La claque abyssale de ce début d’année vient d’un natif de notre cher Hexagone. David Letellier, sous son nom Kangding Ray, a créé un disque qui ressemble à une grande œuvre d’art car elle teste des émotions enfouies très profond. Il revendique avec une tapée d’autres producteurs comme Mondkopf, l’intérêt de la souffrance et la beauté de la solitude.
David Letellier est un producteur français qui a besoin de souffrir pour ressentir. Son pseudo, il l’a choisi en rapport avec la ville du district de Kangding, en Chine, où il se trouvait lors de la composition de son premier album « Stabil » en 2006. Aujourd’hui, son lieu de résidence, c’est Berlin, là où est niché le label raster-noton (Simian Mobile Disco, Wolfgang Voigt, Byetone, etc). La maison, en remplissant son catalogue de techno minimale épurée au maximum, sort du rayon de la mélodie et se révèle dans le glitch, le sombre, le noise.
L’important est de comprendre le pont qui lie ses compositions entre texture et profondeur / musicalité et groove. On sait que le gars Letellier, architecte de formation a bossé sur le design de La Philharmonie de Paris. Selon ses dires pour une interview pour Resident Advisor (ici), La Philarmonie « était à la recherche de quelqu’un servant d’interface entre les acousticiens et les architectes ». Le voilà le pont. Le voilà le secret de cette musique.
Comme cet article n’aurait pas de sens sans que l’on prononce son nom, le moment est venu de comparer la musique de David Letellier à un autre producteur de génie qui a sorti son album à la même période que lui : Paul Régimbeau aka Mondkopf. Similitude n°1 : la France. Similitude n°2 : 8 ans séparent leur premier et leur dernier album. Similitude n°3 : Kangding Ray remixe Mondkopf fin octobre 2012 (ici). Similitude n° 4 (et la plus importante) : les deux Français représentent cette vague de producteurs qui ne font pas de concessions avec la peur et la douleur, qui osent parler de l’enfer et ont leur propre façon de faire bouger un dancefloor. Le dernier album « Hades » de Mondkopf est en écoute ici.
La musique de Kangding Ray est une traversée en solitaire qui emporte chaque petite parcelle du corps. Le voyage est risqué mais ne s’oublie pas. Faute d’envoyer la sauce dès le début, Kangding Ray a choisi de montrer à l’auditeur où il met les pieds et lui annonce : j’ai fait un album, il y aura donc des pauses, des envolées, des progressions et des agressions, attention les secousses. Le paysage de l’intro, avec Serendipity March, est désert mais l’on distingue une lente création comme au début du monde. Comme un jumeau maléfique de James Holden, il illustre cette phase de création par un noise sombre et des nappes inquiétantes.
Le premier événement de « Solens Arc » intervient après une courte pause avec Evento. Et là, l’énergie s’échappe enfin, une brèche qui s’ouvrira encore pour déverser ses kilos de lave brûlante. La seconde claque s’appellera Blank Empire, où les infra-basses écrasantes feront fuir les enfants de la pop music et jouir les ravers boulimiques de techno mentale et acide, pas forcément rapide et violente. Beauté et mal-être s’accordent et se désaccordent dans une valse infernale. Le troisième vrai temps fort de l’album est une véritable plongée dans la noirceur avec Amber Decay, dystopie à la Brazil où l’espoir est vain. Big Brother style.
Si l’on isole enfin le titre History of Obscurity, qui malgré son nom est plus léger que Amber Decay, les titres restants, interludes statiques ou envolées progressives se fondent plus dans l’opus sans faire de vagues. Ou plutôt, le corps s’est tellement habitué à ces énormes vagues qu’il se laisse dériver, las de tant d’émotions. Ceux qui espéraient un dénouement heureux devront se contenter d’une faible lueur de mélodie perdue dans un monde devenu froid.
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