les saisons qui donnent du corps à ses souvenirs.
Dès le premier titre, « La Meuse », il faut se laisser faire, accepter d’écouter son histoire, de la suivre en mélancolie, mais pas en tristesse, en résilience mais pas en passivité. Ce voyage avec L, on pourrait tout aussi bien le faire avec Amélie Poulain, avec Jean Becker, avec Diane Kurys. Pourtant jeune, L raconte plein de vies à travers la sienne. Parce que les racines, le temps qui défile et le relais qu’on passe, l’espoir fou d’un lendemain plus beau, les plaisirs fulgurants, la tentation de se protéger comme celle de sortir au grand jour, ça ne concerne pas qu’elle. Comme tant d’autres, hier, aujourd’hui et demain, Raphaele Lannadère illustre en chansons ce « vivre ensemble », entre détails qui font les différences et sentiments qui finissent par réunir.
Par deux fois seulement, l’intimité n’est plus la reine de la fête et l’actualité s’immisce dans l’album sans pour autant enrayer la mécanique. Dans « Orlando », la violence de l’attaque contre le club gay Pulse se heurte à la végétation riche, chaude et humide de la Floride, et des chœurs aux accents gospel terminent le titre en lumière. Dans « Ta ville », on parcourt les rues d’un Paris post-attentats populaire, sensuel, envoûtant, d’une cité trash aux dessous chics.
Est-ce justement en réaction à la violence de notre époque, à son présent sordide, à son avenir trouble, que Raphaele Lannadère s’attarde sur son passé, y cherche réponses et sérénité, y trouve confort et ancrage ? Peut-être. Sans doute. On le fait tous un peu. On transforme nos événements en souvenirs, nos regrets en expérience, on ne garde que la grâce.
Les parcours et les thèmes de ces « Chansons », ils sont banals au fond. Ils ont été traités, maltraités, tripotés, cent fois, mille fois. Parce qu’ils le valent bien, certainement, mais quand même. On les connaît par cœur. Avant écoute, on avait craint, c’est vrai, cette simplicité tellement casse-gueule, on avait vu passer devant nos yeux le spectre d’une mièvrerie bien-pensante, d’un ennui abyssal. On n’aurait pas du avoir peur. Raphaele Lannadère maîtrise l’équilibre. Elle sait flotter sans se noyer et reste élégante dans les descentes. Dit comme ça, elle pourrait bosser au Cirque du Soleil mais non, elle fait des chansons.
0 commentaire