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L’archipel sonore de Bicep

C’était une des rares nouvelles excitantes de ce début d’année : le brillant duo électronique nord-irlandais Bicep sortait le 22 janvier son second album « Isles » sur le fameux label anglais Ninja Tune. Les deux amis d’enfance de Belfast, Andrew Ferguson et Matthew McBriar, y affirment la richesse et l’étendue de leur univers musical forgé par des années de digging sans frontières géographiques ni barrières mentales. Voyageant dans les styles et les influences avec finesse, leurs productions, puissantes et planantes, sont des paysages sonores qui dessinent une musique électronique à vocation universelle.

En une dizaine d’années, le duo nord-irlandais Bicep a su trouver sa place sur le devant de la scène électronique mondiale. Après l’écoute de leur second album, Isles, aucun doute qu’Andrew Ferguson et Matthew McBriar, les deux amis d’enfance derrière le groupe, devraient marquer aussi la prochaine décennie de la musique anglaise.

De blogueurs-commentateurs à artistes-compositeurs

Avant de lancer Bicep, Andrew Ferguson et Matthew McBriar se sont connus à 8 ans sur un terrain de rugby. Délaissant les terrains de sport pour les dancefloors, ils découvrent le clubbing ensemble à leurs 16 ans, au Shine de Belfast. En 2008, ils lancent un blog musical, feelmybicep.com, où ils partagent les fruits de leur digging frénétique. Curieux et gourmands, ils explorent les nombreux recoins des musiques électroniques. En quelques années, ils apprennent à mixer, se mettent à la production, lancent leur label Feel My Bicep, puis mettent au point un live sur synthés et machines pour la tournée mondiale qui suit la sortie de leur premier album studio en 2017.

Onze ans après les premières sorties du duo, leur second album studio, Isles, a déjà des airs de consécration. Il faut dire qu’il est, comme le premier, édité par le très respecté label Ninja Tune. Il a été longuement et habilement teasé sur les réseaux sociaux ainsi que par la sortie de singles et la tenue d’un livestream audiovisuel événement en septembre dernier. Dans une interview de promotion réalisée par Ninja Tune, Andrew et Matthew expliquent que l’impossibilité de jouer en public l’année passée les a poussés à s’impliquer de façon plus créative dans ce qui entoure la sortie d’un album, comme la communication, ou la dimension visuelle de la pochette et de leur live.

Sampler le monde

Une partie intrigante de cette communication consistait à dévoiler les samples utilisés dans les morceaux sortis en singles, et à les commenter sur une page de leur site Internet. Chanson israélienne dans « Atlas », chants bulgares et musique traditionnelle malawi dans « Apricots », musique indienne dans « Sundial », pour ces deux diggers invétérés, c’est une nouvelle façon de partager les sons qui les font vibrer. Installés à Londres depuis une dizaine d’années, ils se sont évidemment imprégnés de la scène électronique anglaise si riche, mais ont aussi prêté l’oreille à la variété musicale de cette ville-monde. Ils racontent leur « joie de découvrir des chants hindi entendus résonner d’un toit éloigné, de saisir des bribes de chœurs bulgares d’une voiture qui passe, de lancer Shazam dans un kebab dans l’espoir d’identifier une chanson pop turque ».

Le monde entier dans les oreilles, les deux musiciens retranscrivent dans leurs productions une « culture du digging » qu’ils affilient également au hip-hop old school et à son art du sampling. « Dans notre dernier album, il y a beaucoup de morceaux qui ont commencé à partir d’un sample ou d’un vieux disque qu’on avait déniché et dont on voulait recréer l’ambiance ou utiliser une partie », précise Andrew.

Nul son n’est une île

La musique de Bicep transporte, car grâce à sa pratique du sampling, elle fait entendre les voix du monde. Dès les premières notes d’Isles dans le morceau « Atlas », la chanteuse israélienne Ofra Haza invite au voyage. Cette ouverture au monde s’explique selon les deux intéressés par leur jeunesse insulaire. « En Irlande, pour partir, il faut réserver un billet d’avion six mois à l’avance, on se sent piégés. Alors tu te mets à rêver du reste du monde. C’est pour ça qu’on s’est tant passionnés à chercher de la musique étant jeunes. Ça nous semblait exotique, on avait l’impression de voyager », témoigne Matthew.

Le titre de ce nouvel album Isles renvoie d’ailleurs à leurs insularités successives, en Irlande d’abord, puis en Grande-Bretagne. Ce sont ces deux expériences qui, selon eux, ont construit leur identité sonore. « Deux îles et leurs influences. L’Irlande est beaucoup plus techno, trance, mélodique, plutôt rentre-dedans. Les Irlandais aiment la musique intense. À Londres, c’est plus profond, avec la jungle, le garage, la deep house, le jazz. Il y a des influences du monde entier. Notre style, notre approche de la musique, ont été directement influencés par ces deux endroits très différents, et par le fait de vivre sur des îles toute notre vie », détaille Matthew.

Une musique électronique universelle

Ce brassage d’influences multiples fait que la musique de Bicep résiste à une catégorisation stricte. Les premiers morceaux du duo en 2010 s’apparentent à la house progressive. Mais leur patte sonore s’est complexifiée en s’affinant. Dans ce second album, comme dans le précédent, leur univers évoque immanquablement, grâce aux vocaux notamment, la trance progressive des années 90, ce merveilleux patrimoine (partagé aujourd’hui par des chaînes YouTube comme Trance Classics ou 2trancentral) où prime l’intensité symphonique sur la course au BPM.

Pourtant, au-delà des vocaux et des nappes planantes, à bien tendre l’oreille on s’aperçoit que Isles est hanté par le sound design à l’anglaise, le travail acharné des textures par la superposition d’éléments. Héritée de la scène UK garage et jungle, la rythmique ne bat jamais la mesure régulièrement, elle est syncopée, fuyante, passe en arrière-plan des synthés, voire disparaît complètement dans un morceau comme « Lido » qui rappelle au label Ninja Tune les belles heures de Bonobo.

Si les morceaux de cet album peuvent être dansants, ils ne sont pas vraiment club. Leur intensité est ailleurs. Matthew raconte qu’ils se sont inspirés du groupe de rock Tool et de son art des polyrythmies, « qui créent une forme d’imprévisibilité dans la musique, de tension du calme à la folie ». Et en effet, la musique de Bicep, cette symphonie aérienne et épique des synthés et des vocaux, accroche par son dramatisme, par ce qu’elle réveille en nous d’émotions pures. L’attribuant à la musique irlandaise et à leur culture celtique, Matthew explique une attirance pour « le style cathartique, qu’on trouve dans les chants, un style transcendant, rêveur, mélancolique ou spirituel ». Ces voix du monde apportent aux synthétiseurs et autres boîtes à rythmes analogique de Bicep une dimension incarnée et spirituelle, humaine et universelle.

Le duo prévoit une tournée mondiale dès la fin de la crise sanitaire. Aucun doute qu’ils feront lever bien des bras en festival.

Photo en une : Bicep © Sam Mulvey

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