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Kurt Vile, le songe writer

La ville de Philadelphie, berceau de l’Amérique, a longtemps fait pâle figure au niveau de la musique. A part The Roots ou Santigold, rares sont les groupes à émerger de cette ville coincée entre New York et les scènes plus alternatives de Washington et Baltimore. Depuis quelques années, tout comme ses amis de The War On Drugs, Kurt Vile permet de placer Philadelphie sur la carte du monde musical en collant à l’image de la ville, entre tradition et modernité. On essaie de décrypter son Philly state of mine actuel avec son nouveau disque, B’lieve I’m Goin Down.

Membre fondateur de The War On Drugs, Kurt Vile a quitté le groupe après son premier album. Plus qu’une rupture, il s’agissait d’envies différentes car si le son de The War On Drugs est très typé rock, riche, plein de réverbe et adapté aux grandes audiences, Kurt Vile préfère un son plus intimiste, dépouillé et trouvant directement ses racines dans le folk et le blues. Mais dans les deux, on retrouve ce sens du songwriting nord-américain. Pour comparer avec deux songwriters légendaires, The War On Drugs se rapproche de l’écriture d’un Bruce Springsteen quand Kurt Vile tient plus sa plume d’un Neil Young – dont il est d’ailleurs fan.

Dans une interview donnée par Kurt Vile à Kim Gordon (excusez du peu), il disait que de toute la discographie du loner, On The Beach (Reprise /1974) était son album préféré. B’lieve I’m Goin Down se rapproche sans doute de ce disque pour son introspection et l’expression de ses doutes et Kurt se sert de sa vie personnelle, ses relations familiales et sa vie d’artiste comme de son matériau préféré pour écrire.

Kurt Vile – Pretty Pimpin

Aujourd’hui artiste reconnu, Kurt Vile paraît distant, tellement dans ses pensées qu’il a parfois  l’impression que son esprit se détache de son corps. « I woke up this morning / Didn’t recognize the man in the mirror / Then I laughed and I said, “Oh silly me, that’s just me », commence « Pretty Pimpin ». Ecrire, composer et chanter sont pour lui le seul moyen de se livrer. « Lost my head there / I don’t wanna talk about it, yell about it, oh no / Me, I just wanna sing about it » chante-il de façon radieuse dans « Lost My Head There ». Cette distance avec le monde qui l’entoure, il l’assume même si ça lui pèse. Dans « I’m An Outlaw », chanson qui semble faire écho à la chanson « On The Beach » de Neil Young, il parle de sa sensation d’être au bord de la crise de nerfs, de se sentir seul malgré la foule qui l’entoure, peut-être venant de son expérience de la tournée, qu’il juge harassante et parfois difficile à vivre.

D’où la nécessité de se retrouver seul pour faire le vide, pour comprendre les choses, quand le monde entier vous parait hostile, y compris vos amis de longue date : « Be alone, when even in a crowd of friends and not so / Sometimes of whom you just can’t distinguish but / Thank god for the former, yeah » dans « Wheelhouse ».

Car Kurt Vile sait qu’il faut passer par des pics et descendre des vallées, « That’s Life, Tho (almost Hate To Say) ». Enfin, il pose un regard objectif sur lui et son imagination débordante : « And I’m afraid that I am feeling much too many feelings / Simultaneously, at such a rapid clip » dans le touchant « Wild Imagination ».

Kurt Vile – Life Like This

Parler exclusivement de sa vie au fil de ses albums pourrait être lourde mais c’est sans compter le sens du second degré qui l’anime. Contrairement à ce qu’on pourrait penser, il se présente lui-même comme un grand blagueur et semble avoir trouvé une façon de ne pas coller à son image de grand chevelu nonchalant. Il n’y a qu’à écouter « Pretty Pimpin » pour s’en faire une idée. Dans cette chanson, les paroles claquent et forment avec les arpèges et la rythmique binaire une ritournelle entêtante. Ce sens du rythme est encore plus impressionnant dans « Life Like This » qui comme une voix posée sur un sample de piano à répétition, fait penser à du hip-hop. « I’m An Outlaw », chanson rock-folk au banjo et le bluesy et « Dust Bunnies » ont ce même sens de la rythmique, un peu titubante mais retombant toujours sur ses pieds, enchaînant les accélérations et les pauses comme un danseur éméché.

Banjo, piano (dans plusieurs morceaux dont la touchante déclaration d’amour à sa femme dans « Stand Inside »), inspirations folk, blues, pop, Kurt Vile a cherché à se renouveler et à suivre seul ses inspirations à travers les Etats-Unis. « Wheelhouse », « All In A Daze Work », « Kidding Around » ou « Wild Imagination » sont plus classiques chez Kurt Vile mais confirme son talent de guitariste, maîtrisant notamment l’arpège sur le bout des doigts.

Au final, dans cet album, le mélange entre les racines folk et blues, les références à de grands songwriters (Neil Young, Bruce Springsteen, The Byrds, Simon & Garfunkel) et ce son plus moderne et plus détaché permettent à Kurt Vile de tisser une passerelle entre la grande histoire du songwriting américain et une nouvelle écriture incarnée par des artistes comme Mac DeMarco ou Kevin Parker de Tame Impala. Alors ne croyez pas sur parole Kurt Vile, il ne plonge pas. Pour nous, il va même très bien.

Photo par Jauhien Sasnou pour Reverb Party
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