On a échangé avec Fany Corral qui, après avoir été active puis fermé le mythique club Pulp à Paris, a annoncé la fin du label Kill The DJ dont elle s’est occupée avec sa troupe pendant 17 putain d’piges. Si vous vous êtes déjà fondu dans les ambiances chaud-froid des sets d’Ivan Smagghe, Chloé, Margot, Battant ou de George Issakidis, vous vous rappellerez avec délice de ce qui s’est fait de mieux dans les musiques électroniques françaises. Et d’une volonté de donner du sens à des vies.
Kill The DJ est mort. Vive Kill The DJ. Vous connaissez la maxime.
Ne pas pleurer, ne pas pleurer. Parce qu’il y a quand même pire, et personne n’a été blessé en écrivant ce message. Et puis, Fany Corral, Stéphanie Fichard, Ivan Smagghe, Adam Love et Chloé Thévenin ont tous leurs propres projets. La transition est opérée. Sur Facebook, le label présente même tous les chantiers en cours de cette troupe de productrices, ambianceurs, militantes et DJ compulsifs à travers CryBaby, The Post Post, Terrain Vague, Les disques de la mort et Lumière Noire.
Non, il n’y a vraiment pas de quoi chialer. Quand on a s’est foutu la tête la première dans les premières compiles dingos chez Tigersushi, sorti le projet hybride It’s a fine line d’Ivan Smagghe le disque Karezza du gourou greco-canadien Issakidis, le tubissime « Magico Disco » de Margot, connu les débuts de la meilleure productrice française Chloé, ou révélé la bouleversante Léonie Pernet, on ne peut pas décemment penser que quoi que ce soit puisse réellement mourir.
C’est vrai quoi, à quoi bon se larmoyer, on ne fait pas autant de cas des maisons qui s’essoufflent sans bruit, perdues dans un gouffre créatif. Kill The DJ ne mourra jamais parce qu’on l’a décidé, que ses bedroom producers l’ont inscrit dans les muscles et les cœurs de milliers de danseurs.
On a passé un coup de fil à Fany Corral. Et on vous a mis certains de nos morceaux préférés.
« Une certaine idée de la fête et de la société »
INTERVIEW
De quelle envie est né Kill the DJ ?
Rolala tu me poses des questions ahah. Je crois que c’est l’envie de faire des trucs ensemble, tout simplement. Beaucoup de labels naissent de cette envie. C’est un des meilleurs moyens de créer des amitiés et de réunir des copains autour de toi. On était déjà une bande potes au Pulp.
Entreprendre des choses, c’est un moyen comme un autre de se rassembler ?
C’est beaucoup plus drôle que de boire des coups sur une terrasse de café. C’est chiant au bout d’un moment, tu t’emmerdes.
Comment fonctionne la machine Kill the DJ aux débuts ?
Kill the DJ s’est créé sur une rupture. On était à Nova à l’époque avec Ivan [Smagghe]. On avait une émission. Et Nova avait décidé d’arrêter les programmes DJ. C’était une manière de continuer cette collaboration. Et donc on a construit la soirée Kill the DJ avec Ivan, Clément Daphonics et Adam Love qui faisait déjà les flyers. Ensuite, la première soirée c’était en 2001. On a sorti les deux premières compiles avec Tigersushi. Et puis, après la compile d’Optimo, Tigersushi avait plus le temps ni l’argent de produire nos projets. Donc on a eu envie de monter le label.
Tigersushi t’a formée sur la gestion d’un label ?
Oui, ça m’a appris vachement de choses. Ensuite, on monté le label, Stéphanie [Fichard] et Chloé sont entrées dans cette histoire.
Tu saurais te rappeler combien de disques tu as sortis ?
Je sais pas.
En gros, faut aller regarder sur Discogs ?
Ouais vas-y, j’en ai aucune idée. Entre les cd, les compiles et les vinyles…
Kill the DJ a dû faire face à des évolutions du secteur, différentes phases, depuis 17 ans ?
On a construit l’activité du label – pour ne pas parler des soirées – au début de la crise du disque. La grosse dégringolade. Au début, le moindre disque, on en vendait 10.000, facile. Et les vinyles, on en vendait 4-5000. Aujourd’hui, on en vend 300 vinyles ahah.
