Happés par l’écoute passagère d’une chanteuse de synth-pop russe nommée Kate NV, on a totalement perdu le contrôle mental utile à la tenue d’un article raisonné. On ne fera pourtant pas ici l’erreur de coller les mots d’une chronique sur le rythme de la musique décrite : exercice esthétique souvent raté. Ici, tout est juste question de retrouver nos esprits face à la légèreté céleste d’une grande artiste.
Qui es-tu, Kate NV ? Une chanteuse de synth-pop ? Peut mieux faire. On n’est pas dupes, tu sais. On a roulé notre bosse sur les raccourcis stylistiques. Une bidouilleuse, une chercheuse de sons perdus, une exploratrice des marges ? C’est peut-être plus exact, tu vois quand tu veux. Mais veux-tu vraiment qu’on te range dans le tiroir des arts inaccessibles à la plèbe ?
D’où viens-tu, Kate NV ? Moscou n’est pas une bonne réponse. Tu nous diras que c’est de là d’où tu viens, et tu penses – à juste titre – que ça va nous suffire. Mais ça n’est pas le cas. Laisse-nous te dire une chose : si tu avais inventé une histoire délurée sur une pseudo-enfance dans une argenterie à Kyoto héritée de ton père qui en avait lui-même hérité de sept générations d’orfèvres, on t’aurait suivie les yeux fermés, le sourire béat aux lèvres en attente d’une illumination. Si tu t’étais laissée aller à divaguer sur ta vie d’adolescente rêveuse à sautiller sur le toit d’une cathédrale, à entretenir des douzaines de cloches qui tintinnabulent pour réveiller Yokohama, on n’aurait émis aucune réserve.
Mais ça n’est pas suffisant pour essayer de percer ton secret. Parce qu’on ne sait pratiquement rien de toi, cachottière. Tu es ton art entier, tu es ta jovialité, ta douce folie, ton dévouement dans le détail, ton objectif pop. En creusant les musiques électroniques, tu fais dévier une trajectoire pop pourtant claire. En déviant la pop, tu affole les amoureux, les solitaires, les passantes curieuses.
Bon, tu dois le savoir, beaucoup seront contrariés en t’écoutant, ils repousseront tes notes, n’essaieront pas de déchiffrer ta voix. Tu leur seras étrangère. À une époque où tout est uniformisé, l’être humain est devenu comme son estomac, sans défense face à l’inconnu. Avec une musique sans emballage, tu risques l’intoxication auditive de tes contemporains. Paradoxal, non ?
Si le plus coréen des labels anglais PC Music aurait pu te faire de l’œil, on t’a préférée dans un endroit où les désaxés ne s’habillent pas en rose et noir, une lollypop à la bouche et un sac Hello Kitty porté sur une épaule. Non, toi, ton feu auvergnat, c’est le label américain Orange Milk, terreau des funambules léthargiques. Avec cette bande d’illuminés, tu as érigé le sommeil en acte psychédélique ultime d’une vie animale. Mais qui dit sommeil dit aussi basses acides des meilleurs morceaux de deep house, nostalgie pubère de fin de séjour en colo, arpeggiators se rappelant au bon souvenir du « Jamelia » de Caribou (dans « Nobinobi »), chansonnettes d’aspirante au The Voice russe. Logique.
Vous remarquerez qu’on n’a pas peur de dire le maximum de conneries pour rien dans ce papier. Parce que les mots sont bien ridicules face aux paysages horizontaux et que, face à l’immensité de ce que propose Kate NV dans ses parcelles de vie, on se sent bien maigrelet. C’est un fait. S’il fallait résumer (formule soit dit en passant complètement débile parce que personne ne nous oblige à rien) ce saut dans le journal intime de Kate NV, on ne peut que souligner l’énorme part de joie fluette, de légèreté, de fuite en avant. Parce que Kate NV ne résout rien au monde, elle permet au moins aux égarés de planer à dix mille. C’est déjà beaucoup.
Kate NV jouera aux Siestes Electroniques à Toulouse le samedi 1er juillet et au festival Baleapop à Saint-Jean-de-Luz qui se tiendra du 23 au 27 août. Soyez pas vaches et allez lui dire bonjour, quelle que soit votre langue.
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