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Julianna Barwick, chœur cousu

La voix est un instrument fabuleux quand on sait s’en servir. Doublez-là, tripplez-la, mettez lui la réverbération qu’il faut, ajouter-y quelques pincées de harpe, trois touches de piano, et demandez à une fille de pasteur de s’en emparer, et vous devriez atteindre le nirvana. C’est un fait, avec son nouvel album, Julianna Barwick a eu raison de notre petit cœur tout mou. L’occasion de revenir sur son parcours mystique.

Née dans une petite ville de Louisiane, Julianna Barwick est l’une de ces mômes qu’on a traînée très tôt au temple lui faire réciter et chanter des cantiques. Fille de pasteur, forcément, elle est baignée dès son plus jeune âge dans une culture vocale, céleste et collective. En plein dans les années 80, elle découvre, à l’occasion des multiples messes auxquelles elle participe activement, interloquée, le son de sa propre voix. Au beau milieu du chœur, elle en pleure à chaudes larmes. Clin d’œil à son moi-du-futur, cette action d’abandon et de sur-émotivité marquera chacune des étapes importantes de sa vie à venir.

En boucle

En 2001, après un passage à Tulsa en Oklahoma, Julianna Barwick débarque, la vingtaine fraichement fêtée, à New York où elle étudie la photographie au Hunter College, dans l’obscurité des salles de tirage. A ce moment de sa vie, elle commence à écrire des chansons qui, selon ses dires lors d’une récente interview au New York Times, oscillent alors dans un délire « à la Cat Power mais sonnant comme Whitney Houston. » Tout le monde s’est bien fait la projection mentale ? On reprend.

Quatre ans plus tard, en 2005, un pote de Julianna lui prête une « loop station », un petit appareil électronique rouge qui lui permet d’enregistrer des boucles musicales en direct. En général utilisé avec une guitare ou la voix, elle y voit un signe du destin : son sang ne fait qu’un loop. A l’aide de ce petit instrument magique, elle superpose et entrelace des couches de sa propre voix, et retrouve sans peine le blast ressenti au centre d’un chœur religieux. Résultat de son état monomaniaque, elle reste assise, des heures durant à improviser des chansons polyphoniques et trouve le moyen de tripper sans acide. Pratique.

Lors de sa première sortie de disque en 2006 en auto-production avec l’EP Sanguine, Julianna pose les bases de sa musique, suite à une longue année d’expérimentations vocales. On vous laisse imaginer l’étrangeté que comporte le fait de s’enfermer plusieurs mois à murmurer et gémir des o, des a et des i. Mais ça serait évidemment réducteur vu le boulot d’effets (overdub, percussions vocales), d’harmonies et d’humanité concentrés dans ces 13 titres qui n’excèdent pas 4 minutes et qui, la plupart du temps, tournent autour d’1min. En 2009, elle sort, toujours sans label, un deuxième EP Florine, où l’ambient rejoint le piano minimaliste et dont Philip Glass pourrait aisément faire son quatre heures.

L’album magique

En 2011, fini les bouts de ficelle et les plans sur la comète. Julianna Barwick casse le jeu, d’une musique new age épique, aux échos hantés, qui crucifie le continent américain, avec The Magic Place (2011, Asthmatic Kitty Records). Parmi les premiers à écouter ce disque fantastique, le journaliste de Pitchfork Sam Sodomsky sort de ses gonds : « La chanteuse et compositrice ambient a mentionné l’importance d’avoir vu Empire of the Sun, le film de guerre de Steven Spielberg, étant ado. Plus crucial encore, elle se rappelle de la BO de John Williams, composée pour un chœur de garçons chantant la comptine galloise « Suo Gan ». The Magic Place, cet album fondateur de Julianna, apporte de la même façon des moments de paix au milieu du chaos« . Inspiré, le loubard en chemise à carreaux. Quelques années plus tard, après une digestion lente et assurée, le média qui fait la pluie et le beau temps classe l’album dans les 200 qui ont marqué la décennie. 168ème… OK. Mais c’est suffisant pour ajouter à la légende locale de Barwick, qui s’étend alors bien plus loin qu’elle l’aurait imaginé.