Donc à peine le label créé, le secteur musical est bouleversé. Comment vous avez fait face ?
C’était du do it yourself. Donc ça n’a pas été une grosse claque. On mettait des sous de côté dès qu’on en vendait un peu. On s’est toujours démerdés, et déjà avant au Pulp. Et moi, je viens des raves, et c’était déjà de la démerde à cette époque. T’as un rouleau de gaffeur, t’as un soundsystem : démerde-toi. C’est ce qui m’amuse.
De quoi es-tu la plus fière en 17 ans de label ?
Oh non, c’est trop trash, ça. C’est horrible, j’en sais rien. Le truc le plus satisfaisant, au-delà d’avoir permis l’émergence de certains artistes, c’est aussi d’avoir l’esprit du truc. D’avoir porté une certaine idée. D’avoir fait de ce label, pas un manifeste parce que c’est hyper prétentieux, mais d’avoir fait autre chose qu’un simple label. On défendait quand même nos idées politiques à travers lui. D’avoir insufflé une certaine idée de la fête et de la société.
Qu’est-ce qui a été le plus difficile en ces 17 années de label ?
Le premier truc qui me vient à l’idée, c’est la disparition de Joel Dever, de Battant. Ça a été un moment difficile. Le reste, on en a rien à foutre, c’est que du flanc. Les problèmes économiques, de gestion du collectif, c’est rien du tout par rapport à la disparition d’une personne de ton crew.
Allier idées politiques et activité de label a-t-il déjà posé des soucis ?
Non, parce qu’en fait, on était tous d’accord, tous sur la même ligne. Au contraire. C’est ce qui donne du sens aux choses. C’est peut-être ce qui manque à la société aujourd’hui. Plein de gens ont perdu le sens de leur métier. C’est hyper dur. Le sens, c’est ce qui fait que tu te lèves le matin. Si on voulait se contenter uniquement de sortir des disques, alors autant bosser en major, c’est un business, et tu gagnes plein de thunes, et l’avantage, c’est que tu galères pas ahah.
C’est une autre vie, en effet.
C’est comme toi à Sourdoreille : tu peux décider d’aller faire des articles pour LVMH, t’as des sous, mais ça a pas de sens.
Toi et ton équipe arrêtez cette activité de label et d’édition chez Kill the DJ après 17 ans. Quelles sont les raisons qui vous ont poussés à arrêter ?
Kill the DJ, c’était un truc collégial… 17 ans, c’est un gros bout de vie. Tu évolues. Tu as des envies différentes. Besoin de frais. Et une situation économique qui peut devenir pénible au bout d’un moment. Une fatigue face une réalité qui est lourde. Parce qu’un label indépendant, c’est lourd à porter.
Et justement, tu lances The Post Post, tu peux m’en parler ?
C’est une structure d’accompagnement d’artistes sur lequel je vais pouvoir faire plein de choses différentes. Je me lance dans le management d’artistes avec Deena Abdelwahed et Myako pour le moment. On fait aussi de la production de spectacles de danse contemporaine. C’est frais aussi, ça. C’est un autre médium. On a par exemple produit le spectacle d’un jeune chorégraphe qui s’appelle Matthieu Barbin, sur lequel j’ai d’ailleurs fait la musique dessus, et qui tourne partout. C’est un petit laboratoire. Moi, j’aimerais bien reprendre des activités de DA et de prog de lieu. Je le faisais au Pulp. Ce sont d’autres outils qui sont plus en rapport avec le public.
Ça te manquait ?
Ouais, c’est ce qui manque avec un label. Là, il y a un lien direct, et une communauté de gens plus large.
As-tu déjà eu l’impression que le Pulp et Kill the DJ avaient fait des petits ?
C’est pas trop à moi de le dire, ça serait prétentieux. En tout cas, ça fait onze ans qu’on a fermé le Pulp, et il y a encore des gens qui s’en revendiquent. J’imagine donc qu’on a fait des petits. C’est plutôt bien, parce que la notion de transmission est importante. Quelqu’un sur le fil d’actu de Kill the DJ a dit : « Merci pour la transmission » et je trouve que c’est un joli compliment. Ça fait plaisir. Ça rappelle que tu ne fais pas ça pour toi.
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