Les deux années qui suivent sont marquées par un mariage avec un ami de longue date. Célébration vite consommée vite enterrée dans une atmosphère de jalousie et de sales coups. Son divorce, qui l’affecte, comme on peut l’imaginer, énormément, tombe au moment de la sortie son troisième album Nepenthe (2013), sollicité par une tapée de légendes rencontrées lors d’un voyage dans sa nouvelle terre d’accueil préférée : l’Islande. Répondront à l’appel de ses névroses à exorciser, pas moins que le producteur de Sigur Rós, Alex Somers, des membres de Múm et le quatuor à cordes Amiina.

Aussi, c’est l’occasion pour Julianna de signer chez Dead Oceans, incroyable défricheur, sous-label du Secretly Group basé à Bloomington, dans l’Indiana. Dans son catalogue trônent, à la louche, Phosphorescent, Kendrick Lamar, Hans Zimmer (feat Pharell & Johnny Marr), The Tallest Man On Earth, Kevin Morby, Slowdive, Shame, Brian Eno, Khruangbin, A Place to bury Strangers, et on en passe et des pas mûres. L’artiste découvre la puissance du boulot à plusieurs, elle qui jusqu’ici se repaissait de sa solitude. Et cette même année, riche en émotions, elle vient à Paris à l’opening party du (tiens donc) Pitchfork Music Festival, et ses accents vocaux sont captés par la seule et l’unique équipe de La Blogothèque.

La part des anges

Ces années de déconvenues amoureuses sont ensuite racontées dans l’album Will, en 2016, qui marque un retour à la solitude. Le disque, enregistré en solitaire entre New York, la Caroline du Nord et Lisbonne, comporte uniquement les délires vocaux (et bidouillages) de la chanteuse, pas plus. Cette nouvelle phase de la vie de l’artiste s’accompagne par un déménagement en trombe de New York, la ville qui l’a révélée au public et l’a érigée en star de l’avant-garde. La raison évoquée : des relations sociales toxiques, la volonté d’un nouveau départ. En décembre 2016, après 15 ans de vie à Brooklyn, elle empaquète toutes ses affaires (dont le piano de sa grand-mère) et déboule à Los Angeles, en même temps que son amie harpiste Mary Lattimore. Sur place elle emménage dans une maison construite pour l’occasion, en terre cuite super isolée, tellement épaisse qu’elle peut se permettre de faire le bordel vocal qui lui chante.

Un jour, Julianna Barwick, terrée au fond de son lit se remet à pleurer. Une séance d’auto-psychanalyse est entamée et les mélodies de Healing is a Miracle pointent leur bout de leur nez : « C’était tellement cathartique et joyeux. Je ne m’étais pas sentie aussi libre depuis si longtemps. » Entre temps, l’artiste tourne autant qu’elle le peut. Elle fait même parler d’elle en 2019 autour de la sortie d’un album assisté par une intelligence artificielle, Circumstance Synthesis. Cinq morceaux d’ambient dont les basses, les syntés et les phases vocales réagissent à différents événements liés au trafic aérien, en partenariat avec une entreprise de nouvelles technologies et un hôtel, le tout poussé par l’IA de Microsoft. Prends ça Brian Eno.

Nous sommes en 2020 et Julianna a 41 ans. Après 4 ans de travail, Healing Is A Miracle sort ce 10 juillet sur le label Ninja Tune, toujours dans les bons coups. Piano, harpe, voix et arrangements sublimes peuplent cet objet de désir. L’artiste n’est pas toute seule, elle s’est entourée du chanteur Jónsi, que le producteur Alex Somers lui a fait rencontrer en Islande en 2013. Depuis, les deux artistes sont comme cul et chemise : « Je pense qu’il a la meilleure voix du monde, et entendre ma voix avec celle de Jónsi est l’une des joies de ma vie. » On compte aussi le petit génie de la bidouille électronique Nosaj Thing, éminence grise du beatmaking de LA, et fan de la chanteuse aux mille voix. Enfin, son amie Mary Lattimore propose des sessions de harpe si belles qu’on en oublierait presque notre propre corps. Tout ça oui. Des rêveries de Clara Moto aux imaginaires de Cocteau Twins, Julianna Barwick étend le champ de notre âme, donne de l’air à nos névroses et agit comme un réconfortant naturel. Sans trop (nous) forcer.

Crédit photo en une : Julianna Barwick, par Jen Medina

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